Le cinéma de Bresson peut être qualifié de classique. Il n’est pas sensible aux modes et procède d’une même intention de l’auteur variant peu dans la forme. Mouchette, film du milieu de la carrière du cinéaste, ne fait pas exception. La narration est classique, linéaire, aux antipodes des films conçus par les scénaristes qui pullulent en streaming.
Bresson est connu pour son approche picturale du cinéma. Si dans leur forme, les tableaux qui se succèdent dans Mouchette sont plutôt naturalistes, l’effet d’épouvante qu’ils provoquent sur le spectateur a la puissance d’un Jérôme Bosch. Mouchette secoue le spectateur car il donne à voir des hommes indifférents à la présence répétée du « Mal », comme le disent ceux qui, comme l’auteur, croient en dieu.
Adapté d’un roman de Bernanos, le film interroge la morale du spectateur. Celui-ci est confronté de manière frontale et sans échappatoire aux tourments de la frêle Mouchette. Il se trouve complice de ceux qui la font souffrir par sa passivité (de spectateur, précisément).
Bresson a fait figurer au premier plan de ce film des personnes qui ne sont pas des comédiens. Il a capté de Nadine Nortier, qui est Mouchette, l’intensité de la vie intérieure d’une jeune femme de 14 ans. Le bouillonnement des sensations et des sentiments contradictoires jaillit à chaque plan, d’autant que la caméra est souvent mue à courte distance.
Mouchette souffre sans jamais l’exprimer. La jeune femme n’a de prise sur rien, c’est le destin qui la jette contre les évènements. Mouchette vit une profonde solitude morale. Ses expériences de la joie et de l’attention d’autrui se soldent irrémédiablement par des échecs violents.
Bresson, comme Bernanos, traite cette situation depuis un point de vue propre aux religieux. Evidemment, à gauche, on n’adopte pas cette posture idéaliste tendant au déterminisme. Ni la providence ni le destin ne sont des forces réelles capables de décider du sort de Mouchette. En réalité, la jeune femme ne peut pas s’extirper de sa condition sociale, car la société est bloquée.
En plus de l’omniprésence du « Mal » qui anime peu ou prou chacun des personnages, un des thèmes du film est la ruralité aux prises avec la modernité, en ce tout début des années 1960. C’est comme un second film, dans le film, qui s’offre à la vue du spectateur de 2021.
La société rurale n’est une communauté unie et bienveillante qu’en apparence. Au fil des séquences, on découvre que les paysans pauvres et riches se côtoient dans une violence muette. Toute cette société villageoise est rongée par les inégalités et la misère. Le contrôle social passe par l’étouffement de l’expression de la personnalité. Il est implacable, assuré contre Mouchette par l’institutrice, les commerçants et les hommes en général, au service d’un ordre qui se veut immuable. Il en va de même pour Louisa la serveuse du café et, dans une moindre mesure, pour Arsène le braconnier.
La ruralité se maintient au prix d’une violence implacable à l’encontre des faibles et des sensibles. Elle se reproduit par la répétition des activités rituelles comme la chasse pour les hommes et la messe pour les femmes.