Bertrand Tavernier est décédé jeudi à l’âge de 79 ans. Né en 1941, pendant l’occupation durant laquelle son père publiait des textes de Paul Eluard et Louis Aragon, il débute dans le milieu du cinéma comme assistant de Jean-Pierre Melville en 1961, et comme comme critique de films.
Son premier long métrage, L’Horloger de Saint-Paul sort en 1974 et se démarque aussitôt de la Nouvelle Vague qui a secoué le cinéma français depuis la fin des années 1950. Bertrand Tavernier assume un certain classicisme aussi bien dans son montage que dans la narration et les dialogues, imprégné par le cinéma de Max Ophuls, Julien Duvivier, Jean Renoir, Robert Bresson, Henri Decoin.
Son cinéma porta tout au long de sa carrière un regard sensible et assez juste sur le monde passé (il a réalisé de nombreux films en costumes) et présent, abordant l’importance de la civilisation, la barbarie de la guerre, les injustices sociales, mais aussi parfois simplement l’amour, la vie et le temps qui passe, accordant une place prépondérante aux sentiments.
Auteur prolifique de plus d’une trentaine de long métrage, il reste assez injustement méconnu en dehors des cercles cinéphiles.
La cinéphilie, et par extension le cinéma dans son ensemble, lui doit pourtant beaucoup car outre son oeuvre de réalisateur il était aussi un des plus grands passeurs de culture cinéma français. Doté d’une connaissance encyclopédique du cinéma il a passé sa vie à transmettre ce savoir.
Dès 1970 avec le livre référence “30 ans de cinéma américain”, qui deviendra plus tard “50 ans de cinéma américain”, il fut l’un des premiers critiques français à s’intéresser et à interviewer de réalisateurs américains, notamment certains peu connu en France comme André de Toth ou Budd Boetticher, et dont il projetait les films dans son ciné-club. Il travaillait par ailleurs ces dernières années à la version “100 ans”.
Et, comme un symbole, sa dernière réalisation, en 2018, est une série documentaire en 8 épisodes, Voyage à travers le cinéma français où il présente l’âge d’or du cinéma français qu’il affectionnait tant, en profitant notamment pour mettre en avant certains artistes qu’il considère comme injustement méconnus ou oubliés. Et même si parfois il peut se laisser aller aux travers de l’oeil d’artiste à oublier le contexte et la portée d’un film, bien souvent il aime à replacer l’ensemble d’une oeuvre à ce qu’elle représente et ce qu’elle dit de l’humanité. Cela fait bien sûr echo à ses réalisations dotées d’un réalisme humaniste touchant, débordant sur le lyrisme, au même titre qu’un Jean Grémillon qu’il aimait tant.
Il considérait comme primordial de voir, de connaître et de transmettre ce cinéma de patrimoine français, bien plus vivant qu’on ne peut le penser.
Il disait d’ailleurs que c’était ces films, cette culture, qui l’avait fait aimer la France.
Il était bien loin des stéréotypes du critique de cinéma français conservateur, il était ouvert à tous les cinémas du monde et à tous les genres, découvreur sans a priori mais qui savait critiquer sans mâcher ses mots.
Cette passion de la transmission et du partage se retrouve aussi dans son très riche blog où il publiait fréquemment des billets sur des films et des réalisateurs, n’hésitant pas à poursuivre les discussions en commentaire.
C’est donc un grand et humble passeur d’une partie de la culture française et du cinéma dans son ensemble qui s’est éteint.