En cherchant à tout prix à ce que l’OTAN intervienne, l’Ukraine rend la situation intenable alors que la Russie veut la briser.
Les forces russes et ukrainiennes ont continué de s’accumuler aux frontières. Il n’y a eu pratiquement pas d’escarmouches le 6 mars, tout comme les 4 et 5 mars : les deux armées se font face, se renforçant, très clairement prêtes au face à face, en attente du moment clef.
Il y a eu toutefois un saut qualitatif, rendant la situation encore plus inextricable. L’Ukraine poussait ces derniers jours à recevoir une aide de l’OTAN, dans une logique interventionniste ; elle cherche depuis 2008 à y adhérer. Dans les faits, elle obtient déjà du matériel, notamment des États-Unis, en particulier ces derniers jours. Et dans la crise actuelle, l’OTAN a évidemment maintes fois souligné son soutien entier. L’Union européenne a naturellement fait de même.
Le 6 avril 2021 marque cependant un tournant, ou plutôt une accélération, un vrai saut qualitatif, car cette tendance à avoir l’OTAN comme référence apparaît désormais comme un quitte ou double. Il y a eu en effet un appel au téléphone du président uktainien Volodymyr Zelensky, le 6 avril, au secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, pour demander une entrée accélérée de l’Ukraine dans l’OTAN.
Or, jamais la Russie ne tolérera l’OTAN à sa frontière directe. La Russie, qui a fait en sorte d’accorder la nationalité russe à 600 000 personnes dans l’Est de l’Ukraine, préférera dans tous les cas provoquer la cassure en deux de l’Ukraine. Qui plus est, le président ukrainien a appelé l’OTAN à être présente en Mer Noire :
« Une telle présence permanente devrait être un puissant moyen de dissuasion pour la Russie, qui poursuit la militarisation à grande échelle de la région et entrave la navigation commerciale. »
La démarche est cohérente. Le président ukrainien sait en effet que la question de la Crimée est essentielle, car un débarquement russe est possible, avec l’invasion généralisée de la partie côtière de l’Ukraine. Difficile de faire contre-poids, et du point de vue du nationalisme romantique, idéaliste, fantasmagorique ukrainien, cela a du sens : il s’agit de faire pression sur la Russie, de la « calmer ».
En pratique, c’est un suicide, cela provoque une situation par définition inacceptable pour la Russie. Même au-delà de l’insupportable expansionnisme russe, il y a le fait objectif de ne pas vouloir être étouffé par l’OTAN, de refuser que la Russie se réduise à un satellite. Un coup d’œil sur les cartes (tirés de Google map) montre ce qu’il en est et pourquoi la situation est explosive de par un conflit qui devient dans les faits celui de l’OTAN contre la Russie expansionniste, avec l’Ukraine comme martyre et cible des conquêtes.
Très concrètement, l’Ukraine fait 1 316 km d’Est en Ouest et 893 km du Nord au Sud, c’est à peu près la superficie de la France. On notera que sur la carte la Crimée n’est pas représentée ; même si elle est en fait russe historiquement, au niveau du droit international elle relève de l’Ukraine.
Sur cette carte de la situation de l’Ukraine en Europe, on voit clairement pourquoi la Russie ne tolérera jamais l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN. Les pays baltes sont déjà opposés à la Russie, la Finlande n’est clairement pas pour, toute l’Europe centrale est pro-OTAN, alors si l’Ukraine tombe, la Biélorussie ne tiendra pas longtemps non plus et surtout la Russie aura un énorme bloc contre elle. Et l’OTAN n’hésitera pas à utiliser ces pays voisins comme de la chair à canon pour démolir la Russie.
Seulement voilà, l’Ukraine est aussi la porte de l’Orient. Pour beaucoup de gens en France, l’Ukraine est à l’Est. Mais en fait, elle est également au Sud de l’Est. D’ailleurs, historiquement elle a dû affronter les Polonais à l’Ouest et les Tatars à l’Est. Son passage dans l’aire moscovite (qui était confrontée aux Polonais à l’Ouest et aux Mongols à l’Est) en est une conséquence : c’est une alliance historique de deux peuples venant historiquement de la même matrice culturelle et nationale, la Rus’ de Kiev.
D’ailleurs, si on va dans un magasin d’alimentation russe ou ukrainien, on trouvera beaucoup de produits tout à fait « orientaux » aux yeux de quelqu’un d’Europe de l’Ouest. Voici un aperçu de la situation de l’Ukraine en ce qui concerne sa façade orientale, au dessus des mots « Mer Noire » on a la péninsule qu’est la Crimée et que la Russie a annexée.
Il n’est pas difficile de comprendre que l’Ukraine, une fois entrée dans l’OTAN, deviendrait une véritable base américaine, avec une immense capacité de projection vers l’Orient. Mais ce serait également une véritable fermeture au niveau européen.
L’Ukraine est à l’Est du point de vue français, mais pas si à l’Est que ça du point de vue européen… Pour prendre des exemples, la capitale de l’Autriche, Vienne, est plus à l’Est que la capitale tchèque, Prague, et elle est plus proche de la ville ukrainienne de Lviv (d’ailleurs soumise à l’Autriche jusqu’en 1918) que de l’extrême occidental de l’Autriche. Berlin est largement plus près de Kiev que de Madrid, Stockholm est plus proche de Kiev que de Paris, Naples est à la même distance de Kiev et de Londres, etc.
Il ne faut pas se résumer à tout cela. La guerre se fonde avant tout sur des impératifs économiques. L’oligarchie qui veut étendre la Russie ne le fait pas par calcul ou appât du gain : c’est une nécessité historique de par sa nature. Quant aux pays capitalistes, n’en parlons même pas.
Il s’agit seulement de saisir le cadre, ce qui est d’autant moins simple que c’est très loin géographiquement ou culturellement du point de vue français. Cela ne doit cependant en rien relativiser la situation. Il faut toujours être prêt à faire face à la guerre, à la refuser ! Et à éprouver l’empathie pour les peuples martyrs, à exprimer sa solidarité. L’Ukraine ne doit pas devenir un champ de ruines à cause de l’OTAN et de l’expansionnisme russe !