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Le populisme et le « centième singe » au lieu de l’avant-garde de gauche

Le populisme renouvelle le concept de minorité agissante par le principe de la « masse critique ». C’est le principe du centième singe.

Le populisme renouvelle le concept de minorité agissante par le principe de la « masse critique ». C’est le principe du centième singe.

C’est une révolution intellectuelle, ou plus précisément une régression, qui a été développée ces trente dernières années et qui a torpillé la gauche de la Gauche, au profit de la conception fasciste du « mouvement élémentaire ».

Pour qu’un changement social ait lieu, il ne faudrait pas un regroupement synthétisant la lutte des classes pour donner une direction politique et culturelle. Ce dont on aurait besoin, c’est d’un certain nombre de gens qui aient la même pratique, ce qui conduirait alors à un changement automatique du reste de la population.

Cette pratique consiste en des protestations, des actions symboliques, de la désobéissance civile, à un niveau très bas : du collage d’affiches et d’autocollants, des mises en place de banderole, la présence à des manifestations et des occupations de lieux (comme les ronds-points des gilets jaunes), l’utilisation de fumigènes, le refus de quitter des lieux, écrire des slogans sur les murs, etc.

Ce sont des petites choses faciles à reproduire, tel un prêt-à-porter de la contestation. C’est porte ouverte, un « venez comme vous êtes » de McDonald’s élargi aux « mouvements sociaux ». Tout le reste est considéré comme de la vieille Gauche, comme une haute couture inaccessible et élitiste.

Cette conception de la « masse critique » de gens à obtenir fait désormais partie du paysage en France et dans le monde. C’est le reflet de l’esprit consommateur. Même les protestations en relèvent désormais, d’où l’effacement des partis politiques.

On a Jean-Luc Mélenchon et La France Insoumise, Greta Thunberg, « Extinction Rébellion », les gilets jaunes, les partisans de Donald Trump, les anarchistes, tous ceux qui font des manifestations le prétendu lieu de l’Histoire en France, les tenants de la désobéissance civile face au confinement, les agitateurs d’extrême-Droite Alain Soral et Dieudonné, le groupe écologiste « écodéfense » en France (qui n’a d’ailleurs rien voir avec le principe historique de sabotage clandestin qu’est l’écodéfense), etc.

Changer le monde ce serait faire une page Facebook et un groupe Discord et promouvoir quelques comportements bien ciblés, et les répéter jusqu’à ce que les gens rejoignent la démarche et qu’une « masse critique » de gens soit obtenue. Les idées ? Les concepts politiques ? Le principe d’avant-garde, les luttes de classes ? Cela n’existe pas.

Cette conception anti-historique et anti-populaire a été théorisée en deux fois. La plus récente, c’est celle d’une enseignante dans une université américaine, Erica Chenowet, avec une responsable du département d’État américain (soit le ministère des affaires étrangères), Maria Stephan. L’ouvrage qu’elles ont publié en 2011 s’intitule Why Civil Resistance Works: The Strategic Logic of Nonviolent Conflict (« Pourquoi la résistance civile fonctionne : la logique stratégique du conflit non-violent »).

L’ouvrage est la synthèse du point de vue alter-mondialiste des années 1990. Il prétend que depuis 1900, le meilleur moyen de changer les choses est la mobilisation pacifique d’au maximum 3,5 % de la population : cela suffirait à déclencher un changement social à grande échelle.

Mais cette conception petite-bourgeoise puise en fait dans le mouvement « New Age » établi sur les ruines mystiques du mouvement hippie. Le mouvement « New Age », consistant en le culte du paranormal qui serait présent dans l’univers, a en effet développé le principe du « centième singe ».

Tout part d’un biologiste et zoologiste sud-africain, Lyall Watson, à la fin des années 1970. Il a prétendu qu’un singe, le prétendu centième, avait au Japon lavé sa patate douce avant de l’éplucher et de la manger, et que la pratique se serait généralisée à tous les singes de l’île.

Ce serait la preuve d’une « masse critique », permettant quelque chose de nouveau. Dans une population suffisamment large, une nouvelle pratique peut émerger et être reproduite. Lorsque cette reproduction atteint un certain niveau, elle se généralise. L’auteur américain Ken Keyes Jr., s’occupant de « développement personnel », a repris le principe dans son ouvrage The Hundredth Monkey (« Le centième singe ») et le principe a été adopté par l’ensemble de la scène « New Age ».

Il faut bien comprendre que c’est typique du romantisme réactionnaire que de raisonner en termes de microcosme et de macrocosme entrant en « correspondance ». L’auteur américain Rupert Sheldrake, tourné vers le paranormal, parle de cela comme d’une « résonance morphique ».

De par sa nature, le concept s’est bien entendu élargi à de nombreuses initiatives petites-bourgeoises d’esprit « alternatif », comme la « critical mass », consistant en une manifestation de gens à vélo afin de demander le renforcement des pistes cyclables, l’amélioration de la situation pour les utilisateurs de vélos, etc.

C’est en fait l’esprit des lobbys, de la logique communautariste, bref de toute la vision petite-bourgeoise du monde de la « gauche » post-moderne des universités américaines. Cela vise directement la Gauche historique et le principe de « l’avant-garde » comme lieu de raison, de réflexion, de synthèse.

C’est un renouvellement du principe syndicaliste de la « minorité agissante ». C’est tout à fait en phase avec une époque qui rejette la Démocratie.