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Le mouvement anti-pass sanitaire, une lecture libérale de la liberté

mouvement anti-pass sanitaire brandit sa légitimité au moyen de la revendication de la liberté.

Le mouvement anti-pass sanitaire brandit sa légitimité au moyen de la revendication de la liberté. Accolée à la catégorie floue de « peuple », il n’en fallait pas moins pour que l’ultra-gauche et les éléments contaminés par la pensée libéral-libertaire tombent dans le panneau.

Celles et ceux qui n’ont pas abandonné les rivages du mouvement ouvrier savent qu’il y a deux sortes de liberté : celle du riche et celle du pauvre. Celle du riche, c’est celle qui dit très simplement : laissez-moi vivre, accumuler mes richesses comme bon me semble. Celle du pauvre, à l’inverse, dit : pour être libre, il me faut m’émanciper et cela ne peut se faire que si l’appropriation privée du monde par les riches est limitée, contrainte.

Bref, au fond de la différence de conceptions de liberté, il y a la lutte des classes.

Et cela est vrai depuis qu’existe l’opposition entre la Gauche et la Droite. A l’été 1936, le renégat Jacques Doriot, ex-communiste devenu un fasciste, lançait un « Front de la Liberté » pour contrer les grèves ouvrières majoritaires dans le pays.

Le Front populaire s’était quant à lui fait élire sur le triple mot d’ordre : « pain, paix, liberté ». Et de quelle liberté était-il parlé ? Celles collectives, nichées au coeur de l’émancipation de la classe ouvrière : le droit de tenir une réunion publique sans être agressés par la police ou les bandes fascistes, celle d’animer une cellule syndicale d’entreprise sans craindre la répression patronale, le droit à tenir et diffuser un journal sans crainte de censure.

Pour la Gauche historique, jamais il n’a été question d’une « liberté individuelle » qui flotte en l’air : l’individu s’émancipe dans la libération sociale. La Gauche historique fait sienne la définition proposée par le grand penseur matérialiste, Baruch Spinoza :

« On pense en effet que l’esclave est celui qui agit par commandement et l’homme libre celui qui agit selon son plaisir.

Cela cependant n’est pas absolument vrai, car en réalité être captif de son plaisir et incapable de ne rien voir ni faire qui nous soit vraiment utile, c’est le pire esclavage, et la liberté n’est qu’à celui qui de son entier consentement vit sous la seule conduite de la Raison.

Quant à l’action par commandement, c’est-à-dire à l’obéissance, elle ôte bien en quelque manière la liberté, elle ne fait cependant pas sur-le-champ un esclave, c’est la raison déterminante de l’action qui le fait.

Si la fin de l’action n’est pas l’utilité de l’agent lui-même, mais de celui qui la commande, alors l’agent est un esclave, inutile à lui-même ; au contraire, dans un Etat et sous un commandement pour lesquels la loi suprême est le salut de tout le peuple, non de celui qui commande, celui qui obéit en tout au souverain ne doit pas être dit esclave inutile à lui-même, mais un sujet »

Evidemment, cette approche de la liberté sera par là suite enrichie par l’expérience du mouvement ouvrier, celle de la lutte des classes. C’est cette conception qui veut que la liberté ne flotte pas dans le ciel de la « Raison » mais est liée au rapport de forces entre les classes sociales. Une conception qui fut bien résumé par Lénine, le chef de la social-démocratie russe passé au communisme :

« Dans une société fondée sur le pouvoir de l’argent, tandis que quelques poignées de riches ne savent être que des parasites, il ne peut y avoir de « liberté », réelle et véritable. »

Car le mouvement ouvrier n’a jamais séparé la « liberté » de son revers, l’émancipation collective. A l’inverse, la Droite a toujours liée la liberté au « libre-choix individuel ». Il suffit de voir par exemple le mouvement dit de « l’Ecole libre » lancée par la Droite en 1984, contre la Loi Savary qui visait à établir un système d’enseignement public unique, brisant ainsi la compromis avec les écoles privées sous contrat.

C’est le même sens pour un Pierre Poujade qui s’affiche en 1956 sous le slogan « Liberté, Vérité, Justice », un triptyque que l’on retrouve d’ailleurs dans les manifestations anti-pass sanitaire.

Le fonds de la démarche protestataire de Droite, c’est la liberté de choisir ceci ou cela, permis par le fait qu’on est affranchit individuellement des contraintes sociales et économiques. On est riche et « on peut ». Il faut être bien fou pour ne pas voir que les plus riches, tout comme certains secteurs capitalistes, sont les premiers à vomir le pass sanitaire, vu comme une entrave à la consommation individuelle.

Pour les classes populaires, pouvoir c’est toujours faire face à l’insécurité économique, aux conditions sociales, à l’aliénation culturelle : pour pouvoir, il faut s’émanciper collectivement il n’y a pas d’autres choix, si ce n’est celui de s’en sortir « comme on peut ».

On arguera que le problème c’est justement que la mentalité du riche a contaminé des pans entiers de la population, ensevelie sous l’océan d’une consommation marchande abondante, et cela est vrai.

D’où la nécessité d’une Gauche forte, d’une Gauche capable d’élever le niveau de conscience populaire. Une Gauche qui fasse sienne l’idée que par temps de pandémie mondiale, le vaccin est un moyen qui est là, dont on ne peut que fatalement se saisir. Une campagne de vaccination qui doit obligatoirement être surveillée, contrôlée, pour la liberté, non pas d’un tel ou un tel, mais de tous, quel que soit l’état de santé.

Prétendre que l’on peut faire autrement, que l’on peut « choisir », que l’on peut s’affranchir d’un contrôle administratif, cela n’a aucun sens sauf celui de saper toute perspective de libération collective. C’est saper la nature même de ce qui fait la Gauche depuis deux siècles.