L’invasion russe est bien une invasion russe… Pour certains c’est dur à avaler.
Le Pôle de Renaissance Communiste en France (PRCF) représente historiquement la majorité de l’aile gauche du PCF des années 1990 ; ayant pris depuis son indépendance, il propose un retour au PCF des années 1970. Il y a une dimension nostalgique qui colle tout à fait à l’idéologie des « républiques populaires » du Donbass séparatiste et le PRCF n’a pas jamais caché son intérêt pour celles-ci, voire pour la Russie considérée comme en quelque sorte anti-impérialiste malgré elle-même. Or, l’invasion russe change la donne… et le PRCF tente de retourner sa veste.
Le 28 janvier, l’article « Qui menace la paix en Ukraine ? » sur le site du PRCF disait que la Russie n’a aucune intention d’envahir l’Ukraine, que c’est un mensonge que de le prétendre, que c’est de l’hystérie anti-russe (le ministère russe des affaires étrangères disait la même chose), c’est une « menace imaginaire ».
« Pour les obsédés de l’ogre moscovite, la Russie a tous les torts. Elle ne se contente pas de menacer l’Ukraine en massant ses blindés à ses frontières, elle veut aussi installer à Kiev un pouvoir pro-russe. Singulière inversion accusatoire, qui attribue à Moscou la politique menée par les Occidentaux dans un pays qu’ils ont vassalisé à coup de subventions en espérant le transformer en futur joyau de l’OTAN (…).
Aucun char russe ne foule le territoire ukrainien, et Moscou a toujours recommandé, pour résoudre la crise interne, une solution négociée de type fédéral ménageant les intérêts des différentes composantes du peuple ukrainien. Il est ahurissant de voir l’OTAN stigmatiser la Russie pour sa politique à l’égard de ce pays, alors que la seule armée qui tue des Ukrainiens est celle de Kiev, qui bombarde quotidiennement les populations civiles des républiques sécessionnistes de Donetsk et Lougansk.
C’est l’agressivité irresponsable de cette armée, noyautée par les ultra-nationalistes et portée à bout de bras par les puissances occidentales, qui entretient un climat d’affrontement. C’est l’hystérie antirusse des puissances occidentales qui jette de l’huile sur le feu dans la région, et non cette menace imaginaire contre l’Ukraine que les affabulateurs de la presse atlantiste attribuent à la Russie. »
On est là juste un mois avant l’invasion. Qu’en est-il quinze jours avant l’invasion? C’est le même discours, le PRCF se moquant violemment de la thèse de l’invasion, le 6 février 2022, dans « La véritable invasion de l’Ukraine que les médias ne vous racontent pas » :
« Tous les jours depuis quelques semaines on nous annonce l’ « imminente » invasion russe de l’Ukraine sur les médias mainstream, nous rappelant un peu le vieux gag des comédies où le protagoniste est dans une action qu’il ne termine jamais, comme la fameuse scène de l’assaut du Château des marais par Lancelot dans le Sacré Graal des Monty Pythons. »
Le 7 février 2022, dans « Ukraine : l’Axe USA-UE-OTAN veut la guerre et déploie massivement troupes, bombardiers et missiles !« , il est expliqué que la Russie ne veut pas la guerre, elles même désignée comme « raisonnable », tout est uniquement de la faute de l’OTAN :
« Le prétexte est tiré de manœuvres militaires de la Russie sur son sol et de la Biélorussie également sur son sol. Rien de très provocant faut-il bien reconnaître pour n’importe quel observateur (…). La Russie et la Biélorussie mènent des exercices militaires, sur leur sol, dans l’intérieur de leurs frontières. Rien que de très respectueux du droits international, de leur souveraineté et de leur droit à se défendre (…).
Moscou appelle d’une part à cesser l’escalade militaire, soulignant combien ces provocations sont dangereuses. D’autre part à la diplomatie. En affichant des propositions simples. L’absence de présence supplémentaire de l’OTAN à ses frontières. C’est-à-dire que l’Ukraine et la Géorgie ne puissent rejoindre l’OTAN. En rappelant tout particulièrement l’absence de bases russes aux frontières des USA et même plus largement sur le continent américain.
Une position tellement raisonnable qu’un des chefs d’état-major de l’armée allemande, sans doute soucieux d’éviter la guerre à laquelle pousse l’Axe USA-OTAN-UE, s’est cru autorisé à approuver. Avant d’être immédiatement limogé. »
Avançons encore davantage. Le 21 février, soit trois jours avant l’invasion, alors que la tension est immense, rien n’a bougé. On lit dans l’article « En Ukraine, seul l’hégémonisme des États-Unis a intérêt à la guerre » la chose suivante, même si le titre veut tout dire :
« La Russie veut l’application des accords de Minsk et notamment la fédéralisation de l’Ukraine, laquelle permettrait de concilier les intérêts des deux parties en présence : l’octroi effectif de l’autonomie qui avait été promise garantirait les droits de la minorité russophone du Donbass tout en préservant l’intégrité territoriale ukrainienne, comme le demande à juste titre le gouvernement de Kiev.
Il est évident que pour atteindre ce double objectif, Moscou ne veut surtout pas d’une escalade militaire qui en compromettrait au contraire la réalisation. Car seul un processus politique est de nature à ménager une sortie de crise respectant les desiderata des uns et des autres.
La guerre ou la paix, il faut choisir. En demandant à l’OTAN de ne pas s’étendre davantage, la Russie a fait le choix de la paix par la négociation, et non d’un affrontement militaire qui justifierait, précisément, la mise en place d’un bouclier occidental destiné à soutenir l’Ukraine.
Qu’en est-il lorsque l’invasion se produit? Eh bien, dans l’ordre des choses, le PRCF ne considère pas que c’est une invasion, reprenant l’argumentation russe que c’est une sorte d’opération de police. La déclaration du Secrétariat National du PRCF du 24 février 2022 Sur la situation en Ukraine est totalement erronée en ce qu’il ne comprend toujours pas ce qui se passe. Il n’est toujours pas compris qu’il y a une invasion russe, il s’imagine qu’il y a seulement une sorte de petite intervention…
« Tout en constatant que le régime fascisant et pro-nazi de Kiev est le responsable et l’instigateur unique de l’agression permanente contre les Républiques populaires et ouvrières du Donbass, le PRCF considère comme disproportionnées et inconsidérées les attaques russes visant les installations militaires de Lviv et Kiev. »
En clair : la Russie « exagère ». Sauf que depuis elle a continué d’exagérer à un point où il n’est plus possible simplement de dire cela. Alors le PRCF retourne sa veste. Cela ne s’est pas produit immédiatement. D’abord il y a le 27 février 2022 un rapport extrêmement détaillé de la situation militaire de la guerre, « Ukraine : le point sur la situation militaire au 27 février avec d’importantes avancées de l’armée russe« . Cet article, qui expose l’avancée russe comme très efficace, a trois particularités. La première, c’est qu’il se veut une simple présentation militaire des faits. La seconde, c’est que la Russie est présentée comme ayant une démarche « noble », contrairement à l’Ukraine. La troisième, c’est que cette présentation des opérations est extrêmement pointue, formant même du jamais vu, tant à ce moment-là que depuis le début de la guerre.
Cet article n’a pas été suivi d’autres du même type. Et deux articles, deux semaines après le début de la guerre, viennent modifier entièrement la ligne. On a ainsi tout d’abord la Déclaration du Comité central du PRCF « Sortir définitivement de la guerre en Ukraine » du 6 mars 2022. Le début de la déclaration souligne tout de suite qu’il y a une « modification » :
« Le 24 février 2022, à la suite de l’attaque militaire soudaine de la Fédération de Russie envers l’Ukraine, le Secrétariat national du PRCF a publié une déclaration adoptée à l’unanimité au sujet des dramatiques événements survenant à l’est de l’Europe. Cette déclaration a pu donner lieu à des échanges entre camarades au sujet de la responsabilité de l’attaque et des buts de guerre. A ce sujet, tout en appuyant la déclaration du 24 février, le Comité central du PRCF tient à préciser que : »
Suit alors le classique discours du PRCF jusque-là, avec une remise en cause légèrement plus prononcée de la Russie :
« Il n’en demeure pas moins qu’en attaquant militairement l’Ukraine, Vladimir Poutine a pris une décision grave avec le risque de conséquences « disproportionnées et inconsidérées », surtout en cas d’enlisement du conflit qui pourrait dès lors se révéler encore plus meurtrier pour les travailleurs et les citoyens d’Ukraine, aussi bien de l’Ouest que de l’Est »
Puis, il y a des remerciements pour l’appel à des précisions :
« Voilà pourquoi, dans la continuité de la déclaration du 24 février 2022, et tout en remerciant les camarades qui ont communiqué leurs réflexions dans le cadre du centralisme démocratique… »
Suivent alors des mots d’ordre. On devine bien qu’il s’est passé quelque chose et surgit alors le très long article « Les quatre moteurs de la Russie poutinienne« , le 9 mars 2022, écrit par Fadi Kassem, secrétaire national du PRCF. On parle ici de quelque chose faisant l’équivalent de 12 pages A4. La phrase en gras au début de l’article indique son but :
« on ne saurait faire l’économie de l’analyse concrète de la politique poutinienne, partiellement aux antipodes de l’URSS «
Quelque chose aux antipodes, on sait ce que c’est, mais « partiellement aux antipodes ? On comprend le fond du problème : le PRC n’a pas envie de critiquer la Russie, parce que cela amènerait à remettre en cause l’URSS des années 1980 d’où provient directement la Russie d’aujourd’hui. En même temps, la guerre part d’une invasion russe et le PRCF ne peut plus se contenter de présenter la Russie comme une pauvre victime.
Il y a donc, pour la première fois, une analyse de la Russie, critiquée pour valoriser le nationalisme chauvin grand-russien ; il est même dit :
« La Russie poutinienne cherche à restaurer une influence impériale dans la lignée de l’Empire tsariste (…).
L’offensive impérialiste a bien commencé il y a huit ans en Ukraine, sous l’impulsion centrale des États-Unis, à laquelle répond aujourd’hui, bien plus qu’une contre-offensive néo-tsariste, une offensive contre-hégémonique de la part de Russie. Car il est douteux que « les oligarques » aient déterminé l’offensive sur l’Ukraine qui, de manière prévisible, ne pouvait que déboucher sur d’énormes sanctions économiques… et sur la confiscation des biens oligarchiques détenus en Occident, par exemple à Monaco et sur la Côte d’Azur. »
Seulement voilà, si la Russie a des ambitions néo-tsaristes, tout ce que le PRCF a expliqué sur la Russie avant l’invasion russe de l’Ukraine était faux. La Russie avait bien des ambitions impériales, donc dire pendant des mois qu’elle voulait la paix, c’était tromper les masses, masquer le caractère inéluctable de l’affrontement pour le repartage du monde.
L’article de Fadi Kassem tente de s’en sortir en parlant d’un « impérialisme du pauvre », forcé par le cours des événements à intervenir en Ukraine pour faire face à la pression de l’OTAN. C’est vrai… du point de vue des ambitions néo-impériales russes. Faut-il soutenir ces ambitions? Faut-il interpréter les choses de manière « géopolitique », en cherchant à se « placer »? Pas du tout.
Et s’aveugler à ce niveau, c’est ne pas être capable de voir que la Russie relève de la tendance à la guerre, comme l’a fait le PRCF avant l’invasion, et comme il continue de le faire en cherchant à se contorsionner par des évaluations géopolitiques. Avoir l’OTAN comme obsession en étant incapable de constater les contradictions à l’oeuvre dans le monde est une erreur fondamentale – et c’est même la faute principale du PRCF, qui nie les contradictions au sein des pays capitalistes, au point de voir en la France un pays « opprimé » par la superpuissance américaine, ce qui justifierait un « patriotisme » n’étant en fait qu’un nationalisme de gauche.