C’est un aperçu « sociologique » révélateur.
Jean-Luc Mélenchon a accordé une interview au Nouvel Obs à la fin octobre 2021, ce qui est un exercice risqué pour lui. Le Nouvel Obs, c’est en effet la « seconde gauche », c’est-à-dire l’alliance des radicaux de gauche, des banquiers de gauche, des intellectuels de gauche du quartier latin, de la gauche caviar du Parti socialiste.
Jean-Luc Mélenchon a été au Parti socialiste pendant quarante ans, il est issu de cette « seconde gauche », opposée à la Gauche historique au nom d’un capitalisme moderniste et social, voire carrément post-capitaliste (comme l’espéraient le PSU et la CFDT des années 1970). Mais il l’a quitté en prônant le populisme qui se veut transformateur et « utopiste ». Cela a provoqué un grand conflit mais en raison des élections présidentielle de 2022, Jean-Luc Mélenchon arrondit les angles.
Et, dans cette interview, il est un passage très intéressant sur la classe moyenne supérieure qui « hésite » justement. C’est même remarquable. En effet, la classe moyenne supérieure est ni plus ni moins qu’aux portes de la bourgeoisie socialement parlant et même il faut d’ailleurs plutôt ici parler de « bourgeoisie intellectuelle ».
C’est tout à flagrant d’ailleurs vu comment Jean-Luc Mélenchon en parle et en en parlant comme il le fait au Nouvel Obs, dont cette bourgeoisie intellectuelle est le public (les publicités pour les logements chics et les montres de luxe en font foi), il dit: attention ex-amis de la seconde gauche, nous avons le même public et nous risquons tous deux de tout perdre.
On notera, intellectuellement, la chose suivante. Tout d’abord, une classe ne peut pas flotter, si on prend le marxisme, et d’ailleurs il n’y a pas de « classe moyenne ». Ce serait anti-dialectique pour le marxisme d’avoir une troisième classe en plus des deux camps opposés. La « classe moyenne » est donc une couche sociale petite-bourgeoise qui oscille justement car elle n’est pas une classe. On remarquera au passage que les paysans ne sont pas une classe pour le marxisme non plus, qu’ils oscillent ainsi également.
Jean-Luc Mélenchon fait également référence à un ouvrage très célèbre à l’ultra-gauche dans les années 1960-1970, « Psychologie de masse du fascisme », dont l’auteur est un disciple dissident de Sigmund Freud, Wilhelm Reich. Il définit par contre de manière erronée ce que dit l’ouvrage, qui n’aborde pas tant la question du « déclassement » que du « refoulement » qui amènerait les gens à se comporter de manière volontaire comme des êtres soumis, serviles et pervers. C’est ce qu’on appelle du « freudo-marxisme ».
Mais l’idée de Jean-Luc Mélenchon est donc la suivante. Il existe une couche sociale intellectuelle favorisée en France, allant du cinéma aux hauts fonctionnaires en passant par les médias. Celle-ci a largement intégré le camp de la propriété de par son succès historique et par là même elle risque en ce moment, dans ce contexte, de basculer dans le camp des propriétaires historiquement nullement lié à la seconde gauche.
C’est le risque de tout perdre, avec une division de cette couche sociale entre ultra-modernistes cosmopolites à la EELV et conservateurs repliés de l’autre. Il y a d’ailleurs un article du Figaro au sujet de cette fracture, Les médias de gauche face à une fracture idéologique générationnelle.
On y lit entre autres que :
« Dans des rédactions comme L’Obs , Libération et Le Monde , engagées dans la protection des droits des minorités, une partie des journalistes pointent un fossé idéologique autour de sujets comme la laïcité, le genre ou l’école (…).
une partie des journalistes s’inquiètent du conflit latent entre le courant multiculturaliste et la notion d’universalisme républicain. Ce dernier incarnant une conception de la citoyenneté centrée sur l’individu en tant que membre de la collectivité nationale, indépendamment de toute communauté d’appartenance. «Au quotidien, on ne rit plus des mêmes choses, on ne s’indigne plus des mêmes choses», lance un journaliste de L’Obs (…).
Plusieurs plumes historiques du magazine redoutent aujourd’hui l’érosion de leur lectorat historique. Alors que dans le même temps, l’Obs peine à conquérir de nouveaux abonnés numériques (21.000 selon l’ACPM), dans la bataille qui oppose les grands sites d’information. »
Jean-Luc Mélenchon veut se présenter par conséquent comme celui qui peut maintenir la seconde gauche, en utilisant les couches populaires de manière « populiste » tout en intégrant une aile « post-moderne », permettant ainsi à la bourgeoisie intellectuelle de gauche, avec également ses banquiers, de maintenir ses positions alors que la Droite mène une gigantesque offensive, notamment avec Eric Zemmour.
Son projet, c’est celui des radicaux de gauche de la IIIe République et il va de soi que c’est totalement vain dans un capitalisme non pas seulement à bout de souffle, mais en crise, avec la guerre à l’horizon et des perturbations internes dans chaque pays toujours plus violente. Jean-Luc Mélenchon, de par sa position historique, ne peut tout simplement pas voir que le château de cartes capitaliste est en train de dégringoler.