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Le 18 mars ou comment Jean Castex fait le fou

Les Français veulent du romanesque, mais en en restant à la forme, ils auront un drame.

Les Français veulent du romanesque, mais en en restant à la forme, ils auront un drame.

La France est un pays littéraire, où ce qui se vit doit s’écrire comme un roman. C’est la base de toute démarche de Français cherchant à avoir une existence qui lui donne du sens. Que ce soit pour une relation sentimentale, une coucherie hasardeuse franchement douteuse, une carrière d’homme politique, un travail associatif, des études ou même des vacances : le Français veut qu’il y ait un certain grain de folie, un petit quelque chose donnant un aspect romanesque à l’ensemble.

Que ce soit le coup d’État de De Gaulle en 1958, mai 1968, la « grève » des footballeurs français lors de la coup du monde en Afrique du Sud, l’élection d’Emmanuel Macron, toute attitude à la française implique ce petit plus, un comportement romancé souvent enclin au panache.

Seulement voilà, bien souvent les Français perdent pied avec la réalité, au nom de ce romancé. Lorsque Caroline s’imagine être un homme et entend s’appeler Gaspard ou bien lorsque Gaspard s’imagine être une Caroline, c’est vain: la crise d’identité et la mutilation corporelle peuvent donner l’image d’un roman, mais enfin cela ne change rien à l’absence de sens et de culture. Et des exemples de faux romans à la française, ce n’est pas cela qui manque. Le plus connu ces derniers temps est d’ailleurs ce roman ayant présenté Emmanuel Macron comme un J.F. Kennedy à la française.

Nommé premier ministre, Jean Castex avait sans doute oublié tout cela. Haut fonctionnaire, il comptait en rester aux faits. Mais les Français ont choisi, pétri par le libéralisme, ouvert au capitalisme, de se moquer des faits. Donc le confinement qui aurait dû être mis en place il y a une semaine, trois semaines, un mois, trois mois… eh bien les Français ont dit oui, mais non. Et Jean Castex a cédé à chaque fois, en disant : ah bon, en ce cas… on va voir ce qu’on peut faire.

D’où ce scénario ahurissant du 18 mars 2021, avec Jean Castex disant qu’on a bien fait de ne pas confiner plus tôt, sinon on aurait dû continuer à confiner, alors que cela implique qu’on n’a rien fait du tout. Citons cette phrase, qui montre comment on est passé dans un film, comment la réalité a cédé la place au discours :

Contrairement à beaucoup de nos voisins, nous avons écarté fin janvier l’option d’un confinement au long cours à l’échelle du pays et c’était la bonne décision : nous aurions alors infligé au pays un confinement de probablement 3 mois. Cela aurait été excessif et insupportable.

C’est à ce genre de propos d’un (très) haut fonctionnaire qui, avant sa nomination comme premier ministre, gagnait 200 000 euros par an, qu’on voit que la France est passée dans le camp de la fiction. On est comme avant mai 1968, dans une société fausse de menteurs.

Tel dans le film Pierrot le fou, de Jean-Luc Godard, Jean Castex part donc à l’aventure, en espérant que le discours l’emportera sur les faits et que le pseudo-confinement annoncé le 18 mars 2021 pour la région parisienne et quelques autres départements opérera comme par magie. C’est la méthode Coué : à force d’y croire, cela deviendra vrai. Et comme de toutes façons les Parisiens ne veulent pas du confinement…

Une telle fuite en avant a une portée historique, non seulement en raison de la question sanitaire. C’est aussi historique parce qu’un travers français se révèle au grand jour. Cette manière absurde de romancer sa vie est erronée. Vouloir donner une grande portée, une portée romanesque, c’est bien. Confondre la fiction avec la réalité, c’est par contre faux. On peut même dire que le faux roman est d’autant plus présent qu’il est triché avec la réalité. Les Français croient écrire un roman, ils se déconnectent en fait du réel.

Ces raisonnements à la française « jusqu’ici tout va bien », « point trop n’en faut » et autres médiocrités sont une catastrophe. Le 18 mars 2021, Jean Castex a romancé le réel, jusqu’à le défigurer. Et tout cela en raison d’une médiocrité maquillée comme gestion pragmatique du quotidien. C’est à l’image des Français : englués dans une absence de perspective, complaisants avec eux-mêmes jusqu’au sordide, infantiles jusqu’à la négation de l’avenir au profit d’un présent étroit, borné, insipide.

La France déraille, la France décroche, la France sombre. Il va lui falloir de l’intelligence pour s’en sortir, et cette intelligence c’est le réalisme, le peuple systématisant la démocratie, le socialisme.

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