Il faut s’attendre au pire.
L’indifférence complète pour la présidentielle 2022 de la société française ne doit pas laisser penser que les Français sont rétifs à l’État ou au capitalisme. L’abstention, si valorisée à l’ultra-gauche, n’exprime certainement pas, dans les conditions actuelles, une élévation du niveau de conscience sociale. Encore faut-il d’ailleurs porter une attention sur un tel niveau – ce qui est le choix de la Gauche historique.
Non, l’indifférence pour la présidentielle 2022 correspond à une dépolitisation, à un dédain de toutes responsabilités, ce qui s’associe avec un vote à l’extrême-Droite. On pense trop souvent que la montée de l’extrême-Droite ne peut que s’accompagner d’une mobilisation de masse, dans une version fanatisée et de grande ampleur. C’est là un raccourci.
La mobilisation de masse de l’extrême-Droite est toujours apolitique ou anti-politique ; elle vise, exactement comme les gilets jaunes d’ailleurs, à « rétablir » un ordre ancien. Les fascistes italiens et les nazis allemands ne prétendaient pas être une faction politique, mais un mouvement de fond procédant au grand « rétablissement ».
Et le terreau d’un tel mouvement de « réaction » – s’arrogeant une dimension « révolutionnaire » anticapitaliste en luttant contre le présent de la société (mais pour aller vers le passé et non l’avenir) – c’est l’apolitisme à grande échelle, le crétinisme de masse, la réduction des masses à des foules.
C’est pourquoi la présidentielle 2022 n’a pas qu’un seul aspect horrible, consistant en le fait que les Français soient ailleurs dans leur esprit, mais bien deux, car la montée de l’extrême-Droite est strictement parallèle à un tel phénomène. C’est l’alliance de l’apolitisme et du « retour en arrière ».
Et si l’on veut s’opposer à cela, il faut être à la hauteur. Essayons de résumer les principaux points, à traits grossiers, caractérisant la société française : le refus de lire des choses profondes, le rejet de toute organisation, la réduction à la structure familiale, la fascination pour l’esprit de bande, la limitation de l’expression des points de vue à des éléments brefs dans l’esprit des réseaux sociaux, le consumérisme béat, l’attrait pour des choses superficielles bien empaquetées à la Netflix ou Koh Lanta…
Et maintenons regardons les gens à gauche. Sont-ils extérieurs à cette tendance négative ? Absolument pas. Ils sont même une partie du problème le plus souvent, en ayant été happés par le turbocapitalisme. Ils sont en phase directe avec le capitalisme élargissant les marchés, depuis Uber Eat jusqu’aux LGBT. Ils sont un facteur de dépolitisation massive, de repli individuel, avec le progrès social consistant en l’élargissement des « droits individuels ».
Pour être à gauche aujourd’hui, il faut avoir un vrai niveau culturel, et lutter en ce sens ; qui ne le fait pas se fait happer par le capitalisme, sans même le remarquer, et après c’est trop tard. C’est bien entendu un phénomène de masse. Et pour ne pas avoir été à la hauteur à ce niveau, la Gauche française est incapable de faire face tant à la dépolitisation qu’à la montée de l’extrême-Droite, deux phénomènes qui vont ensemble et qui s’expriment tel un rouleau compresseur.
La société française se replie sur elle-même et il faut s’attendre au pire pour la présidentielle 2022. Rien ne peut sortit de bon d’un tel événement institutionnel dans une société en décomposition, avec un capitalisme décadent, avec une crise à tous les niveaux.
Qui ne se place pas à ce niveau, en termes civilisationnels, rate le sens de ce qui est en train de se dérouler.