C’est simplement du fanatisme belliciste.
La National Gallery est en quelque sorte l’équivalent du musée du Louvre, version britannique. Elle possède un tableau du peintre français Edgar Degas, Danseuses russes, peint vers 1899, d’ailleurs non exposé. En raison de la guerre en Ukraine, la National Gallery a pris l’initiative de renommer le tableau, dans une relecture forcée et artificielle de l’Histoire. Ce sont désormais des « danseuses ukrainiennes ».
On ne peut pas ici montrer le tableau, car si le musée est gratuit, la reproduction des œuvres ne l’est pas, le capitalisme ayant conquis ce domaine également. On peut voir le tableau ici ; on remarquera alors que les danseuses ont dans les cheveux et sur les jupes des danseuses des rubans bleus et jaunes. C’est le prétexte pour la National Gallery pour dire que les danseuses sont en fait ukrainiennes. Officiellement, cela répond à une demande de Tanya Kolotusha, une Ukrainienne vivant à Londres.
C’est là un exemple de nationalisme, de bellicisme, de décadence des institutions bourgeoises, et donc de barbarie et de nihilisme. Pour deux raisons. Tout d’abord, on ne peut pas renommer un tableau dont le titre a été choisi par son réalisateur. Cela n’a pas de sens. On peut faire une précision, un panneau critique à côté de l’œuvre, mais on ne décide pas arbitrairement de réécrire l’Histoire.
Ensuite, il y a la nature du tableau en lui-même. Car il ne faudrait pas croire qu’Edgar Degas, en peintre réaliste, s’est promené dans les contrées paysannes ukrainiennes à la fin du 19e siècle pour faire un portrait du peuple. Edgar Degas est un impressionniste parisien, qui n’en fait qu’à sa tête. Le quotidien Le Figaro se moquait de lui ainsi en 1877 :
« Essayez donc de faire entendre raison à M. Degas ; dites-lui qu’il y a en art quelques qualités ayant nom : le dessin, la couleur, l’exécution, la volonté, il vous rira au nez et vous traitera de réactionnaire. »
Et l’une de ses sources d’inspiration pour ses œuvres impressionnistes, ce sont les danseuses de l’opéra. Voilà où Edgar Degas a vu les danseuses russes et d’ailleurs il y a plusieurs tableau de danseurs russes. Car Edgar Degas s’était focalisé sur ce thème. Cela est présenté ainsi par le site du ministère français de la culture L’Histoire par l’image, dans l’article Degas et la célébration de la danse féminine à l’opéra :
« Peintre des danseuses » : ainsi Manet définit-il Degas dans une lettre adressée à Fantin-Latour en 1868, anticipant d’une dizaine d’années le jugement des critiques ; ainsi est-il encore connu aujourd’hui en raison du grand nombre d’œuvres qu’il a consacrées à ce sujet de 1860 jusqu’aux années 1890.
Degas ne partage pourtant pas, à l’égard des danseuses, l’admiration intéressée de la plupart des habitués de l’Opéra, notamment des riches abonnés. Si le peintre insiste auprès de l’administration du théâtre pour obtenir l’abonnement annuel à trois soirées hebdomadaires, partageant les frais – et la place – avec des amis, et s’il se réserve le très convoité droit d’accès aux coulisses et au foyer de la danse, ce n’est pas pour des aventures galantes.
Degas est fasciné par le monde des danseuses et le représente tel qu’il est, sans tomber dans le voyeurisme ou dans les préjugés qu’il suscite dans la société de son temps. Comme il peut assister aux classes, aux répétitions, aux spectacles et au repos des danseuses et que, de plus, il en invite souvent dans son atelier, Degas connaît bien leurs habitudes et leur milieu de travail, le dur entraînement caché derrière les gestes légers et élégants et les sourires affichés sur la scène.
Ce que cela implique, c’est qu’il y a une très faible probabilité pour que ces danseuses aient été ukrainiennes. La danse était déjà en Russie une activité extrêmement développée, le ballet russe était déjà professionnel. Comme l’Ukraine paysanne était marginalisée et exploitée dans l’empire russe, il y a peu de chances matérielles qu’elle ait pu envoyer des danseuses. Il y a par contre bien plus de chances que ce soit des danseuses russes, de Moscou ou de Saint-Pétersbourg, célébrant un aspect culturel, ukrainien, de l’empire russe…
Mais raisonner ainsi c’est déjà raisonner et on sort de ce qu’a fait la National Gallery, qui se place simplement en convergence avec le bellicisme délirant du Royaume-Uni. Tous ces gens qui travaillent dans la culture sont formés par le capitalisme, ils ont des mentalités capitalistes, et ils se précipitent toujours pour être en phase avec le capitalisme.
On a un exemple français parlant avec l’orchestre philharmonique de Strasbourg qui, devant jouer Stravinski, Rachmaninov et Prokofiev, a début mars 2022 supprimé les titres des représentations « De Paris à Moscou », « Esthétiques russes » et « Maîtres russes ».
C’est là directement servir les grandes puissances voulant dépecer la Russie et, pour pouvoir le faire, il faut prétendre qu’elle n’a jamais vraiment existé. C’est du nihilisme et cela correspond à la réécriture fasciste de l’Histoire.
La directrice générale de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg a justifié cette décision en expliquant :
« Il y a des mots qu’on ne peut plus manier aujourd’hui sans provoquer un risque de controverse. Que se serait-il passé si on avait affiché partout en ville un concert intitulé « Maîtres russes » ? Je pense que cela n’est plus à propos dans le contexte géopolitique actuel. »
Marie Linden, directrice générale de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, ce n’est pas n’importe qui. Sa ville est parsemée d’affiches de son orchestre. Et elle fait de la « géopolitique » . Et elle a décidé : les maîtres russes n’en sont plus, l’esthétique russe n’est ni esthétique ni russe, Moscou est un mot banni.
A part ça, ni elle ni la National Gallery ne sont dans le fanatisme anti-Russie, non, pas du tout !