Le décalage avec le cours des événements est total.
Les Français ont la particularité de se considérer comme réalistes, matérialistes, ou plus exactement cartésiens. A eux, on ne la fait pas, car ils savent faire la part des choses : ils ont un aperçu réel des choses, contrairement aux autres peuples. C’est le produit de la combinaison du grand siècle français, le 17e siècle, et des Lumières du 18e siècle. Il y a une part de vérité.
Cependant, quoiqu’on en pense, cela s’insère depuis 1989 dans le cadre d’une société toujours plus dépolitisée, toujours plus fragmentée, avec un consumérisme capitaliste omniprésent dans la vie quotidienne. Si on avait montré la France d’aujourd’hui à la France de 1988, jamais celle-ci n’aurait cru cela imaginable. Ce qui fait que même en admettant que les Français ont le sens du concret, ils vivent dans un pays en décadence et au sein d’une bulle capitaliste depuis plus de trente ans.
C’est pourquoi la guerre en Ukraine les met KO. La pandémie avait été une douche froide. Alors une guerre en Europe, une remise en cause profonde du sentiment d’exister dans une bulle protégée de tout conflit majeur…
Il va de soi qu’il faut ajouter tout un autre nombre d’éléments, propres à l’effondrement de la société capitaliste s’effondrant sous le poids du cynisme et de l’égoïsme. Il y a cependant un aspect principal formant un fil conducteur emportant tout le reste. Et là, la guerre est une onde de choc terrible, provoquant des réactions diverses, variées, mélangeant incompréhension et croyance en sa propre capacité de suivre les événements et d’en voir l’arrière-plan, étonnement, angoisse, anxiété, rage, colère, acceptation…
Car la guerre en Ukraine, tout le monde le sait bien, ne peut pas être un événement isolé, cela implique que la guerre redevient à l’ordre du jour, que les grandes puissances vont s’affronter. D’où la tentative du côté occidental de dire que tout est de la faute de la Russie, que ce n’est pas la faute du capitalisme, mais de la Russie, et seulement de la Russie. En France, on a trop d’expérience sociale pour croire à ça. Même si on ne comprend rien à la guerre en Ukraine, on a l’intuition que derrière tout cela, il y a le grand jeu des puissances.
Il faut donc bien dire que quelque chose d’essentiel se passe en ce moment dans la société française, et que personne n’a les moyens de le lire précisément, car personnage n’a l’ancrage social suffisant pour cela. Il y a quelque chose qui remue dans le fond, et on ne sait pas quoi. Les Français sont dépassés par le cours des choses, par l’Histoire, et ils vont être amenés sur un nouveau terrain. La situation historique change profondément en France.
L’élection présidentielle de 2022 va-t-elle refléter cette transformation en cours? Rien n’est moins sûr. Car le capitalisme a-t-il le temps d’ici la présidentielle de mettre en place un paratonnerre capable de capter la transformation, que ce soit au moyen d’un social-réformisme renouvelé, d’un nationalisme paternaliste, d’un néo-modernisme entreprenant? Peut-il même se permettre de provoquer en son sein une grande manoeuvre pour se réimpulser, dans une période si compliquée?
Les Français semblent même avoir accepté cela, ils savent que le capitalisme, et même la société, ne changeront pas le capitaine du navire en pleine tempête. La réélection d’Emmanuel Macron à la présidence semble acquis. Pour autant, il va y avoir une expression de ce qui se passe au plus profond de la France comme cadre historique de la lutte des classes.
Quelque chose va se passer. Il va y avoir un chamboulement. Les Français sont prêts pour cela. Ils ne le veulent pas, mais ils sont prêts. Tout cela est particulièrement tortueux. C’est que naît la politique. L’époque appelle la politique. L’époque fracasse l’ancien temps et a besoin d’un vecteur : la politique.
C’est le moment d’avoir de l’envergure – et la seule réponse positive possible est celle de la Gauche historique.