C’est une mise en scène pour renforcer la vision dominante du monde.
Il existe une tradition française, dénommée la « doctrine Mitterrand« . Elle vise à accueillir en France des gens relevant de la Gauche italienne ayant fait le choix de la lutte armée dans les années 1970-1980, en échange d’un arrêt de la politique. L’Italie a alors feint de protester mais cela l’arrangeait beaucoup que ses « rebelles » disposent d’une porte de sortie individuelle, alors que 10 000 personnes avaient à faire à la justice pour des activités de « terrorisme ».
L’organisation la plus célèbre et la plus large était alors les Brigades Rouges, qui opérèrent par la suite en 1982 une « retraite stratégique » en tant que « Brigades Rouges pour la construction du Parti Communiste Combattant ». Les Brigades Rouges avaient la même idéologie que la « Gauche Prolétarienne » française, qui de son côté passa dans le populisme avant de se dissoudre.
L’État italien est extrêmement strict pour tout ce qui est en rapport avec les Brigades Rouges, au point qu’il existe l’acte d’accusation de « bande armée sans armes ». Les Brigades Rouges sont un tabou absolu, même si depuis quelques années, alors que le pays bascule dans une vague réactionnaire populiste, c’est un thème régulier des médias à l’occasion de rappels d’événements historiques.
Dans ce cadre, l’État italien est revenu à la charge en demandant à la France d’extrader 200 personnes. La France vient de céder au sujet de dix personnes, en prétextant qu’elles seraient liées à des « crimes de sang » et donc non concernées par la doctrine Mitterrand. Ce qui est un non-sens puisque on parle ici de lutte armée de toutes façons…
En pratique, ces gens servent de symbole répressif plus qu’autre chose, puisqu’on parlent de gens insérés en France depuis plusieurs décennies, de manière ouverte, sauf pour Raffaele Ventura, Maurizio Di Marzio et Luigi Bergamin qui sont en fuite. Les sept autres sont Marina Petrella, Giovanni Alimonti, Enzo Calvitti, Roberta Cappelli, Giorgio Pietrostefani, Sergio Tornaghi, Narciso Manenti. Même Nicolas Sarkozy avait refusé d’extrader Marina Petrella en 2008.
Le ministre français de la Justice, Eric Dupond-Moretti, révèle tout à fait la nature idéologique de l’opération en disant :
« Je suis fier de participer à cette décision qui, je l’espère, permettra à l’Italie, après quarante ans, de tourner une page de son histoire, qui est maculée de sang et de larmes (…). Entre 1969 et 1980, cette période qu’en Italie on appelle la période de plomb, ce sont 362 personnes qui ont été tuées par ces terroristes, et 4 490 blessées ».
40 ans après, tourner la page ? La dimension politique est évidente, tout comme l’Élysée assimile la lutte armée italienne au djihadisme :
« La France, elle-même touchée par le terrorisme, comprend l’absolu besoin de justice des victimes. Elle s’inscrit également, à travers cette transmission, dans l’impérieuse nécessité de la construction d’une Europe de la justice, dans laquelle la confiance mutuelle doit être au centre »
Cette affaire n’est de fait rien d’autre qu’une entreprise de guerre psychologique, un moyen de présenter les choses selon un certain angle en ce qui concerne la question du pouvoir. C’est très conforme à une époque de crise où les tensions ne cessent de monter.
Le Monde fournit de manière suivante la biographie des personnes menacées d’extradition :
« Qui sont les sept Italiens arrêtés ?
Marina Petrella
Cette ancienne des Brigades rouges a été condamnée pour le meurtre en décembre 1980 d’un général des carabiniers, ainsi que pour l’enlèvement d’un magistrat en 1982, pour une tentative d’homicide la même année contre un vice-préfet de police de Rome, pour l’enlèvement d’un responsable de la Démocratie chrétienne près de Naples et pour le meurtre de ses deux gardes du corps.
Roberta Cappelli
Cette ancienne brigadiste a été condamnée à la perpétuité, notamment pour « association à finalité terroriste » et pour sa participation à un « homicide aggravé ». Elle est considérée comme responsable du meurtre du général Galavigi en 1980, de celui d’un policier, Michele Granato, en novembre 1979, et d’avoir blessé plusieurs autres personnes.
Sergio Tornaghi
Cet ex-membre des Brigades rouges est accusé notamment du meurtre d’un industriel à Milan, Renato Briano, en novembre 1980, et de celui d’un directeur d’hôpital. Il a été condamné à la perpétuité pour, entre autres, « participation à une bande armée », « propagande terroriste », « attentat à finalité terroriste ».
Enzo Calvitti
Lui aussi membre des Brigades rouges, il a été condamné à une peine de réclusion de dix-huit ans pour des délits d’« association à finalité terroriste » et « participation à une bande armée ».
Giovanni Alimonti
Condamné, entre autres, pour la tentative d’homicide en 1982 d’un vice-préfet de la police de Rome, tout comme Marina Petrella. Il doit exécuter une peine de onze ans et demi de prison, pour « participation à une bande armée » et « association à finalité terroriste ».
Narciso Manenti
Membre des Noyaux armés pour le contre-pouvoir territorial, il a été condamné à la perpétuité pour le meurtre d’un gendarme, Giuseppe Gurrieri, en mars 1979. Réfugié en France, il s’est marié en 1985 avec une Française.
Giorgio Pietrostefani
Cet ancien dirigeant de Lutte continue, un mouvement marxiste ouvriériste, a été condamné à quatorze ans de réclusion pour le meurtre, en 1972 à Milan, de Luigi Calabresi, un commissaire de police.