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Guerre

Un conflit Ukraine-Russie aux facettes toujours plus nombreuses

La Russie ne cesse d’ajouter des niveaux de complexité et d’expansion au conflit.

La Russie ne cesse d’ajouter des niveaux de complexité et d’expansion au conflit.

Ce qui se passe est gravissime, car le conflit Ukraine-Russie relève de la guerre, et cela n’est pas vu. Ses modalités dépassent totalement les gens et même les commentateurs. En raison d’une vision unilatérale, il y a une opposition fictive entre une situation de non-guerre et une situation de guerre. La situation nouvelle déborde les gens. C’est sans doute cela aussi qui a trompé les masses en 1914 : elles s’attendaient à une guerre de courte durée, elles n’ont pas compris le changement de nature de la guerre.

Les modalités de la guerre moderne, avec son armée de métier, son matériel électronique, ses guidages de missile, ses dispositions tactiques, son espionnage, ses drones, ses snipers, son artillerie… sont très différentes d’auparavant. Le conflit Ukraine-Russie le montre de manière terrible.

Initialement, la crise du tout début du mois d’avril impliquait une annexion du Donbass. Puis est venue la question de la Crimée, qui est en pénurie complète d’eau, l’État ukrainien ayant fermé le canal la fournissant. La Biélorussie s’est retrouvée dans la partie également, avec pareillement la question d’une « intégration » dans la Russie. Désormais s’ajoute à cela le Donbass séparatiste qui doit devenir la tête de pont pour faire basculer au moins une partie de l’Ukraine.

On a ici quelque chose de très rythmé, de très complexe, avec un jeu multi-vecteurs et de très nombreuses facettes. On a une complexité énorme et c’est ici une expérience politique très importante que d’observer une telle évolution, en enseignant sur la menace de guerre, en dénonçant la compétition capitaliste qui amène la marche à la guerre.

Voici les principaux points pour le 22 avril 2021.

1. La commission des affaires étrangères du Sénat américain a adopté un projet de loi sur le partenariat de sécurité avec l’Ukraine, portant l’aide militaire américaine à 300 millions de dollars.

2. Le ministre russe de la Défense Sergueï Shoigu a annoncé que les vérifications surprises des troupes dans l’Ouest et le Sud du pays sont terminées, donnant par ailleurs pour la première fois la liste des divisions envoyées à la frontière ukrainienne. Il a annoncé leur prochain retour à leurs bases initiales d’ici le premier mai. Or, c’est impossible de par l’ampleur des distances, et de plus il a été affirmé que certaines troupes resteraient dans l’attente des prochaines manœuvres (qui ont lieu en septembre). La seule chose possible est que les soldat partent, mais que le matériel reste.

3. Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin, a affirmé que l’aide humanitaire aux « républiques populaires » de Donetzk et de Louhansk continuera. Il a parlé d’un « peuple héroïque », malheureux d’avoir été rejeté par sa patrie et d’affronter même ses chars.

4. Vladimir Poutine a pris note de l’invitation à le rencontrer du président ukrainien Volodymyr Zelensky. Il l’a invité à Moscou, mais a expliqué qu’en ce qui concerne le Donbass, la Russie n’était pas une partie concernée. Il faudrait que le dirigeant ukrainien prenne contact avec les présidents des « républiques populaires » de Donetzk et Louhansk. Naturellement, celles-ci ne sont cependant pas reconnues par l’Ukraine et la proposition de Vladimir Poutine ne peut pas être acceptée… Pour enfoncer le clou, les deux présidents des « républiques populaires » ont appelé le président ukrainien à venir chez eux pour un débat public.

5. La « République populaire » de Donetzk a publié une déclaration d’urgence, où on lit notamment :

« Du côté de Kiev, de fausses déclarations sont constamment entendues sur son engagement en faveur d’un règlement pacifique du conflit dans le Donbass, mais les méthodes terroristes utilisées par les militaires ukrainiens indiquent le contraire (…). Nous exigeons de toute urgence une réponse immédiate et ferme des observateurs internationaux! Tant que les militaires ukrainiens ne seront pas tenus responsables de leurs crimes, y compris en vertu de la loi ukrainienne, la mort et les souffrances de la population civile ne cesseront pas! »

6. Le 22 avril a commencé le forum de deux jours intitulé « Unité des Russes: protection des droits et libertés », au Centre pour la culture slave de Donetzk. Il devait précéder le discours de Vladimir Poutine, il le suit finalement. Les deux thèmes principaux sont intitulés « Discrimination contre les résidents russes et russophones en Ukraine » et « Méthodes modernes de protection des droits des compatriotes: pratique mondiale ».

Il se terminera par une résolution… dont il est facile de prévoir le contenu. Le forum a en effet déjà affirmé qu’il luttait pour la réunification de l’ensemble du Donbass, ce qui implique l’intégration de la partie encore sous contrôle ukrainien. Mais il n’affirme pas seulement la protection des Russes du Donbass, mais également de tous ceux en Ukraine. Elena Shishkina, une figure de la « république populaire » de Donetzk, a insisté sur le fait que :

« Nous attendons des Russes d’Ukraine qu’ils se réveillent, se lèvent et nous aident à défendre leurs droits. »

Le « Forum Unité des Russes: protection des droits et libertés »

7. L’Ukrainien Andrei Kozenko est désormais député russe, membre de Russie unie, le parti de Vladimir Poutine. Il a affirmé lors du forum qu’il fallait l’emporter dans l’ensemble de l’Ukraine :

« De toutes les manières possibles, il est nécessaire de soutenir la formation d’un puissant mouvement pro-russe en Ukraine. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons aider ceux en détresse, ce n’est qu’ainsi que nous pourrons arrêter la croissance de l’infection russophobe nazie non seulement en Ukraine, mais aussi au-delà de ses frontières (…).

Il ne fait aucun doute que le programme humanitaire pour la réunification de la population du Donbass et pour le soutien de la population russophone d’Ukraine joueront un rôle important, de sorte que c’est le Donbass qui deviendra le moteur du développement et du progrès du monde russe (…).

Les événements en Ukraine en 2014 liés au coup d’État et à la prise du pouvoir par les nationalistes ukrainiens sont devenus, à bien des égards, un catalyseur pour le Donbass russe, qui a fait son choix civilisé en faveur de l’intégration avec la Russie.

Même la guerre déclenchée par les forces terroristes ukrainiennes n’a pas pu briser la puissance de l’esprit russe des habitants des républiques populaires de Donetsk et Lougansk (…).

À cet égard, nous avons toutes les raisons de les soutenir conformément à la partie 3 de la Constitution de la Fédération de Russie avec l’article 69 (…).

Actuellement, avec le sénateur de Crimée Sergueï Tsekov, nous préparons un projet de loi à soumettre à la Douma d’État [= le parlement russe]. Nous parlons de simplifier la procédure d’obtention du statut de locuteur natif de la langue russe, qui fournit des bases juridiques pour acquérir la citoyenneté russe de manière simplifiée (…).

Nous proposons de donner cette opportunité à tous les résidents ukrainiens. La possibilité d’être reconnu comme locuteur natif de la langue russe devrait être donnée à tous les compatriotes russophones. »

L’article 69 en question dit la chose suivante :

« La Fédération de Russie garantit les droits des peuples autochtones peu nombreux, conformément aux principes et normes universellement reconnus du droit international et aux traités internationaux de la Fédération de Russie. »

8. Le président de la « République populaire » de Donetzk, Denis Pushiline, a souligné pendant le forum que :

« Un rôle spécial est attribué par le forum aux questions du renforcement de l’espace culturel national russe unique, et de ses fondations – la langue, la culture et l’histoire russes, qui déterminent les orientations spirituelles et morales communes du peuple russe, qui contribuent à préserver notre patrimoine historique, afin de le transmettre aux générations futures (…).

En 2014, le Donbass a construit la première ligne de défense. Mais pas seulement sur la ligne de contact. Le Donbass protège sa terre, ses maisons, ses familles – et le monde russe tout entier de l’agression ukrainienne. Je veux affirmer fermement: nous sommes déterminés à protéger les droits et les intérêts des Russes vivant dans le reste de l’Ukraine (…).

9. Le vice-président du parlement lituanien Paulus Saudargas et la vice-présidente du parlement de Pologne Małgorzata Gosiewska ont rencontré en Ukraine le vice-président du parlement ukrainien Ruslan Stefanchuk. Après avoir visité le port de Marioupol, ils ont fait une déclaration commune dans le village de Shirokino dans le Donbass, accusant la Russie de dévastation.

Il faut ici savoir que le royaume polono-lituanien était aux 16e-18e siècle une grande puissance européenne, maintenant l’Ukraine sous son joug, ainsi que la Biélorussie et la Lettonie, cherchant à écraser la Moscovie, avant un retournement de situation en faveur de cette dernière.

10. Une opération de « contre-sabotage » a été menée par les services secrets ukrainiens dans la partie non occupée du Donbass, avec plusieurs arrestations. De telles opérations se sont systématisées ces derniers jours.

11. La République tchèque avait exigé que la Russie abandonne son expulsion de diplomates tchèques, à la suite de ses propres expulsions de diplomates russes. L’ultimatum a expiré et la République tchèque va procéder à l’expulsion de 60 personnes de l’ambassade russe, la réduisant au même nombre que de diplomates tchèques restant en Russie. La Slovaquie a décidé d’expulser trois diplomates russes.

12. Le vice-premier ministre ukrainien Alexey Reznikov a affirmé qu’une invasion russe partant de Crimée, pour approvisionner la péninsule en eau, serait « très coûteuse » pour la Russie.

13. La porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a affirmé :

« Je voudrais attirer votre attention sur le discours d’hier du président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine. 

Non seulement la partie principale, mais la plus importante part du discours concernait nos problèmes internes, le développement interne, notre façon de vivre, de surmonter les conséquences de la pandémie, d’aller de l’avant, de développer, de résoudre nos problèmes, de fixer des tâches, de fixer des objectifs et de mettre en œuvre tout cela. 

C’est ce qui nous intéresse. Nous n’intervenons pas dans leurs affaires internes, nous n’allons donner des leçons à personne. Cela ne nous intéresse pas et n’en avons pas besoin. Nous nous concentrons sur notre propre développement (…). [Au sujet des pays occidentaux :] Moscou les dérange toujours. Il leur est impossible de vivre plus longtemps dans ce paradigme. C’est une impasse idéologique et tout le monde le comprend très bien. »

14. La venue du président biélorusse Alexandre Loukachenko à Moscou s’est conclu, après plusieurs heures avec le président russe Vladimir Poutine, sur un appel à une coopération économique renforcée.