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La société française consomme la guerre en Ukraine

Il n’y a pas de prise de conscience, seulement du subjectivisme.

Il n’y a pas de prise de conscience, seulement du subjectivisme.

La guerre en Ukraine est un événement d’une importance à la fois historique et mondial, et il faut ici souligner à quel point le fait de l’annoncer depuis avril 2021 n’a strictement rien changé pour agauche.org. Cela ne nous étonne pas du tout, nous l’avions anticipé, parce que nous savons qu’aucune prise de conscience ne peut avoir lieu spontanément en général, et en particulier avec une société capitaliste enserrant les gens jusque dans leur vie privée.

Les gens ont l’habitude de consommer et, partant de là, ils consomment même les événements les plus importants. Tout comme pour la pandémie, les gens basculent dans le subjectivisme pour interpréter les choses à « leur manière », en délirant plus moins, afin de consommer ce qui est nouveau. On dira ici : un événement n’est pas une marchandise. Oui, mais il est prétexte à des marchandises. Les réseaux sociaux sont emblématiques de comment les faits eux-mêmes sont utilisés pour que les gens « s’expriment » de manière du subjectiviste, participant ainsi au grand marché capitaliste.

Le régime ukrainien l’a bien compris d’ailleurs, en fournissant une liste sans fin d’intoxication consommable, faux de bout en bout : le pilote « fantôme de Kiev » qui aurait abattu le premier jour plusieurs avions russes, les soldats sur l’île des serpents tués après avoir « envoyé se faire foutre » le navire de guerre russe, la destruction du mémorial du massacre nazi de Babi Yar, le président Volodymyr Zelensky ayant fait un duo musical épris de paix avec sa femme juste avant la guerre, etc.

Le régime russe génère évidemment des consommables de la même manière, avec largement moins de succès et se focalisant surtout sur l’élection présidentielle à venir, mettant le paquet en ce moment en mode « tout sauf Macron » sur ses multiples médias.

Cependant, le problème n’est pas ici de manière principale que le capitalisme mette en avant la consommation, un style de vie appelant à la consommation. Le problème, ce sont les gens eux-mêmes, totalement aliénés. Même en admettant que la centaine d’articles publiés depuis avril 2021 sur la guerre à venir en Ukraine soient erronés, il y aurait dû y avoir un incroyable boom du lectorat, au moins par curiosité intellectuelle. Seulement, cet effort de l’intellect, les Français n’en veulent pas, ils veulent du twitter, de l’instagram, des remarques à l’emporte-pièce, des petites analyses stéréotypées.

Emmanuel Macron présente un excellent exemple de cela, avec les photos de la mi-mars mises en avant par sa photographe officielle Soazig de la Moissonnière, avec un hoodie CPA 10 (Commando Parachutiste de l’Air nᵒ10, une formation chargée de la protection des sites). Il a compris qu’il devait lui aussi donner une touche personnelle – en fait subjectiviste, pour être en phase avec la période.

C’est un mélange de paresse et de stupidité, ou plus exactement de suractivité nerveuse et d’intelligence entièrement orientées par le capitalisme. Il faut montrer qu’on est dépassé individuellement, mais que ce n’est pas « réel » ce qui se passe, ou du moins pas essentiel – c’est un événement « hors » capitalisme, qu’on peut prendre « comme on veut ». On prend au sérieux, et en même temps non. C’est du consumérisme.

Ainsi, le subjectivisme s’ajoute au subjectivisme, avec un jeu de surenchère, d’utilisation de préjugés, d’analyses superficielles, etc. Pour l’Ukraine c’est encore plus flagrant, car les Français ne connaissent rien à ce pays ne sachant ni où cela se situe, ni qui sont ses habitants, sans parler de la culture ou du parcours historique.

Comme en plus il faut ajouter la Russie, terre de fantasmes médiatiques, ainsi que l’OTAN, et puis la Chine, tous les pays d’Europe… là on perd carrément pied à moins d’un véritable effort prolongé, d’une ténacité intellectuelle qui ne peut être que politique.

C’est là un point essentiel : lorsque l’Histoire avance, le privé devient politique de manière flagrante, tout comme le politique devient privé. S’intéresser ou ne pas s’intéresser à telle chose a une dimension politique fondamentale. La question des animaux est un exemple notable : qui ne se tourne pas vers elle se détourne de son époque.

Et ce qui est terrible, c’est que plus l’époque fournit des défis, plus les gens fuient. C’est véritablement un effondrement civilisationnel.