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Le drame programmé de la convergence d’ultra-gauche avec les anti-pass sanitaire

Cela va tourner encore plus mal qu’avec les gilets jaunes.

Cela va tourner encore plus mal qu’avec les gilets jaunes.

Initialement, il y avait parmi les gilets jaunes de nombreux activistes d’extrême-Droite. L’ultra-gauche a largement contribué à les chasser et s’en est félicité. Sauf que ce qu’elle n’a pas compris, c’est que ces activistes d’extrême-Droite avaient une marge de manœuvre d’expression très restreinte en raison de la grossièreté politique de leurs conceptions. Ils et se contentaient de jouer aux plébéiens.

Le résultat, c’est ainsi que l’ultra-gauche a simplement remplacé les activistes d’extrême-Droite dans ce rôle de plébéien. Ce faisant, ils se coulaient eux-mêmes sur le plan des idées et de la culture, tout en contribuant à la confusion en donnant de la valeur au mouvement réactionnaire, crypto-fasciste, des gilets jaunes.

Cela peut sembler discutable pour certains, mais on en a désormais la preuve, avec la manière dont l’ultra-gauche court derrière les anti-pass sanitaire. Il y a un opportunisme sans bornes, sans limites, qui ne peut que découler du fait d’avoir vendu son âme politique.

On a ainsi le site « Révolution permanente », expression d’une tendance du Nouveau Parti Anticapitaliste comptant fonder un parti trotskiste de masse, qui a ouvertement appelé à la manifestation du 31 juillet 2021. Et cela sur une base plébéienne-populiste:

« Après la réussite des mobilisations de la semaine dernière, de nombreux appels ont été lancés dans toute la France pour manifester ce week-end contre le pass sanitaire. Face aux attaques liberticides et antisociales, et contre l’extrême-droite qui tente de récupérer la colère, manifestons ce samedi ! (…)

La semaine dernière, les mobilisations contre le pass sanitaire se sont amplifiées, avec 160 000 manifestants dans toute la France selon l’Etat. Un élargissement de la mobilisation qui est allée de pair avec une radicalité certaine, comme à Poitiers où les manifestants ont envahi la mairie pour décrocher un portrait de Macron. De même, malgré la répression, à Paris les Gilets jaunes ont réussi à se rendre jusqu’aux Champs Élysées.

Ce samedi, un nouvel appel à se mobiliser dans toute la France a été lancé. Comme les samedis précédents, le mot d’ordre central demeure l’opposition au pass sanitaire. Une revendication qui n’empêche pas plusieurs appels de mettre en avant le lien entre cette attaque autoritaire et les attaques anti-sociales du gouvernement, comme à Lannion, où une manifestation est appelée « pour la défense (des) droits sociaux et (des) libertés ».

A Paris, des collectifs de gilets jaunes et des collectifs militants appellent de leur côté à manifester au départ de Villiers : « Contre le pass d’identité sanitaire ; Pour un accès libre, éclairé et équitable au vaccin ; Pour la levée des brevets des vaccins et Contre les réformes antisociales. » « 

Il est bien parlé de « colère », face à des attaques « liberticides et antisociales ». Ce vocabulaire n’a rien à voir avec celui de la Gauche historiquement. Et on parle là d’une structure insistant pourtant sur l’importance des idées, du patrimoine idéologique trotskiste !

Et le justificatif-clef, ce sont les gilets jaunes. S’ils sont là, c’est que c’est bien et qu’il faut y aller !

Même l’organisation « Lutte Ouvrière » a d’ailleurs craqué. Elle avait pourtant, et avec raison, réfuté les gilets jaunes. Mais la peur de passer à côté de quelque chose qui bouge l’a emporté, la digue a cédé. Le résultat est que le trait est ultra-forcé : il est expliqué que les gens ont tout faux, mais qu’ils ont raison. On a ainsi droit à un article élogieux sur la « colère » contre le pass sanitaire.

« Le 24 juillet, des manifestations ont réuni de nouveau en France des dizaines de milliers de personnes s’opposant au passe sanitaire : 160 000 au total, plus que le samedi précédent où 114 000 personnes avaient manifesté.

À Paris, où 11 000 personnes ont défilé, comme à Strasbourg où les manifestants étaient 4 000, ou encore à Toulouse où ils étaient plus de 2 500 et des milliers à Nice, les banderoles dénonçaient majoritairement les atteintes à la « liberté », « la dictature sanitaire », « le passe de la honte », ou appelaient Macron à la démission.

Derrière ces slogans se sont ainsi regroupés des soignants, des salariés directement concernés par le passe sanitaire et craignant d’être licenciés, des chômeurs ou retraités avec ou sans gilet jaune, mais aussi bien d’autres catégories sociales, dont des restaurateurs et autres petits patrons. Nombre de politiciens de droite et d’extrême droite y ont vu une occasion de se montrer avec du monde derrière eux, comme le président des Patriotes et ex-numéro deux du RN, Florian Philippot, à Paris.

La colère se manifeste contre le passe sanitaire et les autres contraintes décidées par le gouvernement et votées finalement par le Parlement. Cette colère touche bien sûr les travailleurs, dont certains ont participé aux manifestations. L’obligation vaccinale et le passe sanitaire sont en quelque sorte la goutte d’eau qui fait déborder le vase, car le mépris de classe du gouvernement s’est, une fois de plus, étalé au grand jour. »

Suit alors évidemment le discours comme quoi la colère doit s’exprimer non pas au sujet des libertés, mais sur une base revendicative. Cela est formulé ainsi dans l’éditorial du 2 août 2021:

« Les manifestations contre la loi sanitaire de Macron se sont poursuivies dans toute la France. Protester contre ces mesures est légitime.

Pas au nom de la défense des libertés individuelles, mais pour affirmer la nécessité, au nom de l’intérêt collectif, d’exproprier sans indemnité ni rachat les grands trusts de l’industrie pharmaceutique et de les mettre sous le contrôle de la population. Les agissements de ces groupes montrent que c’est la seule façon d’empêcher que la santé publique dépende des décisions d’actionnaires guidés uniquement par la recherche du profit. »

C’est une ligne plébéienne-populiste. La colère est juste, mais elle se trompe de direction, il faut accompagner celle-ci, etc. La position de « Lutte Ouvrière » est d’autant plus absurde qu’elle reconnaît elle-même que la mobilisation ne porte rien de bien.

On a une approche similaire avec la CNT-Solidarité ouvrière, qui dénonce un pass sanitaire liberticide, contre lequel il faudrait exprimer sa colère.

Il est pourtant expliqué en même temps qu’il faut systématiser la vaccination ! Mais comment vérifier la vaccination générale sans le pass sanitaire ? L’incohérence saute aux yeux. Mais rien à faire : la tentation de converger avec la protestation plébéienne-populiste l’emporte sur ses propres principes, jusqu’à l’incohérence la plus complète.

« Nous contestons le choix de cet outil autoritaire et liberticide comme mode de gestion de l’épidémie. Depuis des années, la France s’enfonce déjà dans une société de flicage permanent et il faudrait maintenant constamment badger via un smartphone et subir des contrôles pour des activités du quotidien.

C’est insupportable ! Nous dénonçons aussi le dangereux mélange des genres induit par le pass : ce n’est pas aux employeurs de contrôler le statut médical des salarié·es ni aux commerçant·es, employé-es ou agent·es publics celui des client·es et usager·ères ! (…)

Il faut combattre l’autoritarisme et la politique de santé défaillante de Macron mais nous devons tous·tes être très vigilant-es face aux réactionnaires, sectaires ou politicien·nes opportunistes qui prêchent par intérêt la confusion. Ce sont souvent les mêmes qui nous gavaient d’explications simplistes niant l’épidémie ou de discours individualistes et égoïstes voulant laisser crever les vieux et les « faibles » qui surfent aujourd’hui sur le refus ou la méfiance de la vaccination. En empêchant de débattre sereinement sur une politique sanitaire réellement protectrice de la population et de nos intérêts de classe, ces discours servent le pouvoir (…)

La question de sa généralisation à toute la population, comme d’autres vaccins qui nous ont libéré de maladies du passé, mérite d’être posée, mais démocratiquement, au contraire des choix actuels.   »     

Cela n’a aucun sens, et l’Union communiste libertaire a la même position. Ici, pas besoin de citer l’article, rien que le titre suffit:

« Non au pass sanitaire, pour une vaccination large et accessible »

Peut-on faire plus absurde ? Et cela a un seul fondement : celui de soutenir les mobilisations anti-pass sanitaire, parce que pour les plébéiens-populistes toute mobilisation est forcément bonne.

On a la même chose chez le Nouveau Parti Anticapitaliste :

« Contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire, les dizaines de milliers de personnes qui se mobilisent ne sont pas une meute d’affreux réactionnaires anti-vaccins. Si l’on retrouve parmi les manifestantEs certaines franges de l’extrême droite et des adeptes des théories complotistes qui ne seront jamais nos alliés, la gauche sociale et politique ne peut rester l’arme au pied.

Répétons-le : la vaccination générale à l’échelle mondiale est le meilleur moyen de stopper la pandémie, la balance bénéfices-risques plaidant absolument en ce sens. Mais disons-le également : c’est par la levée des brevets et par des politiques sanitaires ambitieuses et associant la population que la pandémie sera vaincue, pas par la contrainte et l’extension de la surveillance. L’opposition à la nouvelle loi adoptée à l’assemblée, ainsi qu’aux mesures antisociales qui visent à faire payer la note de la crise au monde du travail, c’est ce que nous continuerons de défendre les semaines qui viennent, y compris en nous joignant, partout où il est possible de porter une telle politique, aux initiatives de mobilisation. »

Un autre exemple assez édifiant est celui du média Acta.zone. C’est un média très développé sur le plan des idées, avec des textes très recherchés, se revendiquant de l’expérience de l’autonomie italienne (tout en cherchant à acquérir du prestige « radical » en parlant des Brigades Rouges pourtant ennemi juré de l’autonomie italienne).

Eh bien là c’est pareil : un très long texte justifie de balancer par-dessus bord tout critère politique, culturel, idéologique… pour se précipiter sur une ligne plébéienne-populiste.

« Si dans ces rassemblements, le fond de l’air paraît plus bleu (bien foncé) que rouge, le non-interventionnisme – qui se déploie dans une partie de la gauche radicale – sur les problématiques fondamentales de la surveillance de masse et de toutes les conséquences induites par la nouvelle mesure gouvernementale a de quoi interroger (…).

L’incapacité de la gauche révolutionnaire à intervenir dans les séquences qui échappent à sa grammaire traditionnelle pourrait surprendre, notamment après les deux années rythmées par le mouvement des Gilets Jaunes (…).

 il est clair que les mobilisations actuelles diffèrent de celles du mouvement des Gilets Jaunes. En effet, il nous semble que jamais ce dernier, de par sa composition, les fondements empiriques de sa colère et ses positions – parfois naïvement – apolitiques, ne se serait laissé mené par des partis et des groupuscules fascistes, ni n’aurait donné la liberté de se faire porte-paroles à des figures aussi politiciennes, opportunistes et nationalistes que Florian Philippot ou Nicolas Dupont-Aignan.

Néanmoins, quelque chose du même ordre se rejoue dans le rapport d’une partie de la gauche radicale aux mobilisations actuelles. Avant d’affirmer que ces dernières sont perdues pour toujours aux mains de forces racistes, antisémites et complotistes, la rigueur minimale nous imposerait de réaliser des enquêtes militantes, dans nos villes respectives, pour cerner la composition sociale et politique réelle des protestations, ainsi que les dynamiques internes qui traversent les positions contre le pass sanitaire. »

Et suit alors une longue explication où il est dit qu’on peut trouver de nombreux éléments positifs chez des anti-pass sanitaire : les « méfiances à l’égard de la vaccination, et la peur d’un usage de celle-ci à d’autres fins que celle de la santé publique », le fait de « mettre en doute les récits hégémoniques, parfois sous forme d’une critique édentée du capitalisme et des formes contemporaines de contrôle social », l’opposition  » au dispositif de contrôle généralisé que représente le pass sanitaire », etc.

C’est lamentable, c’est suicidaire : l’ultra-gauche se précipite dans la liquidation de tout acquis intellectuel, de toute valeur idéologique ou culturel, de toute tradition « révolutionnaire », juste pour satisfaire le besoin « d’en être », se retrouvant ainsi sur une ligne plébéienne-populiste.

Et l’adhésion à cette ligne passe également par le silence complaisant. Les anarcho-syndicalistes et syndicalistes-révolutionnaires de la CNT, fiers de leur apolitisme, ne parlent pas du pass sanitaire, ni même d’ailleurs de la crise sanitaire. On ne trouve rien dans le Combat syndicaliste de l’été 2021.

C’est que l’ultra-gauche, habitué aux protestations vaines et symboliques, sans conséquence, d’une société parmi les plus riches du monde, est totalement perdue dans une situation totalement nouvelle. La crise provoque des mobilisations réactionnaires. Et ne disposant pas de garde-fous, elle se sent obligée de converger.

Ce qui s’annonce, c’est un drame, avec un passage dans le fascisme de pans entiers de gens se voulant tellement à gauche qu’ils vont passer dans le camp de la Droite, en prétendant dépasser les clivages, combattre l’État, vouloir un grand « changement », etc.