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Un premier tour de la présidentielle 2022 reflétant la capacité intégratrice du capitalisme

Le capitalisme profite des institutions pour se renouveler.

Le capitalisme profite des institutions pour se renouveler.

Tout le monde sait bien que le capitalisme a une formidable capacité corruptrice et intégratrice, cherchant à récupérer même ce qu’il y a de plus rebelle, afin de se réimpulser. Échapper à cela nécessite un véritable travail de fond, que les Français ne font nullement. Ils sont parfois critiques du capitalisme, voire peut-être même hostiles pour une minorité, mais ils acceptent de l’accompagner, même passivement.

Les Français ont, autrement dit, un certain mode de vie façonné par le capitalisme et ils y tiennent. Partant de là, il n’y a pas de participation à une démarche de rupture, que ce soit sur le plan des idées, de la culture, de la vie quotidienne. C’est ce que reflète parfaitement la présidentielle de 2022.

Elle témoigne que pour les Français, ce qui compte c’est où placer le curseur, certainement pas de changer les choses en profondeur. Il y a pourtant de grands thèmes universels qui sont inévitables, incontournables – la pandémie, la guerre en Ukraine, la question animale, le réchauffement climatique. Tout cela a été passé à la trappe.

Il y a 44 millions d’inscrits et le président sortant, Emmanuel Macron, a eu le soutien de 9 millions de personnes. C’est là un grand acte de légitimisme, de confiance. Et c’est l’expression d’une idéologie de l’entreprenariat, du carriérisme, de l’initiative capitaliste.

Pour ceux et celles qui ne sont pas de la partie, qui se trouvent en décalage avec cette logique de succès capitaliste individuel, il y avait Marine Le Pen, l’opposante démagogue nationaliste-protectionniste servant à représenter une protestation populaire primitive, informe, qui obtient 8 millions de voix.

Et derrière, on a Jean-Luc Mélenchon avec 7 millions de voix, qui représente désormais la nouvelle social-démocratie en mode désormais populiste-tribunicienne.

Cela fait là 24 millions d’électeurs, sur 44 millions d’électeurs. C’est à la fois peu et beaucoup, et en tout cas dans une France d’une pesanteur absolue, cela suffit à donner la tendance. Si vous êtes pour un capitalisme toujours plus moderne, vous avez les libéraux d’Emmanuel Macron. Si vous êtes sur le bord de la route, vous avez le protectionnisme de Marine Le Pen. Si vous voulez davantage de social dans un esprit « sociétal », vous avez Jean-Luc Mélenchon.

Tout le reste s’y rattache, d’où la mise de côté des candidats, non pas par un « vote utile » rationnel, mais de manière tendancielle. Yannick Jadot d’EELV, Valérie Pécresse des Républicains et Anne Hidalgo du Parti socialiste ne représentaient qu’une variante de la tendance que représente Emmanuel Macron, leur candidature était superflue. D’où une marginalisation, avec respectivement 1,5 million pour les deux premiers, 5000 000 voix pour la troisième.

Nicolas Dupont-Aignan et Eric Zemmour représentait pareillement un accompagnement de Marine Le Pen, d’où là encore leur mise de côté, avec 700 000 et un peu plus de 2 millions de voix.

Pareillement, ne formaient qu’un appendice de la tendance exprimée par Jean-Luc Mélenchon Fabien Roussel (PCF), avec 700 000 voix, Philippe Poutou (NPA) avec 250 000 voix, Nathalie Arthaud (LO) avec 200 000 voix.

Jean Lassalle, avec un million de voix, ne représente quant à lui qu’une anecdote provinciale sans contenu autre que le pittoresque électoral. Mais il montre justement, avec un tel score, que les élections se consomment.

Et toute consommation implique une forme de rationalisation, d’où les consommations majeures en trois courants et leurs variantes. Et c’est passager, car la tendance sera forcément, comme aux États-Unis, à une structuration plus avancée de toutes ces variantes, autour de deux blocs.

Aux États-Unis il y a des primaires, avec les républicains unissant ainsi depuis les anarcho-capitalistes jusqu’aux conservateurs nationalistes protectionnistes, et les démocrates unissant depuis des forces se revendiquant de la gauche la plus radicale jusqu’au centre-gauche libéral.

On va y tendre. En ce sens, la vie politique va connaître des mutations pour aller en ce sens. La France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon, par exemple, sera obligé d’abandonner ses discours « utopiques » post-socialiste pour proposer, ce qui est déjà fait à demi-mot, un « capitalisme organisé ».

Mais cette tendance consommatrice qui se reflète ici dans un capitalisme victorieux, divisé en conservateurs traditionnels et modernistes sociaux, se heurte aux très violents conflits existant au sein des couches dominantes du capitalisme en crise, chacune essayant de faire privilégier sa propre option. Une armée française autonome, une armée française dans le cadre de l’Union Européenne, une armée française dans le cadre de l’OTAN… les options ne manquent pas, car la situation française est bien différente de celle, historiquement, de la superpuissance américaine.

La vie politique française s’américanise donc, car c’est le modèle d’un capitalisme installé… Mais en même temps, le capitalisme français n’a pas la stabilité du capitalisme américain. Cela promet une situation troublée politiquement.

Et ici, il faut souligner le rôle improductif, voire franchement néfaste de Jean-Luc Mélenchon et de son mouvement la France Insoumise. En se présentant comme le fer de lance d’un changement de l’intérieur de la société capitaliste, en réfutant le mouvement ouvrier au nom du populisme… il opère entièrement sur le terrain d’une polarisation entre conservateurs traditionnels et modernistes sociaux exigée par le capitalisme.

Son incapacité à dénoncer l’OTAN alors que celle-ci, et donc la France, est ouvertement partie prenante dans la guerre en Ukraine, le montre parfaitement : il y a alignement sur la continuité capitaliste.

Or, on ne peut pas relever du camp du prolétariat, contre la bourgeoisie, dans le cadre de la lutte des classes, et en même temps s’installer dans une tendance du capitalisme à intégrer les forces politiques, à les agglomérer dans son propre dispositif de renouvellement, de réimpulsion.

Pour qui veut le socialisme, l’intégration dans le capitalisme, c’est la désintégration. Le premier tour de l’élection présidentielle de 2022 souligne parfaitement cette dimension intégratrice. La question est désormais de savoir dans quelle mesure, et comment, la lutte de classes va faire sauter ce verrou historique.