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«Il faut des meufs subversives qui ne boivent pas»

Claire Touzard est rédactrice en chef du magazine Grazia Hommes. Elle est une parisienne tout à fait typique, ancrée dans un monde d’ultra-sociabilité, très portée sur la culture et la modernité, avec des mondanités qui s’imaginent toujours sophistiquées, subversives, et en tous cas au dessus d’une existence morne, plate.

Dans ce monde, il y a l’alcool, qui est une véritable norme. L’alcool n’est pas propre à la bourgeoisie intellectuelle parisienne évidemment, mais il y a en tous cas chez ces gens là une esthétisation de la défonce, comme une sorte d’élégance aristocratique.

Le grand mérité de Claire Touzard, c’est d’avoir compris la vanité de tout cela, et d’avoir choisi de rompre. Elle a assumé le fait d’être alcoolique et a décidé d’arrêter de boire. Elle le raconte dans un livre à paraître le 13 janvier 2021, intitulé Sans alcool, avec écrit en couverture une belle phrase : « Être sobre est bien plus subversif qu’on ne le pense. »

Les 30 premières pages qui sont accessibles sur le site de l’éditeur Flamarion laissent entrevoir un récit très intéressant.

Un tel passage par exemple, aide beaucoup à saisir la substance de ce qu’est l’alcoolisme :

« Il y a plein de raisons à ma quête de l’ivresse. La solitude. Mon caractère dépendant. L’anxiété sociale. Le monde extérieur m’effraie, il représente une masse puissante qui m’attend à chaque recoin, pour mieux me broyer.

J’aime voyager, fuir le réel.

J’aime simplement le fait d’être ailleurs, de transcender la vie sans la vivre : mon quotidien est une chasse à la déconnexion, à la mise sous le tapis. Je cherche à toucher le moins possible la réalité de choses. »

Les mots sont à chaque fois bien choisis, et on comprend à travers cet autre passage qu’elle a eu une réflexion très approfondie à propos de son alcoolisme, qu’elle exprime avec des mots simples mais d’une grande signification :

« Et puis, il y a eu tous ces amis perdus, comme tous ces vêtements que j’ai oubliés sur des bancs de discothèques, dans les trains, dans les cafés, quand mon cerveau ne marchait plus. Ces bouts de moi que j’ai confiés à l’alcool, laissant s’étioler mon amour-propre, mon existence. Moi. »

Elle s’est également exprimée dans une vidéo Brut, pour faire la promotion de son livre. Là encore, ce qu’elle raconte est très intéressant.

Il y a bien sûr tout le début, où elle raconte avec une grande modestie et surtout une grande dignité son parcours alcoolique. L’explication quand au rapport entre sa défonce et l’expression de sa féminité, la pression sociale allant avec, etc. est également très bien vue.

« On a l’impression que c’est ce qui nous rends plus fort » dit-elle de manière très naturelle, démontrant en quelques mots comment l’alcool est un formidable piège.

Mais ce qu’il y a de plus intéressant, c’est qu’elle a compris à quel point tout cela relève de la culture. En effet, l’alcool n’est pas tant un choix individuel, un dérapage, qu’un choix de société. Et ce n’est pas pour rien, comme elle le raconte dans la vidéo, qu’elle se sentait rassurée « de voir des femmes à l’écran qui buvaient toutes seules. »

Puisque l’alcool est une norme, alors il faut la combattre, ou la « déconstruire » comme on dit en langage parisien moderniste. Et c’est là que Claire Touzard dit cette chose très perspicace :

« Il faut des meufs subversives qui ne boivent pas et qu’on se dise « ah bah tiens, on peut être subversive sans picoler » » !

Cela doit également nous rappeler que, dans le mouvement ouvrier, au 19e siècle, le combat contre l’alcool était une tendance importante ; il était considéré que dans le socialisme, l’alcool disparaîtrait plus ou moins de lui-même. Il y a ici un apport culturel qui doit être valorisé comme un aspect de l’héritage de la Gauche historique, à rebours du libéralisme libertaire au service d’un turbo-capitalisme détruisant les personnalités également au moyen de l’alcool.