La crise généralisée du mode de production capitaliste a ceci de fascinant qu’elle force les idéologies les plus délirantes, les plus libérales, à dévoiler toujours plus leur véritable visage. Elles ne prennent de moins en moins de détour, se font toujours plus anti-universelles, bref : elles sont l’expression d’une classe en pleine décadence qui tente d’engloutir toute la société, toute la vie sur Terre avec elle dans sa chute.
Prenons un exemple tiré du site paris lutte infos (« Site coopératif d’infos et de luttes Paris – banlieue »), plateforme d’une ultragauche sans saveur, sobrement intitulé « Des droits pour les trans et les autres minorités sociales avant les animaux ».
Résumons.
La position défendue est que l’antispécisme est « une lutte de privilégiées » qui n’exigeraient que des changements juridiques pour les animaux ce qui invisibiliseraient les luttes des « minorités sociales » :
« De façon plus générale, exiger des droits pour les animaux alors que des minorités sociales ne disposent pas du même traitement juridique et sociale que les classes privilégiées, c’est juste incompréhensible. »
Mais surtout, cela n’apporterait rien aux minorités opprimées si chères au post-modernisme :
« Mais ça nous apporte quoi dans nos luttes ? Ça va m’apporter quoi en tant que meuf trans ? »
Notons au passage que titre mentionne les « autres minorités sociales » mais dépasser le « moi, moi, moi et encore moi » est visiblement toujours aussi difficile pour l’activisme trans. Même les théories racialistes post-modernes ne sont que des amis de seconde zone, vite mises de côté. Quel bel exemple de solidarité entre petit-bourgeois décadents.
Antispécisme et turbo-capitalisme trans
Le seul point que l’on peut concéder à l’auteur est que l’antispécisme est bien une arnaque.
Seulement, sa critique est celle d’un ultra-libéral qui considère que les militants antispécistes ne sont pas suffisamment décadents et narcissiques à son goût.
Il faudrait toujours inclure les autres, « intersectionnaliser » les luttes. Pourquoi ? Pour ne pas invisibiliser les différentes minorités opprimées. Demander à donner des droits aux animaux (ce qui une vision antispéciste, la véritable question est de défendre la Nature), reviendrait à nier la réalité qui est que des humains n’ont pas les mêmes droits que les autres (on attendra en vain des exemples de l’auteur). On notera au passage que l’inverse n’est pas vraie : demander que les luttes anti-racistes ou pro-trans prennent en compte la souffrance des animaux serait une insulte. En clair : moi, moi, moi et toujours moi. Le narcissisme de l’activisme trans ne connaît pas l’indécence.
Après être passés en force au sein de mouvements féministes, nos chers activistes trans ont décidé qu’il était temps de passer à la vitesse supérieure et s’attaquer aux animaux. Retirez cette Nature que je ne saurais voir.
Ce texte est tout simplement l’expression de ce besoin : l’antispécisme n’est pas visé en soi, il est attaqué parce qu’il prétend défendre les animaux. Son tort est de prétendre s’intéresser à la Nature en définitive (chose qu’il ne fait absolument pas en réalité), chose inconcevable pour l’ultra-libéralisme porté par les trans.
« Les animaux ne sont pas mes camarades »
« Donc voilà. Les animaux ne sont pas mes camarades. Mes sœurs et frères trans et non-binaires oui. Je lutte pour la reconnaissance de notre existence et pour notre survie collective. J’ai des priorités qui vous dépassent, comme beaucoup d’autres catégories sociales. »
Près de deux millions d’animaux sont torturés chaque année en France dans des laboratoires… mais ce n’est rien à côté de ce que doit endurer cet homme. Et ne parlons même pas de l’oppression inhumaine et multi-centenaire (millénaire ?) envers les personnes non-binaires.
La souffrance des personnes trans devient l’horizon indépassable, la seule cause véritable.
« Pleurer devant une photo de cochon mort comme si c’était une personne égale à nous, et ne pas le faire quand une de mes sœurs met fin à ses jours, comment je suis sensée le prendre ? Comment les personnes trans’ doivent le prendre ? Votre sainte moralité nous demande d’encourager une législation juste et égalitaire avec les autres espèces. Est-ce que c’est une mauvaise blague ? »
L’auteur utilise ici la même rhétorique que les défenseurs de la vivisection : un animal face à un être humain. Les souffrance des deux mises en correspondance. Il faut être tombé bien bas dans l’indécence pour écrire de telles phrases.
La réalité n’est pas un cochon mort pour un homme qui se suicide, mais plus de 20 millions de cochons tués chaque année après une vie plus ou moins proche de l’enfer contre… quelques personnes ? quelques dizaines de personnes ? qui se suicident par an.
Les premiers n’ont aucune chance de s’en sortir, tandis que les seconds auraient pu être pris en charge et accompagnés convenablement… si des associations et divers militants ultra-libéraux ne leur avaient pas remplis le crâne d’idées délirantes.
Ces deux situations n’ont donc tout simplement rien à voir, encore faut-il être capable d’un minimum de compassion pour le comprendre.
Les pauvres cochons morts sont littéralement partout dans la France du XXIe siècle. Les hommes persuadés d’êtres des femmes et qui se suicident, non. Tous ont le droit a une vie digne, mais il est ignoble d’exiger que les seconds occupent le premier plan. La compassion ne se choisit pas, elle est un mouvement naturel… et c’est là tout le problème de l’auteur : à force de nier à tout prix la Nature, on en vient étranger à l’idée même de compassion, pourtant si simple.
Pour archive, le texte original :
« Des droits pour les trans et les autres minorités sociales avant les animaux
Publié le 30 novembre 2021
Cette brève analyse fait suite à mon écoute du 77e podcast de Kiffe ta race qui m’a vraiment parlé. J’avoue que depuis des années de végétalisme, j’avais toujours ce sentiment de gêne en écoutant et militant avec des antispécistes. J’avais vraiment l’impression de perdre mon temps et d’être perdu par des discours qui s’essayaient au décolonialisme et à l’intersectionnalité, mais de façon presque perverse. C’est comme si on essayait de montrer aux minorités leur intérêt à adhérer à l’antispécisme. Je vais exposer ici pourquoi je pense que l’antispécisme ne peut pas parler à des classes et catégories sociales, tout simplement parce qu’on a pas votre temps.
La frontière incomprise entre l’antispécisme et le corps
Pendant des années, je me suis coltiné des textes de cis-gars blancs hétéros sur la question du droit animal et de l’éthique. Qu’est-ce que c’était chiant … Dans le 77e épisode de Kiffe ta race, Myriam Bahaffou nous explique que l’antispécisme, dans son corpus idéologique, se complaît avec du droit. En effet, les principallaux colporteurices conçoivent une idéologie principalement tournée vers l’espace universitaire, en invoquant des mots déconnectés comme « dignité » ; « égalité » ; « liberté » ; sentience » ; etc., dans l’espoir de pouvoir produire une révolution culturelle en accord avec une vision très idéaliste d’un monde sans exploitation d’aucune sorte envers les animaux non humains.
Bon. Personnellement, je dis go, mais, y a un hic !
Tout comme l’a bien expliqué Myriam Bahaffou, on va essayer de créer des analogies entre la situation animale avec la situation des personnes se situant dans le spectre de la race. Les personnes qui en sont les distributeurices vont malhonnêtement assembler des images, dans une démarche anachronique et préjudiciable, dans le but de faire dans le buzz, sans jamais militer contre le racisme. J’ai jamais vu un post dans un groupe Facebook d’antispéciste qui proposaient d’aller à un rassemblement antiraciste. Et ce serait vraiment bizarre en vérité, et je pense que je serais ironiquement la première à incendier la banderole.
Et ce genre d’analogie touche aussi aux luttes féministes, queer, etc. Au point où on en est …
Cette analogie entre littéralement l’esclavage et le traitement systémique des animaux domestiques est préjudiciable à mon sens car elle ne prend pas en compte le contexte historique de l’animalisation d’un corps humain. Et peu importe, le problème va au-delà et ce n’est certainement pas à moi d’en parler.
Le podcast Afro-écologiste montre bien que le végétarisme et le végétalisme ne sont pas, en tant que régime comme on le conçoit en Occident, une invention blanche. Chaque personne vit ce régime, à travers son corps et/ou sa culture, de manière singulièrement différente. C’est pour moi quelque chose qui doit intégrer la conception qu’on se fait du veganisme, et à côté, de l’antispécisme qui en tant qu’idéologie comme une autre, se construit dans un contexte social et spatial. Actuellement, l’antispécisme ne peut pas être imposée ou devenir hégémonique. Elle est construite avec un corpus militant qui ne considère pas les intérêts divergents entre les catégories et classes sociales, condamnée à rester une lutte de privilégiées.
Nonobstant les limites matérialistes de l’antispécisme, n’en demeure pas moins que sa nature juridique désirant un véritable changement légal (et social) d’individus non humains se suffit à elle-même. On va pas se mentir.
Je suis en total désaccord avec le fait d’accorder des droits dans l’immédiat.
Pourtant je suis végétalienne depuis des années. Cependant, étant donné que ce discours juridique est propagandé par des personnes appartenant aux classes sociales privilégiées, ça montre dans un premier temps que la construction épistémologique est totalement biaisée.
Aussi, ces personnes (à moins qu’elles soient des femmes qui vivent certaines formes de sexisme), admettent aujourd’hui que tout le monde n’est pas égal•e devant la loi, mais [!] refusent dans le même temps d’intersectionnaliser (donc revoir/corriger) l’approche antispéciste ; et dans le même temps invisibilisent des situations sociales bien réelles. La violence de la police pour certaines catégories de personnes, et en ce qui me concerne, la transphobie régulièrement expérimentée dans tous les champs de ma vie.
Je m’en contre carre que vous vous disiez queer-friendly, trans friendly, antiraciste, antivalidiste si vous restez dans un entre-vous. On se croirait sur un profil Okcupid … C’est malencontreusement ce qu’il se passe : l’idée c’est de massifier en charmant les nouvellaux, en promettant un cadre de lutte faussement inclusif pour la grande majorité des collectifs.
De façon plus générale, exiger des droits pour les animaux alors que des minorités sociales ne disposent pas du même traitement juridique et sociale que les classes privilégiées, c’est juste incompréhensible.
Jamais je n’oserais parler d’antispécisme dans mes cercles trans. Mais mon dieu j’aurais tellement honte. Ce serait indécent. Toutes les semaines, je vois différents profils de femmes trans, et clairement je suis pas la plus à plaindre. Certaines sont dans une précarité alarmante. Elles ont d’autres soucis à régler. Et même si je ne suis pas la seule personne trans’ à être végétalienne/antispéciste, je suis persuadée que ce n’est pas dans notre intérêt que de demander des droits pour les animaux si on ne se bat pas pour nous. Et personne ne le fera à part nous-même, comme d’habitude depuis le commencement des mouvements LGBTQI+.
La conséquence de quémander des droits pour les animaux, sans réelle alliance ou complicité intersectionnelle, c’est partir du constat que tout le monde a les mêmes droits. C’est pas très anarchiste. Des fois j’ai juste l’impression que beaucoup sont là parce que c’est plus facile de lutter dans les milieux antispécistes. On a pas à rendre de compte aux victimes du spécisme, contrairement à d’autres luttes qui concernent notre espèce ; et où repositionner sa personne via le prisme du corps demande un investissement intellectuel et matériel plus conséquent et concret.
Chaque corps n’a pas le même rapport avec l’antispécisme et je suis convaincue que cette idéologie est fondamentalement incapable de s’intégrer dans la société, globalement. À la limite, parler de veganisme est bien plus compréhensible et prend tout son sens si on considère comme l’a montré le podcast Afro-écologiste que beaucoup de cultures ont leurs héritages végétariens/végétaliens qu’on invisibilise beaucoup dans la culture française, qui est très carnée.
La lecture de la Puissance des mères de Fatima Ouassak m’a été profitable pour comprendre que le végétarisme était quelque chose qui était compris différemment selon les espaces géographiques : certaines villes comme Nanterre ne proposent pas des aliments convenables dans la cantine des écoles. D’où le fait que des parents exigent des aliments plus sains pour leurs enfants : des légumes, et pas de la viande recomposée qui donne le cancer et un goût amer avant le cours d’SVT.
Aussi, je vois de plus en plus d’ouvrages, d’articles ou des mots d’ordre qui tentent de faire des corrélations entre antispécisme/féminisme (C. Adams), antispécisme/queer, antispécisme et anarchisme. Vraiment, je me pose vraiment une question et je ne pense pas être la seule : vous cherchez à faire quoi en fait ? Certes ça peut apporter une perspective différente dans le regard qu’on a envers le corps animal, et comment on peut imbriquer différentes formes d’exploitation et de domination qui peuvent utiliser des procédés semblables envers différentes catégories de victimes. C’est aussi quelque chose d’utile d’un point de vue décolonial pour montrer les conséquences de la destruction de la faune et de la flore locale des anciennes colonies, et la transformation de l’agriculture mondialement. Chouette. Vous n’avez rien inventé.
Mais ça nous apporte quoi dans nos luttes ? Ça va m’apporter quoi en tant que meuf trans ? Est-ce que ça va me permettre d’accéder à la PMA ? Est-ce que ça va me permettre d’avoir accès à des soins sans risques et sans être obligée de prendre des hormones toute seule clandestinement ? Est-ce que ça va me permettre de ne pas connaître le chômage ? Est-ce que ça va me permettre de ne pas connaître l’abandon familial ? Est-ce que ça va me permettre de ne plus être reconnue comme malade aux yeux de la psychiatrie ? Est-ce que je vais pouvoir réapproprier les moyens de productions médicaux pour avoir accès à des soins psy, chirurgicaux, hormonaux ? Est-ce qu’on va pouvoir bouleverser la binarité et le patriarcat ? Est-ce que ça va me permettre de ne plus avoir peur dans l’espace public de peur de me faire harceler ou bien pire ?
C’est une vraie question.
Et ça va apporter quoi à d’autres minorités sociales ?
Pourquoi faire un cortège antispéciste à la Pride ou à la marche contre les violences sexistes ?
Pourquoi vous cherchez à imposer une place qui n’est pas la vôtre ? Restez à votre place. Faire des corrélations épistémiques dans le but de séduire, et pour réclamer des droits, c’est consternant. C’est encore une forme de privilège que de pouvoir faire ça.
Donc voilà. Les animaux ne sont pas mes camarades. Mes sœurs et frères trans et non-binaires oui. Je lutte pour la reconnaissance de notre existence et pour notre survie collective. J’ai des priorités qui vous dépassent, comme beaucoup d’autres catégories sociales.
Pleurer devant une photo de cochon mort comme si c’était une personne égale à nous, et ne pas le faire quand une de mes sœurs met fin à ses jours, comment je suis sensée le prendre ? Comment les personnes trans’ doivent le prendre ? Votre sainte moralité nous demande d’encourager une législation juste et égalitaire avec les autres espèces. Est-ce que c’est une mauvaise blague ?
Railey
Note
Peu importe que vous vous habillez en noir pour certain-es. Votre incohérence idéologique avec des cercles de gauche nous laisse malgré vous à la marge de vos mouvements. C’est triste de dire les choses comme ça mais on a rien à y gagner. Durant toutes mes participations à des actions de libération et de visibilité, j’ai vraiment eu ce sentiment récurrent de perdre mon temps.
Je reste végétalienne dans la pratique, et antispéciste de loin, mais avec une touche de critique qui je pense ne ferait pas de mal pour essayer de construire des socles idéologiques qui ne soient pas blessant pour certaines personnes qui s’auto-excluent de beaucoup de cercles du mouvement.
RIP L’Université d’Eté de la Libération Animale qui a été le seul espace à nous considérer véritablement. »