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La prétention sociale des discours d’Eric Zemmour et Marine Le Pen

Les meetings d’Éric Zemmour et de Marine Le Pen ont insisté sur la question sociale.

Les meetings d’Éric Zemmour et de Marine Le Pen ont insisté sur la question sociale.

Éric Zemmour a réuni près de 8 000 partisans samedi 5 février 2022 à Lille, pour un meeting centré autour du thème du « pouvoir d’achat ». De son côté, Marine Le Pen a rassemblé près de 4 000 personnes à Reims pour le lancement de la dernière ligne droite de sa campagne présidentielle, où elle s’est présentée comme étant proche du peuple et de ses préoccupations.

Les deux candidats nationalistes représentent des intérêts qui ne sont pas les mêmes, leur ligne politique est différente. Le premier, Eric Zemmour, assume une ligne de droite dure, ouvertement bourgeoise et tournée vers l’affirmation d’une certaine tradition bourgeoise hostile à la classe ouvrière. La seconde, Marine Le Pen, a développé depuis 2012 un discours nationaliste destiné aux classes populaires et à la petite-bourgeoisie (celle-ci étant extrêmement nombreuse en France), en leur expliquant que le problème serait surtout (voire uniquement) la mondialisation, le « mondialisme », et qu’il faut se rallier au nationalisme.

Autant l’un que l’autre, pour être élu ou en tous cas exister politiquement, doivent porter un discours à destination des classes populaires et aborder les questions sociales. Pour Marine Le Pen cela n’a rien de nouveau et ce qu’elle a dit pour lancer sa campagne est dans la continuité des dix dernières années. Eric Zemmour a par contre besoin d’appuyer sur cette question, pour élargir sa base électorale, son influence dans la société française.

Son principal argument est celui de la lutte contre l’immigration, comme s’il s’agissait là d’un remède magique pour dégager partout de nouveaux budgets. C’est un populisme racoleur, faisant fi de la réalité : l’immigration n’existe pas en dépit du capitalisme et de la bonne marche de la France capitaliste, mais précisément à son service. Si les dépenses de l’État à destination des personnes dans différentes situations d’immigration sont grandes et multiples et bien souvent illégitimes en tant que tel, les personnes immigrées (clandestines ou non) sont largement intégrées à l’économie française et sa marche. Ce sont surtout les chefs d’entreprises qui veulent de l’immigration, mais cela, Eric Zemmour n’en parle jamais.

Ce qui l’intéresse par contre, c’est que les ouvriers ne s’en prennent surtout pas à leur patron, et encore moins à la bourgeoisie en général. Ses propos ont été très clairs à ce sujet, dans la plus pure tradition nationaliste du 20e siècle :

« Face à la folle lutte des classes et l’injuste loi de la jungle, je serai le Président de la réconciliation des classes, le Président qui réunira l’entrepreneur et le travailleur »

Dans le Nord, terre historique du Socialisme en France, il a prétendu s’adresser aux ouvriers en faisant du Donald Trump :

« Ici plus qu’ailleurs, l’assistanat est une insulte. Je sais combien ici dans les classes populaires aux classes moyennes, on déteste l’assistanat. »

C’est vrai, mais tout à fait secondaire. Le problème des ouvriers est d’abord le mode de vie de la bourgeoisie qui détourne les richesses à son profit et dessine le monde à son image. Mais Eric Zemmour ne veut surtout pas s’en prendre à la bourgeoisie et aux entrepreneurs capitalistes.

Sa principale mesure annoncé lors du meeting, sur la question du « pouvoir d’achat » donc, consiste précisément en un cadeau à leur égard en abandonnant les cotisations sociales (servant à la protection sociale) pour des primes allant de 3000 euros à 5000 euros, ce qui est gigantesque. Il a parlé d’une « une prime 0 charge pour 0 URSSAF » en expliquant :

« À vous chefs d’entreprise, voilà comment vous augmenterez les salaires. À vous salariés, voilà comment votre pouvoir d’achat augmentera. »

C’est une mesure de droite dure, classiquement ultra-libérale et anti-sociale, malgré sa prétention sociale. Tel n’est pas le cas de Marine Le Pen, pour qui le nationalisme passe au-dessus de la considération bourgeoise traditionnelle de droite, ou comme l’a dit en introduction du meeting Jordan Bardella le président du Rassemblement national, en visant Eric Zemmour :

« Notre projet à nous n’est pas de sauver la Droite mais de sauver la France.»

C’est pourquoi Marine Le Pen a déroulé tout un tas de propositions à caractère social, la plupart inacceptables pour la Droite :

– revalorisation significative du salaire des enseignants ;
– réindexation des retraites sur l’inflation ;
– prime pour l’emploi spécifique pour les étudiants ;
– augmentation de 200 euros de salaires pour les jeunes en en alternance et en apprentissage ;
– augmentation de 1000 euros l’allocation enfant handicapé ;
– augmentation des salaires de 200 euros « à tous les ménages français ».

Marine Le Pen n’est pas pour autant de gauche évidemment, et assume aussi des mesures libérales :

– baisse de la TVA à 5% sur le fioul, le gaz, le carburant ;
– suppression des frais de successions sur les maisons de famille ;
– suppression de l’impôt sur le revenu pour tous les moins de 30 ans ;
– allègements « significatifs » de charges pour les très petites, petites et moyennes entreprises.

L’aspect principal de son discours et de ses propositions restent bien sûr le nationalisme (qu’elle nomme localisme et patriotisme), avec pour cela un romantisme pseudo-historique visant à mobiliser les classes populaires derrière le drapeau national.

Profitant d’être à Reims, où Clovis a été baptisé et où les rois de France ont été sacrés, elle a raconté :

« Mes chers compatriotes, la France doit se souvenir des promesses de son baptême. Ce serment sacré, ce pacte millénaire, voilà le rêve français qui doit nous animer. Faites confiance à cet idéal, à vos idéaux. Ensemble nous allons rendre aux Français la France qu’ils aiment. »

Peu importe que cela ait du sens ou non, car la France n’existait pas ni n’était en germe à l’époque de Clovis, car là n’est pas la question pour Marine Le Pen. Ce qui compte n’est pas la réalité, mais de prétendre à résoudre les questions sociales par le nationalisme.

Nous voilà donc revenus avec Eric Zemmour et Marine Le Pen aux nationalismes des années 1930, qui ont trusté la vie politique européenne à l’époque, en concurrence avec le Socialisme (social-démocrate ou communiste).

La caractéristique fondamentale du nationalisme au 20e siècle a été l’assimilation de la question sociale à la question nationale. C’est, au sens strict, la définition du fascisme pour qui le national, c’est le social, et inversement. On pensera au « national-socialisme » d’Hitler, mais cela est vrai pour toutes les variantes du fascisme, qui très souvent puisent leur origine à gauche, ou plus précisément dans les déviations de la Gauche.

Cela s’oppose bien sûr à l’internationalisme prolétarien qui définit le Socialisme. La Gauche historique dit que la nation n’est qu’un cadre dans lequel s’exprime la question sociale, car l’aspect principal des rapports sociaux est la lutte des classes, principalement entre la bourgeoisie et la classe ouvrière.

Au 21e siècle, rien n’a changé. La Gauche authentique, ou ce qu’il en reste, dit que le capitalisme en tant que mode production est dépassé, que la bourgeoisie mène le monde à sa perte, que cela soit socialement, mais aussi en ce qui concerne la civilisation elle-même, avec comme aspects principaux les questions de la culture et de l’écologie, et en toile de fond la question de la guerre.

De fait, le nationalisme mène à la guerre. C’est une lutte des classes, non pas entre pays, mais entre bourgeoisies de différents pays qui sont en concurrence et luttent pour leur hégémonie ou leur survie, et qui font payer cela aux peuples ; partout et toujours, ce sont les peuples qui sont les victimes de ces guerres, et c’est pourquoi ils ne doivent jamais tomber dans le piège du nationalisme.

Les prétentions sociales des nationalistes Eric Zemmour et Marine Le Pen sont un piège tendu aux classes populaires. Seule une Gauche forte et assumant ses fondamentaux historiques permettra de s’y confronter… Et cela implique la politique.