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Les discours de rupture Russie-Ukraine

Chaque pays dénie l’existence de son voisin, servant la guerre.

Chaque pays dénie l’existence de son voisin, servant la guerre.

C’est secondaire en ce qui concerne la menace internationale de guerre, mais il est important de se pencher sur les discours servant à légitimer la guerre. La Russie et l’Ukraine, depuis quelques semaines, développent un discours fanatique. Aux yeux de la Russie, l’Ukraine n’existe pas, ce sont de vagues paysans russes en périphérie. Pour l’Ukraine, la Russie est un monstre avec laquelle elle n’aurait jamais eu de rapport. Ce sont des visions fantasmagoriques, intenables heureusement pour les populations russe et ukrainienne. C’est cependant un véritable danger.

Le 12 juillet 2021, le président russe Vladimir Poutine a publié un long article intitulé « Sur l’unité historique des Russes et des Ukrainiens ». Initialement, il constate bien que les Ukrainiens n’ont pas choisi de s’aligner sur la Pologne devenant catholique, qu’ils sont restés dans le style slave orthodoxe, dans la perspective russe historique, d’ailleurs née à Kiev, la capitale de l’Ukraine actuelle.

Puis, il affirme que la Russie a été volée par les bolcheviks, qui ont arraché l’Ukraine pour en faire une entité fictive. Il faut se rappeler ici que l’ukrainisation organisée par les bolcheviks est la base même de l’affirmation nationale ukrainienne, étant donné que le pays était auparavant totalement réprimé par le Tsar. La reconnaissance nationale de l’Ukraine par les bolcheviks est inacceptable pour Vladimir Poutine qui regrette clairement l’ancien tsar.

« Dans les années 1920 et 1930, les bolcheviks ont activement promu la politique d' »indigénisation », qui a été menée en RSS d’Ukraine sous le nom d’ukrainisation. Il est symbolique que dans le cadre de cette politique, avec l’assentiment des autorités soviétiques, M [ykhaïlo]. Hrushevsky, l’ancien président de la Central Rada, l’un des idéologues du nationalisme ukrainien, qui a jadis bénéficié du soutien de l’Autriche-Hongrie , est retourné en URSS et a été élu membre de l’Académie des sciences.

« L’indigénisation » a incontestablement joué un grand rôle dans le développement et le renforcement de la culture, de la langue et de l’identité ukrainiennes. Dans le même temps, sous couvert de combattre le soi-disant chauvinisme des grandes puissances russes, l’ukrainisation était souvent imposée à ceux qui ne se considéraient pas comme Ukrainiens. 

C’est la politique nationale soviétique – au lieu d’une grande nation russe, un peuple trinitaire composé de Grands Russes, de Petits Russes et de Biélorusses – qui a consolidé la disposition sur trois peuples slaves distincts au niveau de l’État : russe, ukrainien et biélorusse.

En 1939, les terres précédemment saisies par la Pologne sont restituées à l’URSS. Une partie importante d’entre eux est annexée à l’Ukraine soviétique. En 1940, une partie de la Bessarabie, occupée par la Roumanie en 1918, et le nord de la Bucovine sont entrés dans la RSS d’Ukraine. En 1948 – l’île aux serpents sur la mer Noire. En 1954, la région de Crimée de la RSFSR a été transférée à la RSS d’Ukraine – en violation flagrante des normes juridiques en vigueur à l’époque.

Je parlerai séparément du sort de la Russie subcarpatique, qui, après l’effondrement de l’Autriche-Hongrie, s’est retrouvée en Tchécoslovaquie. Une partie importante des résidents locaux étaient des Rusynes. On se souvient peu de cela maintenant, mais après la libération de la Transcarpatie par les troupes soviétiques, le congrès de la population orthodoxe de la région a appelé à l’inclusion de la Rus subcarpatique dans la RSFSR ou directement dans l’URSS – en tant que république distincte des Carpates. Mais cette opinion des gens a été ignorée. 

Et à l’été 1945, il a été annoncé – comme l’écrit le journal « Pravda » – l’acte historique de la réunification de l’Ukraine transcarpathique « avec sa patrie de longue date – l’Ukraine ».

Ainsi, l’Ukraine moderne est entièrement le fruit de l’ère soviétique. Nous savons et nous nous souvenons qu’il a été créé dans une large mesure aux dépens de la Russie historique. Il suffit de comparer quelles terres ont été réunies à l’État russe au XVIIe siècle et avec quels territoires la RSS d’Ukraine a quitté l’Union soviétique.

Les bolcheviks considéraient le peuple russe comme un matériau inépuisable d’expérimentations sociales. Ils rêvaient d’une révolution mondiale qui, à leur avis, abolirait complètement les États-nations. Par conséquent, les frontières ont été arbitrairement coupées et de généreux « cadeaux » territoriaux ont été distribués.

 En fin de compte, ce qui a guidé exactement les dirigeants des bolcheviks, coupant le pays, n’a plus d’importance. Vous pouvez discuter des détails, du contexte et de la logique de certaines décisions. Une chose est claire : la Russie a en fait été volée. »

Conclusion : l’Ukraine doit revenir à la Russie et Vladimir Poutine donne comme exemple de rapport… celui des États-Unis et du Canada modèle, celui de l’Allemagne et de l’Autriche. C’est ni plus ni moins qu’un appel à une satellisation, à une pseudo-indépendance.

Du côté ukrainien, on n’est pas en reste. Le ministre de la réintégration des territoires temporairement occupés d’Ukraine, Oleksiy Reznikov, a affirmé que 500 000 Russes se sont installés en Crimée depuis l’annexion en Russie : ils seront expulsées par la force une fois le territoire repris. On peut comprendre la logique de la démarche, cependant l’approche est uniquement militariste : il s’agit de faire de la Crimée une sorte de vaste base militaire anti-russe.

D’où la nouvelle loi sur les minorités nationales, plus précisément sur les peuples indigènes d’Ukraine. On parle ici des Tatars de Crimée, des Karaïtes et des Krymchaks. Il s’agit de trois communautés turcophones de Crimée, les deux dernières consistant en des petites communautés juives de moins de deux mille personnes. Voici un exemple de ce que donne culturellement les Krymchaks.

La reconnaissance des cultures est une bonne chose, si elle vise à l’échange, à la fusion, mais malheureusement l’Ukraine fait clairement cela pour s’allier à la Turquie et lancer une opération commune de récupération de la Crimée. C’est la reprise de ce qu’avaient tenté avec un certain succès l’Allemagne nazie (puis la Turquie pro-américaine juste après 1945), aboutissant à la déportation de 180 000 Tatars de Crimée à l’intérieur de l’Union Soviétique.

L’Ukraine fait ainsi d’une pierre deux coups. La loi sur les indigènes permet d’accentuer le rapprochement avec la Turquie.

Et la loi sur les indigènes n’intègre pas les Russes du pays et ne protège donc pas leur langue, visant à casser tout lien avec la Russie. La langue russe est désormais chassée de l’éducation, des médias et des entreprises. Cela ne peut pas être unilatéral bien sûr de par le poids du russe à travers le pays, principalement dans la partie orientale (d’ailleurs le buteur de l’euro Artem Dovbyk s’est fait réprimandé pour avoir répondu en russe à une interview lors de l’euro 2020 cet été 2021).

On notera qu’il y a également ici une question slave qui est en jeu. Après la scission silencieuse tchèque-slovaque, l’affrontement meurtrier croate-serbe, la cassure entre la Russie et l’Ukraine marquerait la destruction définitive d’une aire culturelle.

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