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Le skateboard aux Jeux Olympiques, autre escroquerie de l’époque

Un véritable tour de force qui transforme l’âme du skateboard.

Lancés ce 23 juillet 2021 à Tokyo au Japon, les Jeux Olympiques voient pour la première fois le skateboard comme discipline olympique. Un véritable tour de force qui transforme l’âme du skateboard.

Les 25-26 juillet ont eu les premières épreuves de skateboard, celle de « street », avec un skate park construit à l’image du mobilier urbain normalement utilisé par les skateurs pour réaliser leurs figures, leurs « tricks ».

Suivront début août celles de « park », ou plutôt de « bowl » qui signifie une sorte de piscine en béton.

Parmi les 8 skateurs « olympiques », deux français ont été sélectionnés pour représenter la France, Aurélien Giraud et Vincent Milou. Coachés, suivis par des médecins attitrés, habillés par la grande marque française Lacoste, le skateboard voit là une bien triste page de son histoire s’écrire. Sans lui ou malgré lui, cela l’histoire le dira.

Combien d’autres cultures ou éthiques dites « alternatives » se sont-elles fait prendre au jeu de l’intégration facile au système dominant ? Car les esprits les plus constructifs tentent bien de trouver un aspect positif à la présence du skateboard aux JO, celles-ci aidant à une certaine forme de reconnaissance officielle. Une reconnaissance qui aiderait les projets en tout genre…

Certes, mais c’est là se leurrer quant à la finalité d’une reconnaissance de la société capitaliste. Qui ne voit pas d’ailleurs fleurir des skate parks partout en France ? Voilà maintenant que s’ajoutent à la Fédération française de roller et de skateboard des tas de « clubs » pilotés par des « professeurs ».

Les municipalités qui financent ces organisations et ces lieux de pratique ont en tête l’idée de faire rayonner, de peser et pourquoi pas de « créer des champions ». Aurélien Giraud, qui a terminé sixième le premier jour, est l’incarnation même de ce type de figure-athlète.

Et cette tendance va en s’accentuant avec l’hyper-médiatisation liés aux réseaux sociaux, où certains parlent de « carrière » ou de « mercato », quand d’autres obtiennent des sponsors de Louis Vuitton, avec même des skateuses hyper-sexualisées qui acceptent des publicités…pour des préservatifs.

Rien n’est bon dans une telle direction. Car le skateboard ce n’est pas le football. Non pas que le football soit quelque chose à fustiger, tout au contraire : c’est un sport qui s’assume comme tel et c’est là faire preuve d’une démarche sincère. A l’inverse, le skateboard n’est pas un sport et tenter de l’intégrer dans ce sens, c’est le vider de sa substance historique.

Et le grand critère pour juger qu’une chose va dans le bon sens, c’est la sincérité et l’authenticité. Un sport est un sport, et un état d’esprit alternatif est un état d’esprit alternatif.

Il est vrai qu’il existe des compétitions de skateboard depuis toujours. Mais entre participer à des compétitions mondiales, organisées sur le mode du show à l’américaine telle que la « Street League » ou les « X Games », ce qui est déjà en soi critiquable, et intégrer les Jeux Olympiques, il y a un gouffre.

Car il y a une différence de fond entre participer à un circuit qui vise une reconnaissance à l’intérieur d’une scène aux codes bien déterminés, et une reconnaissance grand public, ou du moins de type médiatique. On peut dire que c’est là être mauvais esprit, mais si l’on est authentique et vrai, on sait bien que le skateboard n’est pas un sport, et encore moins une discipline olympique.

Preuve en est la déclaration de Vincent Milou, un « sélectionné » de l’équipe de France de skateboard, à propos des contrôles anti-dopages qui nécessitent aux « athlètes » de voir leur planning être régulièrement contrôlé pendant trois mois avant la compétition. Voici ce qu’il dit dans un reportage de Canal + sur le « dilemme olympique » du skateboard :

« C’est un planning sur trois mois. Tu dis trois mois à l’avance ce que tu fais, je sais pas quelqu’un qui fait de l’athlé [athéltisme] c’est facile pour lui : de 8h à 10h il va au stade à l’entrainement. Enfin, nous on a pas ça, c’est impossible, on va skater à la dernière minute, tu vas à droite, à gauche, tu vas à un spot c’est mouillé, tu vas à un autre spot »

Et Vincent Milou a raison : il est impossible de codifier le skateboard, car ce n’est pas là son essence. A moins de vendre son âme au diable, il est impossible de dire oui à l’origine, et oui à l’intégration-codification. Le skateboard c’est un style de vie qui prend tout entier une personnalité, à telle point qu’elle est entièrement façonnée par l’état d’esprit « skate ».

Il suffit de voir comment un skater analyse une ville pour se rendre compte que c’est une démarche totale, qui porte en elle une sorte de critique d’un monde urbain aseptisé et formalisé par des tas de règlements qui cloisonnent et enferment. Le mot d’ordre du skate, c’est justement de dire : libère toi des codes urbains qui enferment, dessines-toi ta subjectivité urbaine.

Le skateboard c’est une réaction à l’urbanisation, une tentative de se libérer du carcan de monde bétonisé en se l’appropriant pour mieux le détourner. Ce n’est pas mesurable par une note, pas plus que l’on s’entraine pour se réaliser. Il y a bien un effort physique, une dépense d’énergie, mais c’est là secondaire car ce qui compte ce n’est pas tant la performance physique que la réalisation subjective.

Quelle hypocrisie de voir que ce soit Yuto Horigome qui termine médaillé d’or pour les hommes et Momiji Nishiya pour les femmes alors même que le centre-ville de Tokyo est interdit au skateboard, les skateurs nippons étant obligés de skater la nuit pour éviter les restrictions et les mentalités hostiles…

Le skateboard deviendrait-il un loisir comme les autres ? Tout cela est à l’image d’un Geoff Rowley, figure historique du skateboard des origines et qui, végétalien pendant plus de 10 ans, a décidé de tout arrêter…pour devenir chasseur ! Mais l’on pourrait citer l’arrivée si facile de Nike dans le milieu cette dernière décennie, ou plus récemment de New Balance, ou encore l’inflation de la posture d’égo-trip sur Instagram.

Il n’y a qu’à voir comment la personnalité de Rayssa Leal, une jeune skateuse brésilienne (née en 2008 !), est utilisée par la compétition de type capitaliste.

Rayssa Leal

De deux choses l’une : ou bien le skateboard est à tournant de son histoire, avec la tendance à s’intégrer dans le « game », ou bien l’arrivée du skateboard aux Jeux Olympiques de 2021 n’aura été qu’une parenthèse d’une anomalie historique de la décennie 2010.

Car heureusement, l’identité historique de l’esprit skate est toujours là, belle et bien vivante, formant toujours le coeur même de la démarche… mais quel sera à terme l’impact de cette tendance qui n’en finit pas d’enfler et que l’on peut qualifier, malencontreusement, de « skate business » ?

Le souffle des années 1990, celui qui a forgé cet état d’esprit particulier doit-il s’évaporer dans le business ? Peut-être, et les plus avisés remarqueront que la vague vegan et straight edge, si connectée dans ces années-là au skateboard, ne s’est d’ailleurs finalement pas vraiment cristallisé dans ce même milieu.

Car les skateurs sont au fond des personnalités à l’esprit alternatif et décontracté pour sûr, mais avant tout individuel voire individualiste : tolérons les choses et vivons notre « truc » à la marge… sauf que la marge reste justement peu de temps une marge, car la pression sociale et sociétale est toujours intense.

Et à un moment il faut dessiner des lignes rouges à ne pas franchir. Peut être est-ce là le drame actuel du skateboard confronté à son « tournant olympique » ?

Décidément, les années 2020 vont être la décennie du tri sélectif entre ce qui est authentique et ce qui s’est fait corrompre par la facilité capitaliste.