La destruction de l’image est le symptôme de la décadence.
Si le manque de moyens rendait impossible ou du moins très difficile l’accès à la culture, il y a désormais une puissante surcharge pseudo-culturelle fournie par le capitalisme. Et ce qui caractérise cette surcharge, c’est qu’elle a de moins en moins de contenu, qu’elle porte de moins en moins de vérité.
Plus il y a des choses, plus il y a d’individus, moins il y a de personnalité. Faut-il alors tomber dans l’élitisme fasciste ou bien l’existentialisme chrétien? Pas du tout. Ce serait une régression. Il faut porter l’exigence au cœur des masses, en affirmant l’existence de classiques, d’une part, et en posant la nécessité du réalisme, d’autre part.
Car le capitalisme impose une consommation individuelle amenant les gens à toujours plus s’éloigner de la réalité. Les gens décrochent du réel, ils rêvent leur vie et ils le font d’autant plus que leur propre vie est morne, répétitive, fade. Alors qu’ils pourraient être artiste, qu’ils devraient être artiste.
Tout un chacun doit en effet épanouir ses facultés et, selon ses dispositions, développer sa sensibilité pour être capable de voir l’universel dans le réel, le sensible dans le réel. Qui est capable de vivre cela vit deux fois plus, dix fois plus, cent fois plus. Qui ne le fait pas le découvre à la veille de mourir et le regrette.
Il faut savoir s’écouter, non pas dans un sens égocentrique, nombriliste, mais bien dans le sens de la vie elle-même, c’est-à-dire à la fois personnel au sens d’intime et universel. Dans Le temps scellé (Cahiers du Cinéma 2004 ou bien Philippe Rey 2014), Andreï Tarkovski dit avec raison que :
« L’art nous fait appréhender le réel à travers une expérience subjective.
Avec la science, la connaissance de l’univers évolue d’étape en étape, comme si elle gravissait les degrés d’un escalier sans fin, chacune réfutant souvent celle qu l’a précédée, au nom de vérités particulières objectives.
En art, la connaissance est toujours une vision nouvelle et unique de l’univers, un hiéroglyphe de la vérité absolue.
Elle est reçue comme une révélation, ou un désir spontané et brûlant d’appréhender intuitivement toutes les lois qui régissent le monde: sa beauté et sa laideur, sa douceur et sa cruauté, son infinité et ses limites.
L’artiste les exprime par l’image, capteur d’absolu. »
La grande peur de notre époque, c’est finalement d’être authentiquement personnel, d’assumer de l’être, de produire des œuvres reflétant cette réalité. C’est ainsi que l’on passe du particulier à l’universel, qu’on se relie d’un aspect de la réalité à l’ensemble, dans un grand mouvement historique, car les choses se transforment.
En ce sens, c’est d’images dont nous avons besoin, d’images comme capteurs d’absolu. Nous avons besoin d’une génération d’artistes, qui soient à l’avant-garde d’un mouvement général vers l’art, qui soit une partie du vaste mouvement de transformation nécessaire à notre époque. Être un artiste à notre époque est l’une des choses les plus difficiles qui soient, néanmoins c’est également exactement ce qu’il faut pour se transcender et parvenir à se réaliser malgré le capitalisme, parmi, au milieu et avec les plus larges masses!