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« Libertés en bas, autorité en haut », la matrice fondamentale du fascisme français

Qui n’étudie pas le fascisme en France, qui n’en comprend pas sa matrice idéologique, est condamné à l’échec.

Qui n’étudie pas le fascisme en France, qui n’en comprend pas sa matrice idéologique, est condamné à l’échec.

En France, il y a un double problème pour saisir la nature du fascisme. D’un côté, il y a la trajectoire spécifique de la France en tant que Nation, et de l’autre, mais en fait étant lié au premier, il y a la lecture faite par l’extrême-droite française du fascisme comme régime historique.

En effet, si l’on se cantonne à une définition stricte du fascisme, il faut partir du premier régime politique qui a fait date dans l’Histoire, à savoir le régime de Benito Mussolini.

Issu du Parti socialiste italien, profondément influencé par les thèses syndicalistes-révolutionnaires qui, à l’origine française, ont trouvé écho dans une Italie profondément agraire du début du XXe siècle, Benito Mussolini fonde son mouvement, le Faisceau, sur la conjonction de la culture syndicaliste-révolutionnaire et de l’idéologie nationaliste.

Dans son optique, cette synthèse idéologique doit se réaliser grâce à l’intégration de l’individu, lui et sa fouge de révolté, à un corps supérieur, qui ne peut être que l’État lui-même.

Dans un discours au Sénat en 1928, Benito Mussolini a défini la substance de son mouvement en les termes suivants :

« Si au cours des 80 années qui se sont écoulées, nous avons réalisé des progrès aussi importants, vous pensez et vous pouvez supposer et prévoir que, dans 50 ou 80 ans, le chemin parcouru par l’Italie, par cette Italie que nous sentons si puissante, si pleine de sève, sera vraiment grandiose, surtout si la concorde subsiste entre tous les citoyens, si l’Etat continue à être l’arbitre dans les différends politiques et sociaux, si tout est dans l’Etat et rien en dehors de l’Etat, car, aujourd’hui on ne conçoit pas un individu en dehors de l’Etat, sinon l’individu sauvage, qui ne peut revendiquer que la solitude et le sable du désert »

C’est ce discours qui a marqué la définition du fascisme dans une formule simple et ramassée :  » Tout dans l’État, rien hors de l’État, rien contre l’État ! ». Pour le principal mouvement d’extrême-droite française qu’est l’Action Française et son chef de file idéologique, Charles Maurras, c’est une conception du monde qui ne peut convenir à la France.

Fondé sur une approche, l' »empirisme organisateur », Charles Maurras propose un « nationalisme intégral », résumé dans une formule tout aussi simple et ramassée : « libertés en bas, autorité en haut ».

Qu’est-ce-que cela signifie ? Il faut partir des faits historiques qui ont fabriqué la France : la France est une Nation qui s’est construite sur des Rois et elle doit justement sa supposé stabilité sociale à la forme monarchique du pouvoir, voilà pour l’ « empirisme organisateur » (organiser des faits historiques).

La France royaliste, c’est une organisation sociale spécifique : il y a les provinces qui s’auto-organisent, et au-dessus, le Roi qui, tel un arbitre, détient le monopole du pouvoir régalien et spirituel. Voilà pour la devise « libertés en bas, autorité en haut ».

Par conséquent, le salut de la France passe par une devise : « politique d’abord » ou « la France seule » comme horizon, et le retour à la monarchie comme ciment national et garantie de l’auto-organisation. C’est le sens du « nationalisme intégral » ou d’une autre formule connue : « la monarchie, c’est l’anarchie plus un » (sous-entendu, l’auto-organisation des provinces plus un Roi).

Dans cette lecture réactionnaire formulée par Charles Maurras, il y a donc une sorte de rejet formel de la définition de Mussolini et un produit culturel du parcours national français, qui est différent de celui de l’Italie. Pour faire simple, la formule de Mussolini correspond au parcours tortueux de l’unification italienne, quand la doctrine maurassienne correspond au processus de formation de la France sous la Monarchie absolue.

Mais ce qu’il faut voir c’est qu’au-delà de ces divergences, la substance reste la même : la paix sociale doit être garantie par un État-arbitre cimenté par une mystique national-chauvine. Le reste n’est qu’une histoire de déclinaison particulière aux trajectoires nationales.

Si le fascisme en Italie suppose d’intégrer l’individu à l’État de part une unification nationale qui n’a pas connu le poids du morcellement en « pays » mais en États déjà formés, le fascisme en France peut se baser sur l’intégration, car réalisé dans le long féodalisme et institutionnalisé par l’Absolutisme, de l’individu à la communauté provinciale.

La lecture romantique-réactionnaire opposant un « pays légal » à un « pays réel » correspond à cette image : les provinces auto-organisées et dont la « liberté » et les « traditions » seraient garanties par la royauté (pays réel), sont saccagés par un appareil bureaucratique-centralisateur issue d’une Révolution française qui dissout les « provinces » (pays légal).

Mais concrètement, cela signifie que le fascisme en France a comme matrice fondamentale cette formule « libertés en bas, autorité en haut », soit un État-arbitre fort, et un individu-roi car libre de s’auto-organiser dans sa province. Comme souligné dans un article précédent, l’erreur de Charles Maurras est de ne pas avoir intégré de manière formelle la République, ce que fera le Colonel de la Rocque et réalisera le Général de Gaulle avec la Ve République.

Quand le PSF du Colonel de la Rocque propose la « profession organisée » fondée sur « la coopération des diverses professions dans le cadre de l’économie régionale et nationale », ou lorsque De Gaulle formule sa doctrine de la « participation » visible en 1969 avec le référendum sur la « régionalisation », il y a cette même continuité de fond avec la formule « libertés en bas, autorité en haut ». Les lois de décentralisation entre 1982 et 1986 sous François Mitterrand confirment cette structuration mentale des français.

De fait, cette lecture n’est pas seulement liée à l’extrême-droite mais a imprimé concrètement les mentalités françaises : les gilets jaunes en ont été l’un des meilleurs exemples en date. Il n’est pas étonnant que le prototype du sympathisant d’Eric Zemmour ou de Marine Le Pen soit une sorte de « redneck » à la française, soit une personne à l’individualisme débridé qui veut pouvoir faire ce qu’il veut pour lui-même en « province », et souhaite un État fort pour lui garantir son égoïsme de beauf.

Quand Eric Zemmour déclare supprimer le permis à point ou supprimer les nouvelles limitation de vitesse, c’est dans cette même logique. Pareillement lorsque Marine Le Pen fait campagne derrière le slogan « Rendre la France aux français » ou que Florian Philippot harangue la foule sous le slogan « Libertés » lors des manifestations anti-pass, on retrouve toujours cette opposition « pays légal / pays réel », cette même vision du monde : « libertés en bas, autorité en haut » ou individualisme pour le peuple, fermeté-autorité pour l’État.

Il apparaît donc très clair que pour combattre réellement le fascisme dans ce pays, il va falloir en saisir les contours culturels et générer une contre-proposition, formuler une contre-lecture en mesure de battre en brèche une vision du monde qui a bien trop infusé dans la société française.

Par sa défense inconditionnelle du collectivisme et sa perspective d’une politisation généralisée des gens, il est clair que seule la Gauche historique est à même d’être un contre-feu crédible en bataillant tout à la fois contre l’individualisme et contre l’idée d’un État-arbitre à l’écart de toute politisation populaire.