L’organisation Attac a représenté dans les années 2000 la quintessence de tout un courant « altermondialiste » en France, critiquant le libéralisme économique en affirmant qu’il était possible de réguler le capitalisme en s’attaquant notamment à l’évasion fiscale.
Il est tout à fait logique qu’Attac ait porté une grande attention à l’accord des ministres des Finances du G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon et Royaume-Uni) au sujet d’un taux d’impôt minimal mondial sur les sociétés. C’était historiquement, pour résumer dans les grandes lignes, la grande revendication d’Attac… Et c’est en 2021 un grand échec.
L’organisation est obligée de constater dans son communiqué du samedi 5 juin 2021 que tout cela ne rythme à rien. Le problème de fond est contourné par à un discours « ultra » où il est prétendu qu’il faudrait encore « plus ». En réalité, on comprend à la lecture du communiqué qu’il n’y a pas grande chose à attendre de ce genre de considération.
L’altermondialisme s’est imaginé durant les années 2000 pouvoir contourner la lutte des classes et la bataille du socialisme pour dépasser le capitalisme. En 2021, il apparaît de plus en plus évidant qu’aucune avancée n’aura lieu sans la lutte des classes et la bataille du socialisme pour dépasser le capitalisme.
Voici le communiqué d’Attac que l’on sent plein d’amertume :
« Taux de 15 % sur les multinationales : une non-avancée historique
Les ministres des finances du G7 ont donné leur accord à l’instauration d’un taux d’impôt minimal mondial sur les sociétés (IS) d’« au moins 15% » (communiqué commun publié samedi 5 juin [1]). La satisfaction qu’ils ont affichée et leur empressement à présenter cette décision comme une « avancée historique » montre qu’aucun ne veut faire plus et mieux. En réalité, l’histoire retiendra surtout que, dans une période exceptionnelle, et alors que le nouveau Président des États-Unis avait lui-même proposé un taux minimum de 21 %, cet accord constitue une réelle « non-avancée ».
Le bénéfice à attendre de cette mesure est marginal à court terme : il atteindrait 2,5 à 4 milliards d’euros au maximum en France contre 16 milliards avec un taux de 21%. A long terme, il peut même être négatif. Certes, des recettes peuvent être dégagées par l’application de ce taux aux multinationales du numérique et à celles présentes dans des paradis fiscaux : encore faut-il s’assurer qu’il n’y aura aucune fuite de base imposable… Mais surtout, ce faible taux continuera par ailleurs de nourrir l’intense concurrence fiscale qui se traduit, notamment, par une course à la baisse des taux nominaux et réels de l’IS. Les données de l’OCDE [2] montrent que le taux légal moyen de l’IS a déjà fortement baissé : il a reculé de 7,4 points entre 2000 et 2020. Elles montrent aussi [3] que, sur 36 pays étudiés, seuls 3 (L’Irlande, le Chili et la Hongrie) présentent un taux nominal d’IS inférieur en 2021. Les gouvernements des pays qui présentent un taux nominal plus élevé pourraient arguer qu’il faut s’aligner sur ce taux de 15 %. Avec pour conséquences des pertes budgétaires importantes et une aggravation de l’injustice fiscale et sociale.
Par ailleurs, rien n’est précisé sur l’assiette sur lequel il sera calculé. Les travaux menés au sein de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) montrent qu’il existe une possibilité selon laquelle ce taux ne s’applique qu’à une partie des bénéfices. Ce qui réduirait d’autant plus le faible intérêt de ce taux. Cette crainte est d’autant plus fondée que le communiqué du G7 finances évoque « une solution équitable sur l’attribution des droits d’imposition, les pays du marché se voyant attribuer des droits d’imposition sur au moins 20 % des bénéfices dépassant une marge de 10 % pour les entreprises multinationales les plus grandes et les plus rentables ». Le bénéfice sur lequel se calculerait ce taux risque donc d’être bien réduit… Il y a cependant fort à parier que les États et les intérêts perdants (car il y en a tout de même) feront pression sur les futures négociations, quand bien même ils ont eu satisfaction sur une grande partie de leurs demandes… Enfin, suivant la méthode de répartition et de calcul retenue, cet accord pourrait surtout bénéficier aux pays riches et oublier les pays pauvres et en développement si la répartition du léger surplus s’effectue vers les pays où les multinationales ont leurs sièges.
Ce projet de taux minimum d’IS de 15 % montre que la volonté politique de combattre l’évasion fiscale et de faire en sorte que chacun paie sa « juste part » est déficiente. C’est donc une occasion manquée dans un contexte où les États ont tous besoin de ressources supplémentaires et de cohésion sociale. En choisissant un taux plus bas que celui proposé par Joe Biden, les gouvernements ont raté une occasion qui, pour le coup, aurait pu constituer une véritable avancée. Ils ont de facto choisi de ne pas se dégager de marges de manœuvre supplémentaires pour faire face aux conséquences de la crise et aux enjeux sociaux et écologiques. Ils ont également choisi de maintenir des différences entre les grands groupes et les PME, qui subissent de longue date un taux réel d’imposition supérieurs. En d’autres termes, faisant le choix du taux minimum le plus bas possible (2,5 point au dessus de celui de l’Irlande…) mais le maximum en termes de communication, ils ont fait le choix du maintien de l’injustice fiscale et sociale.Au fond, la seule nouveauté aura été de parvenir à un accord sur un sujet important. Pour Attac, la perspective d’un taux mondial minimum à 25 % calculé sur l’ensemble des bénéfices aurait constitué une avancée majeure. Plus que jamais, une taxation unitaire, calculée sur l’ensemble des profits mondiaux et répartie selon des critères objectifs, permettrait de neutraliser la concurrence fiscale et de combattre l’évasion fiscale, tout en donnant de réelles marges de manœuvre aux États pour financer les enjeux sociaux, écologiques et économiques auxquels ils font face.
Notes
[1] Policy paper, G7 Finance Ministers and Central Bank Governors Communiqué, Updated 5 June 2021.
[2] OCDE, Statistiques sur l’impôt sur les sociétés, deuxième édition, 2020.
[3] Overall statutory tax rates on dividend income, OCDE.stat »