La passivité est de rigueur. Mais quelle en est la substance ?
Si on est réaliste, alors on voit que la France est totalement passive. Il y a bien des initiatives un peu porteuses ici ou là, mais elles sont éphémères, elles ne modifient pas la société française, elles ne portent aucun enthousiasme. Aucun mouvement, quel qu’il soit, ne parvient à mobiliser, à porter de l’engouement, à toucher les gens, à devenir le vecteur de quelque chose.
Même une horreur comme le Rassemblement National reste numériquement marginal, alors que ses résultats électoraux sont si hauts. On dira que ce n’est pas le meilleur exemple, car l’extrême-Droite correspond au nationalisme, à la dépolitisation, mais il est tout de même remarquable que même un mouvement ayant autant de succès ne charrie rien avec lui sur le plan des idées ou de la culture. Même les religions, qui connaissent un réel engouement depuis dix ans, ne produisent strictement rien, chaque religieux voyant sa démarche comme une aventure spirituelle individuelle, plus ou moins irrationnelle ou fanatique.
Les gens restent profondément à l’écart, d’absolument tout, ils sont repliés sur eux-mêmes : leur ego est leur seul horizon, leur expérience l’unique critère. Ils consomment et ne retiennent rien, ils piochent et ne synthétisent rien. La capacité d’un effort prolongé pour acquérir quelque chose d’élaboré semble absente.
Tout ce qui est une idée de portée générale leur semble d’ailleurs absurde. Si cela ne parle pas à l’ego, cela n’existe pas. Il faut flatter pour exister et ce qui ne flatte pas n’existe pas. D’où le fait que, quant aux choses pratiques, les gens ont la flemme. Si on demande à quelqu’un à un moment, on peut bien l’amener à donner un coup de main, par exemple à une association pour les animaux. Cependant, cela reste ponctuel, la continuité apparaît comme un obstacle infranchissable. C’était comme si faire quelque chose de manière régulière, prolongée, était trop engageant, et surtout pas assez gratifiant.
Si encore les gens vivaient dans un réel confort, dans une atmosphère cosy, en étant à l’aise, on pourrait se dire qu’ils sont corrompus par une certaine mollesse. Qu’ils vivent quelque chose d’agréable, ou du moins de rassurant. Bref, qu’ils seraient naturellement tranquilles, de nature reposée, inscrits dans un bonheur naturel, quoi qu’on en pense.
Mais non, même pas, ils vivent dans un environnement de pression, de concurrence, d’indifférence, leur vie est une course ininterrompue. La passivité n’est pas l’expression d’une tranquillité, mais d’une terrifiante angoisse. Les gens ne sont pas passifs, ils sont dans une course permanente. Pour reprendre cette image classique vue et revue : c’est comme le vélo, si on s’arrête de pédaler, on tombe. C’est du moins ce que pensent les gens, ou plutôt ce qu’ils ont comme inquiétude à l’arrière-plan d’une vie intellectuelle proche de zéro.
Il ne faut pas hésiter à dire ça, parce que l’intelligence dépend de l’Histoire. Ce qui s’inscrit dans l’Histoire, ce qui est porté par l’Histoire, voilà ce qui a de la valeur. Le reste n’est un phénomène secondaire, sans éclat, sans portée, sans substance. Et pour s’inscrire dans l’Histoire, il faut de la culture, pour cerner ce qui est en jeu, ce qui se meut, ce qui est réel. Une telle chose est inaccessible pour des zombies.
Car les Français sont des zombies. Mais aussi des endormis. S’ils sont principalement des endormis, alors la Gauche historique prendra le dessus. C’est absolument certain sur le long terme. S’ils sont principalement des zombies, alors l’extrême-Droite prendra le dessus. Cela semble se profiler à court terme. Cette mise en perspective, toute réaliste, est une réelle exigence pour toute personne de Gauche qui ne veut pas se faire broyer.