Lénine peut se retourner dans sa tombe.
Né en 1993, le Parti communiste de la Fédération de Russie est le successeur du Parti Communiste d’Union Soviétique qui a dirigé l’URSS ; il est sur une ligne mêlant affirmation des acquis sociaux « soviétiques » et nostalgie de l’époque où l’URSS était une grande puissance dans les années 1970-1980. Son dirigeant est Guennadi Ziouganov et c’est le principal parti d’opposition en Russie. Le parti « Russie Unie » de Vladimir Poutine fait grosso modo plus de 50%, le Parti communiste de la Fédération de Russie tout de même autour de 20% en comptant qu’il y a un bourrage des urnes en sa défaveur.
Le Pôle de Renaissance Communiste en France, qui en est très proche idéologiquement, a traduit un article exprimant sa position du 14 mars 2022, formulé par l’un de ses dirigeants, Viatcheslav Tetekin (Ukraine : ce qu’en disent les communistes russes du KPRF). Ce qu’on lit est simple : le régime russe est réactionnaire, mais… il défend les intérêts nationaux, donc il faut le soutenir. Ce qui contredit directement la thèse de Lénine selon laquelle l’ennemi est dans son propre pays. Lénine, en suivant la ligne du Parti communiste de la Fédération de Russie, aurait dû finalement bien soutenir le tsar afin de défendre les « intérêts nationaux »…
Voici comme cela est présenté : la politique étrangère expansionniste, c’est très bien, par contre sur le plan intérieur il faut davantage de social.
« Depuis 30 ans, je suis l’un des critiques les plus actifs de la politique intérieure et étrangère de l’élite russe. Dans son caractère de classe, le pouvoir oligarchique-bureaucratique en Russie n’est pas très différent du pouvoir en Ukraine (sauf sans fascisme et sans contrôle total des États-Unis).
Cependant, dans les cas malheureusement rares où les dirigeants russes poursuivent une ligne qui répond aux intérêts historiques du pays et du peuple, le principe de la critique « automatique » n’est guère approprié.
Je fais valoir depuis longtemps que les sanctions auront un effet bénéfique sur la suppression de la dépendance imposée par la Russie à l’égard de l’Occident dans divers domaines de la vie.
Le gouvernement russe fait déjà les premiers pas dans cette direction. La tâche des forces de gauche est d’encourager vigoureusement les autorités à changer non seulement la politique étrangère, mais aussi le cours socio-économique, qui ne correspond pas aux intérêts du peuple. »
Comment peut-on dire que Vladimir Poutine et ce qu’il représente – l’oligarchie et le complexe militaro-industriel russes – peuvent défendre les « intérêts historiques du pays et du peuple »? C’est aberrant. C’est typiquement la position sociale-chauvine prise pratiquement partout en 1914 : notre pays a un régime mauvais, mais celui d’en face est pire, il faut donc soutenir la guerre et il en ressortira quelque chose bien car l’ennemi le plus mauvais aura été supprimée, etc.
Car dans son article, Viatcheslav Tetekin dit bien de l’Ukraine que :
« La nature de l’État ukrainien actuel est une alliance du grand capital et de la bureaucratie de l’État, s’appuyant sur des éléments criminels et fascistes sous le plein contrôle politique et financier des États-Unis.
Enlevons comme le dit Viatcheslav Tetekin le fascisme et la soumission à la superpuissance américaine. Il reste tout de même une « alliance du grand capital et de la bureaucratie de l’État » – et c’est cette alliance qui serait capable d’orienter correctement les intérêts de la Russie comme nation, des Russes comme peuple? Lénine peut se retourner dans sa tombe. C’est la négation de la lutte des classes au profit d’une conception nationale tout à fait bourgeoise validant les intérêts de l’oligarchie russe dans son expansionnisme.
Ce que fait d’ailleurs le Parti communiste de la fédération de Russie depuis trente ans. C’est ce parti qui a ouvert la voie à la catastrophe en demandant au parlement russe la reconnaissance des républiques séparatistes du Donbass – permettant à Vladimir Poutine de s’engager dans l’invasion de l’Ukraine au nom d’une exigence « nationale ».
Cela ne veut pas dire que le régime ukrainien n’était pas (et n’est pas) une plate-forme de l’OTAN contre la Russie. Mais il faudrait savoir si oui non la thèse de Lénine et de Rosa Luxembourg comme quoi l’ennemi dans son propre pays est juste ou pas.