La crise politique autour de l’UNEF reflète un immense problème de fond à Gauche.
Il y a cinquante ans, en mars 1971, l’Union nationale des étudiants de France était marquée par une scission produisant deux UNEF concurrentes. Une sorte de réunification bancale a eu lieu en 2001 et depuis l’UNEF ne cesse de sombrer qualitativement et quantitativement. L’affaire politique de ces derniers jours témoigne d’une crise toujours plus profonde.
Tout part de propos de Mélanie Luce, présidente de l’UNEF, lors de son passage sur la radio Europe 1 le 17 mars 2021. Elle y déclarait qu’il y avait au sein de l’UNEF des réunions « non mixtes racisées ». L’idée est, on l’aura compris, de combattre le racisme en donnant la parole aux gens victimes de racisme dans un cadre rassurant, mais l’approche va également dans le sens d’une logique identitaire-communautaire.
Cela a provoqué une vague de critiques de la part du gouvernement et de la Droite. Le soir même le député des Alpes-Maritimes (Les Républicains), Eric Ciotti, appelait à la dissolution de l’UNEF. Le 19 mars, sur BFMTV, le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer déclarait que de telles réunions étaient « racistes », alors que François-Xavier Bellamy parlait de « dérive raciste assumée » et appelle à la dissolution de l’UNEF, etc.
Le 22 mars Le Figaro lance ensuite une offensive anti-UNEF, avec notamment à plusieurs reprises la question de la possibilité de la dissolution de l’UNEF, parlant de « décadence idéologique » de la Gauche ; le même jour Le Monde lance inversement la mission il faut sauver le soldat UNEF avec différents articles, ainsi que la publication d’un appel anti-dissolution de 300 figures de la Gauche (un article en accès payant, l’appel date du week-end et a été lancé par un adjoint de la maire de Paris Anne Hidalgo).
Cet appel anti-dissolution est signé par des gens relevant de l’UNEF d’avant 1971, des deux UNEF nées en 1971 (celle liée au PCF, celle liée aux trotskistes dits lambertistes puis au Parti socialiste), ainsi que de l’UNEF réunifiée de 2001.
Cependant, l’UNEF actuelle n’a rien à avoir avec ces UNEF passées. L’UNEF est aujourd’hui un mouvement de jeunesse, qui porte des luttes sociales et « sociétales », avec des individus plus ou moins impliqués.
Avant, l’UNEF était un conglomérat des activistes de gauche, qui agissaient de manière unie mais en se bataillant à travers des tendances et des fractions. Aujourd’hui, l’UNEF c’est un simple lieu de passage de gens « en lutte ». Et comme on est en France, les luttes sont conçues dans une perspective « syndicaliste révolutionnaire », c’est-à-dire sur la base de la minorité agissante, dans une démarche substitutiste où une pseudo assemblée générale parle au nom de tout le monde, etc.
Dans une interview au Figaro, Jean-Christophe Cambadélis tient d’ailleurs des propos assez hallucinés à ce sujet. Lui-même a été président d’une des deux UNEF, l’UNEF-ID, de 1980 à 1984 (il représente le passage des étudiants trotskistes dits lambertistes au Parti socialiste). Il pense que l’UNEF d’aujourd’hui a une mentalité de « gardes rouges » chinois avec l’idée de rédemption par l’exemple.
C’est totalement faux et on se demande où il va chercher cela. Il y a eu des scissions de l’UNEF en mode maoïste dans les années 1980, elles étaient hyper structurées et insistaient sur le travail de masse pour élever le niveau de conscience politique. Cela n’a rien à voir avec l’UNEF actuelle qui récuse les idéologies au nom des principes de la « déconstruction ».
Il est vrai qu’on peut avoir l’illusion que l’UNEF est hyper-activiste et cette illusion est d’ailleurs vrai pour l’ensemble de l’ultra-gauche française. Mais enfin poster sur les réseaux sociaux des images de slogans écrits sur les murs ou d’une table de presse n’est pas une preuve de réel activisme. Il faut être naïf pour suivre l’auto-intoxication de gens s’imaginant « militer » alors qu’ils ne font que brasser du vent.
Et c’est là la vraie question de la polémique autour de l’UNEF, du point de vue de la Gauche. Quels doivent être les critères pour évaluer les luttes, les phénomènes ? Faut-il partir de la Gauche historique ou accepter les conceptions post-modernes de la « gauche » à l’américaine ?