Trois candidats à la présidentielle 2022 tournés aussi ou notamment vers la Russie.
Il existe en France deux bourgeoisies. Il y a celle soutenant la participation à l’OTAN et l’Union européenne, considérant qu’il faut s’aligner sur la superpuissance américaine, qu’il y a là une garantie de croissance. Représentée par Emmanuel Macron, mais également le Parti socialiste et la Droite classique (ainsi que l’ultra-gauche), elle est favorable à des modifications sociétales profondes (PMA, LGBT, cannabis légalisé, flexitarisme alimentaire, etc.) parce que cela permet d’ouvrir de nouveaux marchés, de réimpulser le capitalisme.
Il y a celle qui, par contre, considère que la France perd son rang en se plaçant dans le sillage américain, qu’elle se déclasse en tant que grande puissance et qu’elle ferait mieux de jouer sa propre partition. Il faut donc éviter de trop bousculer la société, voire appliquer une ligne conservatrice pour figer la société au maximum, pour qu’elle fasse bloc afin de la mobiliser de manière nationaliste. Dans cette optique, la Russie fait office d’allié incontournable, de par son idéologie conservatrice révolutionnaire, sa concurrence avec la superpuissance américaine, son absence de concurrence directe avec la France dans la plupart des cas.
C’était la ligne de François Fillon, avant qu’il se fasse descendre politiquement par le Canard enchaîné au moment des présidentielles de 2017, permettant au candidat tombé du ciel (car choisi par la haute bourgeoisie de la première faction), Emmanuel Macron, de triompher. François Fillon est désormais administrateur indépendant de Sibur, géant russe de la pétrochimie, et représentant de la Fédération de Russie au Conseil d’administration du groupe pétrolier public Zaroubejneft.
C’était également la ligne de Marine Le Pen, dont le parti avait obtenu un prêt de la Russie, ou encore de Jean-Luc Mélenchon voyant comme la gauche du PCF une dimension « anti-impérialiste » dans la Russie.
Or, c’est la première faction qui donne le ton depuis le début des années 1990, avec la chute de l’URSS et l’intégration de la Chine dans le capitalisme international, qui a permis une incroyable expansion. Voilà pourquoi Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ont été ainsi des représentants de la seconde faction, mais sans perspective de succès concret. Aussi ont-ils modifié leur positionnement, l’adoucissant… perdant ainsi toute leur spécificité, ce qui les amène à se voir remplacer par Eric Zemmour une fois la crise venue avec la pandémie.
Ce qui fait qu’Eric Zemmour dit en fait la même chose aujourd’hui, au sujet de la Russie, que Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon hier, faisant aussi office de François Fillon II, en quelque sorte. C’est absolument flagrant. Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon prennent désormais une certaine distance avec la Russie, afin de ne pas « heurter » trop la première faction de la bourgeoisie, Eric Zemmour fait vaguement semblant pour ne pas heurter son public libéral ayant un fort tropisme pro-américain, afin toutefois, dans le fond, d’entièrement s’aligner sur la Russie.
Ainsi, Marine Le Pen veut une grande négociation y compris avec les Etats-Unis, à total rebours de son positionnement historique ; Eric Zemmour dit qu’au fond il faut un accord entre les pays européens et la Russie (sans les Etats-Unis) ; Jean-Luc Mélenchon dit qu’il n’y aura pas de guerre (!!), que la Russie a fait n’importe quoi et que l’OTAN va avancer, ce qui nuit aux intérêts français.
Communiqué de Marine Le Pen sur la situation en Ukraine
La décision de Vladimir Poutine est un acte éminemment regrettable qui ne participe pas à la nécessaire désescalade des tensions que j’appelle de mes vœux depuis le début de la crise.
Néanmoins, tout doit être fait pour retrouver la voie du dialogue afin d’assurer la paix en Europe.
Désormais, la solution passe probablement par l’organisation d’une conférence réunissant les Etats-Unis, la Russie, la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni ainsi que la Pologne, la Roumanie, la Hongrie et la Slovaquie, états frontaliers de l’Ukraine.
Cette conférence aurait pour objectif de négocier une solution sur la base de l’accord de Minsk, accord dans lequel la France avait joué un rôle déterminant et dont l’application assurerait la paix.
Communiqué de Jean-Luc Mélenchon sur la situation en Ukraine
Plus que jamais il faut se méfier des guerriers de plateau de télé qui s’échauffent dans l’invective et les mouvements de menton. Faire sérieusement le point demande qu’on parte du seul point de vue qui vaille en temps de crise : l’intérêt de notre pays.
Car le contexte est hors de notre portée.
En Ukraine et sur toutes les frontières à l’est du continent nous sommes en présence des rebondissements d’une de ces guerres sans fin qui, depuis Pierre le grand et Catherine II, tenaillent les peuples du secteur. L’implosion de l’URSS est le premier cas de l’ère moderne ou un Empire s’effondre sans négociation des frontières qui en résultent. Cela justifiait une prudence plus grande qu’ailleurs dans les décisions et les évolutions. La destruction de la Yougoslavie, la création de l’état artificiel du Kosovo ont vite montré que le rapport de force serait partout la règle. Le récent déploiement d’armes et de militaires de l’Otan dans tous les pays baltes l’ont confirmé.
Pour autant la reconnaissance des républiques russophones du Donbass par Poutine est une très mauvaise affaire pour les Français. Le respect des frontières, quelles qu’elles soient est une condition de base d’une vie internationale où la diplomatie et l’ONU tranchent plutôt que les armes et les coups de force. Si nous voulons nous-mêmes être indépendants, notre intérêt est que les frontières soient intangibles ou bien qu’elles ne bougent qu’après des procédures concertées, acceptées et contrôlées.
Il est à craindre qu’à la décision russe succède une décision américaine d’intégrer l’Ukraine dans l’OTAN. Autre mauvaise affaire pour nous Français qui n’avons aucun intérêt à l’extension de la domination militaire des USA et de leurs intérêts sur notre continent.
Poutine a dû comprendre que la décision était déjà prise et qu’il ne pourrait jamais obtenir de garantie sur ce sujet. Il a vu que les USA ne lui cédaient rien sur ce point depuis le début de la crise. La reconnaissance des républiques du Donbass est donc sa prise d’avantage dans le nouvel ordre qui s’installe dans cette région. Il l’a fait avant que la nouvelle frontière de l’OTAN ne lui interdise de le faire.
Comme tout cela se déduit très facilement de l’observation, on peut se demander si n’entre pas déjà en vigueur un nouvel ordre quasi convenu. Car qui ferait la guerre pour le Dombass ? Personne.
Et d’abord parce que la guerre sur place dure depuis huit ans et que les parties concernées (russophones et ukrainiennes) en sont rendu à un degré de haine mutuelle qui bloque toute vie commune. Et Comme Kiev n’a jamais mis en œuvre le moindre commencement d’application des accords de Minsk à propos du Donbass, on peut penser que les Russes se le tiennent pour dit. Mais la Russie de son côté ne fera pas non plus la guerre pour l’Ukraine. Elle attendra qu’elle tombe comme un fruit mur, le moment venu.
N’empêche que c’est une escalade, et que la Russie en porte la responsabilité et qu’il faut le condamner dans notre interêt bien compris.
Quoiqu’on pense des arrières pensées ou des logique de situation, il n’empêche que c’est bien la Russie qui a pris la responsabilité de cet épisode. L’annexion de l’Ukraine dans l’OTAN ne tardera plus. Peu importe qu’elle ait été déjà prévue avant cela. Peu importe, parce qu’on ne juge d’une situation que par les actes qui y sont posés.
Aussi longtemps qu’une ligne n’est pas franchie on peut penser que la suivante ne le sera pas et s’organiser pour cela. Une ligne est franchie. Sauf a capituler sans condition les USA sont dans l’obligation d’étendre l’OTAN et les Européens sont obligés de dire oui à tout et au reste. Le reste c’est le blocage provisoire de Northstream II et l’approvisionnement en gaz de schiste américain. Avec, cela va de soi, de nouveaux déploiements de troupes USA et l’extinction des bavardages sur l’autonomie de défense européens.
Je ne dis rien à cette étape du bilan navrant de Macron dans cette séquence. Il y aura joué des rôles sans contenu réel. Il est inutile d’espérer qu’il fasse mieux. Il peut faire pire. On doit lui laisser une possibilité de respecter au moins la démocratie de son pays. Le Premier ministre doit une explication au pays dans les heures qui viennent devant l’Assemblée nationale.
Cette situation me conforte dans ma proposition d’une conférence des frontières. Elle permettrait de fixer des règles et de gérer avant la crise les autres situations de tensions frontalières qui murissent sur notre continent.