La ligne de front se pose comme poudrière.
Le Donbass, c’est le bassin houiller du Donets, où l’on trouve notamment la ville de « Torez », avec notamment la compagnie minière « Torezanthracite », en référence à Maurice Thorez qui fut lui-même mineur avant de diriger le Parti Communiste Français des années 1930 aux années 1950. La ville s’appelle encore ainsi, car elle se situe dans la partie séparatiste, plus précisément dans la « République populaire de Donetzk » qui a comme voisine la « République populaire de Louhansk ». La ville de Torez aurait dû normalement changer de nom selon les lois ukrainiennes qui interdisent systématiquement tout ce qui a un caractère « soviétique ».
Voici la carte de la région administrative du Donbass, coupée en deux avec la partie ukrainienne (en jaune avec les villes en bleu) et la partie séparatiste (en rose avec les villes en rouge).
La « ligne de contact » entre les deux est une sorte de mélange de no man’s land et de zones habitées, où dans des conditions d’une précarité immense des snipers, des drones artisanaux lâcheurs de grenades et des artilleurs frappent parfois, et ce de manière ininterrompue depuis 2014.
La pression vient ici clairement de l’Ukraine qui se pose dans une logique de harcèlement permanent, afin de ne pas permettre aux « républiques populaires » de s’installer, même si elles y parviennent relativement de par le poids démographique et économique de la ville de Donetzk, et bien entendu le soutien russe, qui est toutefois relatif. La Russie ne fournit pas du matériel militaire ultra-moderne, gardant une distance officielle tout en contrôlant le régime qui est une sorte de mélange de royaume de seigneur de la guerre et de capitalisme bureaucratique avec une imagerie néo-soviétisante insistant lourdement sur la religion catholique orthodoxe.
Et, donc, cette ligne de contact a été, le 17 février 2022, dès très tôt le matin, le lieu d’intenses tirs d’artillerie avec du matériel normalement non employé de par les accords de Minsk, avec également des escarmouches, l’OSCE comptabilisant 500 ruptures du cessez-le-feu (contre dix fois moins normalement). Rien que du côté du Donbass séparatiste, désormais en alerte général et mobilisant tous les hommes possibles (les passages vers la Russie ont été fermés), cela donne cela le catalogue suivant des actions ukrainiennes à son encontre.
5h32 : bombardement de Sokolniki (Front de Lugansk) depuis les positions de Kriakovka, au moyen de 5 obus de mortier 120 mm et 9 obus de SPG-9 (73mm).
5h35 : bombardement de Zolotoe 5 (Front de Lugansk) depuis Zolotoe 4, au moyen de 7 obus de SPG-9 et 32 grenades autopropulsées AGS-17 tirés, ainsi que des rafales de mitrailleuses lourdes.
5h38 : bombardement de Stanitsa Luganskaïa (Front de Lugansk) depuis les positions de Veselenkoe, au moyen de 12 obus de mortiers de 82 mm.
5h41 : bombardement de Nijne Lozovoe (Front de Lugansk) depuis les positions de Luganskoe. 15 obus de mortiers de 120 mm.
5h55 : bombardement de Kominternovo (Sud de la RPD) depuis les positions de Vodianoe: 2 obus SPG 9 et 20 grenades AGS 17.
5h57 : bombardement d’Oktyabr (Sud de la RPD) depuis les positions de Pishchevik, au moyen de 20 grenades AGS 17.
6h58 : bombardement du village de Petrovskoye (45 km Sud Donetsk) depuis les positions de Starognatovka. 8 obus de mortier de 120 mm.
7h42 : bombardement de Novolaspa (40km Sud Donetsk) depuis les positions de Starognatovka. 12 obus de mortier de 120 mm.
8h24 : bombardement de Novolaspa depuis les positions de Starognatovka, au moyen de 20 grenades AGS 17.
8h25 : mitraillage de Yelenovka (20 km Sud Donetsk) depuis les positions de Taramchouk, au moyen de mitrailleuses lourdes.
8h26 : mitraillage du village de Signalnoe (20 km Sud Donetsk) depuis les positions de Slabnoe, au moyen de mitrailleuses lourdes.
8h30 : bombardement du village minier de Gagarine (Ouest Gorlovka) depuis les positions de Leninskoïe, au moyen de 16 obus de mortier de 82 mm.
9h00 : bombardement du village minier d’Isotov (Nord Ouest de Gorlovka) depuis les positions de Majorsk ,au moyen de 16 mines obus de mortier de 82 mm.
9h15 : bombardement du village minier 6/7 (Nord Ouest Gorlovka) depuis les positions de Majorsk, au moyen de 29 grenades AGS 17.
9h32 : bombardement du village Petrovskoïe depuis les positions de Bogdanovka, au moyen de 20 grenades AGS 17.
9h37 : bombardement du village minier de Trudovsky (Sud Ouest de Donetsk) depuis les positions de Marinka, au moyen de 8 obus SPG 9 et 19 grenades AGS.
9h50 : bombardement du village de Donetskoe, quartier de Mandrynko (Sud Donetsk) depuis les positions de Novomikhailovka, au moyen de 5 obus de mortier de 82 mm.
10h30 : bombardement de Nikolaevka (front de Lugansk) depuis les positions de Oljovoe, au moyen de 15 obus d’artillerie lourde de 122mm, endommageant 4 maisons d’habitations et une usine de production d’huile.
10h42 : bombardement de Novolaspa depuis les positions de Starognatovka, au moyen de 20 grenades AGS.
De leur côté, les Ukrainiens ont notamment accusé les séparatistes d’avoir visé un jardin d’enfants, qui avaient été mis à l’abri quelques minutes auparavant. Cela sent cependant ici la mise en scène, car la fenêtre intacte à côté de l’impact est détruite sur d’autres photos. De toutes manières, chaque camp procède à une campagne d’intoxication permanente.
Les actions armées ont cessé en fin de matinée pour reprendre très brutalement dans l’après-midi. Le même jour, le secrétaire d’Etat américain Anthony Blinken a tenu un discours à l’ONU où il a accusé la Russie de viser à une invasion de l’Ukraine, tandis que la Russie a fait part de sa réponse concernant les messages des Etats-Unis et de l’OTAN, expliquant bien entendu sa déception et la nécessité d’une réponse « technique » sur le plan militaire de sa part. La Russie a également expulsé le numéro deux de l’ambassade des Etats-Unis à Moscou, Bart Gorman, en représailles d’une mesure équivalente récente de la part des Etats-Unis.
La Russie a également fourni des documents à l’ONU concernant des crimes de guerre commis par l’Ukraine en 2014 lors des troubles menant à la naissance des « républiques populaires » séparatistes. Ces dernières parlent de charniers venant d’être découverts. En réalité, ils sont connus depuis le départ, les forces ukrainiennes cherchant à « purger » la zone et les forces séparatistes réagissant dans l’ultra-violence. On est là dans la mise en place d’un schéma narratif et d’un arc de tensions afin de faire s’exprimer la guerre dans les conditions adéquates.