Les capitalistes cherchent une voie pour mener la guerre avec assurance.
Il existe en ce moment une avalanche de propagande et d’intoxication à l’encontre de la Russie et de l’armée russe (qui elle-même ne mentionne qu’un seul mort de son côté) ; pour un peu demain l’armée ukrainienne soutenue par l’Occident unanime est victorieuse au point d’être, à en écouter ces fantasmes, demain aux portes de Moscou. C’est là quelque chose d’inévitable dans une telle guerre et relève d’une véritable machinerie ayant des buts psychologiques directs.
Il en va différemment des incessants débats, des nombreux articles et points de vue concernant une éventuelle confrontation nucléaire. Parce qu’on a là une question qui fera son effet également bien au-delà du conflit en Ukraine. On ne remue pas ce genre de thématique impunément. Ce sont des choses qui restent, qui ouvrent un espace bien particulier, de portée stratégique.
Cela a commencé concrètement dès le début de l’invasion, avec notamment le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, qui a affirmé que le président russe Vladimir Poutine devait « aussi comprendre que l’Alliance atlantique est une alliance nucléaire », ce qui est un avertissement hautement militariste. On se demande même comment il a pu tenir de tels propos sans provoquer un scandale politique général en France. On ne parle pas ici du ministre de la Défense, parlant d’un hypothétique conflit, on parle du chef de la… diplomatie, qui explique que son pays relève d’un bloc prêt à l’emploi de l’arme atomique !
Cela en dit long sur le drame actuel que cela soit passé comme une lettre à la poste, sans provoquer une démission immédiate de la part du ministre. Naturellement, on peut prétendre que ce n’est que de la rhétorique et prendre les choses de haut. Si on prend les choses tels quels, avec rationalité, on se dit que c’est totalement absurde, car on se doute bien que la troisième guerre mondiale version apocalyptique ne va pas se produire dans l’immédiat. On se dit alors que le ministre a fait justement de la diplomatie symbolique, que les médias en font trop, que cette thématique est forcée, par stupidité ou peur illusoire que demain l’armée russe se mette à envahir toute l’Europe.
Bref, on peut considérer cela alors comme une thématique à la fois inévitable et superficielle, étant donné que, de toutes façons, cela n’arrivera pas.
Sauf qu’on parle là d’un thème brûlant. Et que le 27 février 2022 la Russie a mis en état d’alerte sa force de dissuasion nucléaire, après avoir absolument tout vérifié sur ce plan lors de l’exercice Grom 22, quelques jours avant l’invasion. La Russie justifie cela en parlant de l’hostilité de plusieurs pays à son encontre. Et elle ne cesse de vanter son missile hypersonique Kinjal (c’est-à-dire poignard), capable de porter une frappe atomique à 10 000 kilomètre/heure.
De plus, la Biélorussie a tenu un référendum le 26 février 2022, dont le résultat le 27 amène le pays à désormais accepter l’hébergement de missiles atomiques russes. Ce n’est pas anodin !
Alors demandons de manière plus approfondie : pourquoi la thématique nucléaire a-t-elle émergé ? L’une des hypothèses que l’on peut voir, mais il faut un réel débat à ce sujet, tellement c’est essentiel, est qu’il est parlé du nucléaire afin de l’éviter, afin de contourner cette question pour être en mesure de faire la guerre de grande ampleur, sans pour autant que cela bascule forcément dans la guerre nucléaire.
C’est l’hypothèse de l’article « Les stratégies impérialistes de contournement de l’équilibre de la terreur à l’époque de la seconde crise générale du capitalisme » de la revue pdf Crise (n°18, février 2022), qui dit que les grandes puissances sont en train de chercher une voie pour contourner le principe du MAD, la « destruction mutuelle assurée » se produisant mécaniquement dès qu’un camp commence à employer l’arme atomique.
Ce principe bien connu, et présenté dans l’incontournable film Docteur Folamour de Stanley Kubrick, implique qu’aucune puissance nucléaire ne peut se permettre d’attendre de voir les effets d’une attaque atomique, de par le risque de se voir elle-même dépourvue pour une contre-offensive. Dès qu’il y a donc une attaque nucléaire quelle qu’elle soit, la riposte est totale. C’est le fameux « équilibre de la terreur ».
C’est là que, selon l’article, la question ukrainienne devient le pivot d’une tentative de contournement :
« Le problème est simple à saisir : comment mener la bataille pour le repartage du monde si l’on prend en compte le principe du MAD ? La guerre nucléaire apparaît ici comme une épée de Damoclès empêchant tout mouvement.
La question ukrainienne est ici exemplaire de cela. L’impérialisme russe a comme objectif de se renforcer, tout comme la superpuissance américaine. L’impérialisme russe vise l’Ukraine pour se renforcer, la superpuissance américaine également. L’Ukraine n’est pas dans l’OTAN, donc il n’y a pas de risque de guerre nucléaire, cependant une annexion russe de l’Ukraine changerait tout, tout comme une défaite russe dans sa tentative changerait tout.
Mais comment tout peut-il changer si l’environnement, en raison de l’OTAN, relève somme toute du MAD ? Toute agression russe contre un pays de l’OTAN implique immédiatement un haut niveau de conflictualité, et inversement. Toute possibilité d’expansion est bloquée.
En fait, les impérialistes sont coincés, parce qu’ils aimeraient prolonger certaines situations, en profiter pour « déborder » militairement, mais ils ne le peuvent pas. Il a fallu trouver une parade.
C’est là qu’il faut étudier l’asphyxie comme approche de la superpuissance américaine, le délitement comme approche sino-russe. »
Et d’embrayer sur les modes de contournement : les puissances occidentales dominantes veulent profiter de leur hégémonie pour étouffer les concurrents, alors que les challengers veulent désagréger l’ordre mondial. De ce point de vue, on peut voir que c’est très exactement ce qu’a fait la Russie… Et très exactement ce qu’ont fait les puissances occidentales dominantes en réponse.
Ce qui est inquiétant, car l’article conclut en disant que c’est l’ouverture de l’affrontement militaire ouvert, qui trouve une voie pour s’affirmer en démolissant le cadre ouvert à la suite de l’effondrement du bloc soviétique en 1989 et de l’utilisation de la Chine comme usine mondiale. C’est une guerre bloc contre bloc qui s’annonce ici.