Frapper fort, passer en force : c’est la tactique militaire russe.
Les années 2020 sont aussi éloignées des années 1980 que les années 1980 des années 1940. La guerre moderne a donc un visage fondamentalement différent des périodes précédentes, et le mot clef, c’est transmission. Les données sont transmises plus rapidement et elles sont bien plus nombreuses, ce qui fait qu’au niveau de la direction militaire, il est possible d’obtenir une gestion bien plus avancée des troupes, et par conséquent également une bien meilleure coordination.
La Russie a particulièrement mis le paquet il y a une décennie à ce niveau, avec la modernisation de l’armée, fondée désormais sur les brigades. C’est le prolongement de la conception de la superpuissance soviétique dans une guerre en Europe dans les années 1980. L’idée soviétique était la suivante : il faut être capable d’envoyer des missiles précis d’un côté et d’occuper rapidement le terrain de l’autre, pour provoquer un état de fait si rapide que cela empêche l’OTAN de réagir de manière nucléaire.
Les brigades russes mises en place il y a dix ans sont donc le fruit d’une intense réflexion concernant, de fait, l’Ouest de la Russie. Les brigades ne forment pas un modèle exportable pour d’autres situations. En extrême-Orient, d’ailleurs, la Russie a des troupes différentes, adaptées aux très rudes conditions locales et surtout fondées sur l’emploi massif de missiles. Voici la carte des quatre districts militaires russes, chacun ayant donc ses spécificités opérationnelles.
Une brigade est composée de 800-900 soldats, avec trois compagnies d’infanteries munie chacune de onze véhicules de transports, avec également une compagnie de 10 tanks. On parle là d’une brigade concentrée sur l’infanterie ; il existe une variante tankiste, avec trois compagnies de tanks accompagnées d’une compagnie d’infanterie.
Chaque brigade compte qui plus est deux ou trois batteries d’artillerie ou d’obusiers, soit au total 12-18 systèmes d’artillerie. Il faut ajouter à cela une ou deux batteries de missiles anti-aériens, une compagnie anti-tank, une équipe de reconnaissance gérant également la guerre électronique.
On voit là qu’on est dans le cadre de la guerre moderne. Il y a une combinaison opératoire très poussée. Les brigades disposent ainsi d’une gigantesque force de frappe, qui est employée de manière pour ainsi dire auto-suffisante et massive, pour que dans la foulée une zone passe sous contrôle militaire par l’occupation directe au moyen des troupes.
Autrement dit la tactique militaire russe repose sur l’artillerie, au plus exactement il y a trois moments : d’abord l’envoi massif de missiles à moyenne distance et des opérations de guerre électronique massive, puis le passage à l’action des brigades avec l’artillerie pour briser l’ennemi en l’écrasant sous la puissance de feu et pouvoir directement passer en force.
Ce n’est pas du tout une bataille avec une artillerie ici, des soldats là, des tanks encore ailleurs. Chaque brigade combine ces aspects et, évidemment, les brigades sont combinées ensemble, le tout dépendant des missiles envoyés pour décapiter l’armée adverse, détruire les entrepôts, bombarder les troupes, etc.
Ce principe est considéré comme très fiable… quand il marche, que tout va bien. En cas de souci, les brigades ont un gros problème défensif, car ils ne sont pas assez massifs (la superpuissance américaine fonctionne justement inversement avec des troupes structurées « massivement »). En clair, cela passe ou ça casse.
Tout cela est bien entendu tout à fait schématique. Tout cela est bien plus complexe dans le détail et il faut distinguer les brigades interarmes de celles servant d’appui. Cela permet cependant d’avoir une vue d’ensemble et de comprendre le mode de fonctionnement de l’armée russe à sa frontière occidentale et donc dans son rapport militaire avec l’Ukraine dans le cadre d’une confrontation.
L’Ukraine ne dispose en effet ni de missiles pouvant atteindre la Russie (ni même de missiles efficaces d’ailleurs), ni d’aviation, ni de capacité réelle anti-chars. Si la Russie se lance contre l’Ukraine, elle peut en 24-72h obtenir une victoire massive rien qu’avec les missiles et les avions, pour ensuite ravager les troupes restantes avec ses brigades.
Or, la superpuissance américaine compte bien fournir à l’Ukraine tout ce qui lui manque pour tenir (et même passer à l’offensive, car tel est le plan de l’OTAN qui est tout aussi belliciste que la Russie). Chaque jour qui passe rend la situation plus difficile pour une éventuelle invasion russe.
C’est cela le piège pour l’Ukraine : tant la superpuissance américaine que la Russie fermant la porte à toute reculade en raison de la pression de la crise mondiale généralisée, elle est fatalement prise au piège dans un sens ou dans un autre. Soit la Russie tente de reformer un empire autour d’elle, soit la superpuissance américaine en fait le porte-avions d’une pression systématisée pour faire en sorte que la Russie soit déstabilisée et bascule dans une soumission aux forces occidentales.
Le capitalisme a façonné la guerre moderne : de la même manière que le capitalisme implique la guerre en raison de la nécessité à un moment de la bataille pour le repartage du monde, la structuration des armées modernes des pays capitalistes obéit à une logique d’écrasement et de conquête.