Tout acte a un impact culturel et l’initiative des éditions Fayard converge avec une fascination morbide.
Le 2 juin 2021 paraît, aux éditions Fayard, une édition « critique » du livre qu’a écrit Adolf Hitler en prison dans les années 1920 : Mein Kampf (« Mon combat »). C’est le manifeste du national-socialisme dans sa version hitlérienne, le mouvement national-socialiste avec déjà la croix gammée le précédant de peu avec Rudolf Jung. Adolf Hitler y expose sa vision du monde, avec notamment le rôle des SA pour appuyer une contre-révolution au sein des institutions, pour mener une « révolution conservatrice« .
Cette édition critique est issue du travail de Florent Brayard et Andreas Wirsching, qui ont analysé avec leur équipe ce brûlot antisémite qu’est Mein Kampf. Ils l’ont déboulonné, c’est-à-dire « déconstruit », se plaçant ainsi dans la lignée des historiens post-modernes pour qui les choses doivent être déconstruites pour être expliquées, parce qu’elles formeraient avant tout un « discours ». C’est ce que souligne la PDG des éditions Fayard au quotidien Le Parisien :
« Notre intention n’a jamais été de republier Mein Kampf. C’est une totale fake news.
Nous proposons tout le contraire, à savoir une déconstruction ligne à ligne du texte d’Hitler, grâce à l’éclairage critique d’une équipe d’historiens qui comptent parmi les meilleurs spécialistes du nazisme : il y a une introduction avant chaque chapitre et près de 2800 notes pour encadrer cette logorrhée nazie.
Au total, ces analyses sont deux fois plus volumineuses que le texte. Notre objectif, c’est de lutter contre l’obscurantisme, de démythifier Mein Kampf. »
Le ton défensif employé témoigne de ce qui relève d’une inquiétude face aux polémiques, dans ce qui consiste en une vraie problématique. Car s’il est évident qu’il est nécessaire d’apporter une analyse critique d’un ouvrage malsain et criminel comme « Mein Kampf », cette édition contenant le texte d’origine a provoqué un coup de projecteur sur le livre lui-même. Et c’est bien le problème. « Mein Kampf » n’est pas seulement un ouvrage, ce n’est pas un « discours », c’est un marqueur idéologique.
Voyons les choses telles qu’elles sont. D’un côté, les historiens à l’œuvre permettent d’appréhender le national-socialisme en tant qu’idéologie, montrant que les nazis ne sont pas des « fous » tombés du ciel, mais un produit de l’Histoire (en l’occurrence l’histoire allemande). C’est le bon aspect. Il est important de contextualiser, de cerner les éléments historiques des propos. Encore est-il qu’on n’a pas besoin de l’ensemble de la traduction de « Mein Kampf » pour ça. Mais passons.
De l’autre, en remettant Mein Kampf au centre de la question nazie, les historiens refont de l’ouvrage un mythe, un élément « porteur », un message de « portée », une œuvre particulière et particulièrement importante, incontournable, etc. C’est le mauvais aspect.
Alors, qu’est-ce qui compte le plus? Les faits parlent d’eux-mêmes.
L’ouvrage est cher : cent euros. Autant dire qu’il est inaccessible pour les gens. Les 10 000 exemplaires iront ainsi surtout dans les institutions universitaires. Notons ici qu’il ne s’agit pas ici d’une question de profits : Fayard a annoncé renoncer à tout bénéfice pour reverser le tout au Mémorial d’Auschwitz.
Comme il est inaccessible par son prix, ce qui reste ce n’est pas l’ouvrage (que personne n’achètera), mais l’initiative culturelle de republier Mein Kampf en édition critique. Ce qui signifie plus précisément: celle de republier Mein Kampf. En effet, comme cela coûte cent euros personne ne le lira. Comme personne ne le lira, la dimension critique de l’édition devient totalement secondaire. Ce qui va rester comme écho dans la société, c’est… on a réédité Mein Kampf. Rien de plus.
On peut ainsi dire, on doit dire : à l’heure où dans les sondages Marine Le Pen est donnée au coude à coude avec ses potentiels rivaux au second tour de la Présidentielle de 2022, il est erroné d’avoir comme préoccupation de rééditer le livre pour les historiens seulement, d’une part, et sans voir à quoi cela contribue indirectement sur le plan culturel, d’autre part.
Rééditer le livre, même sous une forme critique, c’est remettre une pièce dans la machine, c’est relancer un mythe et le traducteur lui-même valorise la théorie que Mein Kampf aurait une réelle « présence » historique.
Mais où ces gens ont-ils vu que Mein Kampf serait parmi nous? Mais quel non-sens au point de vue démocratique !