Nier la crise ne la fera pas disparaître.
Le temps de sa (longue) campagne présidentielle, Marine Le Pen a cédé la présidence de son parti à Jordan Bardella. Celui-ci est un excellent orateur et on imagine qu’il aurait produit une bien meilleure prestation qu’elle en débattant face à Emmanuel Macron, mais là n’est pas le sujet. Il y a par contre un bon mot, typiquement français dans sa forme (à la fois subtile et grotesque, à la fois léger et piquant), qu’a sorti Jordan Bardella pour lancer la campagne de l’entre deux tours : « Emmanuel McKinsey, ou Marine Le Peuple ! »
C’est très bien vu, cela résume exactement ce deuxième tour de l’élection présidentielle et a fortiori le débat du mercredi 20 avril 2022. Emmanuel Macron assume totalement la posture qui lui a été façonnée et dessinée par son entourage issu du cabinet de conseil McKinsey, ainsi que de tout un tas de riches donateurs en 2017 issus du monde de l’entreprenariat. C’est très facile à voir et à comprendre, son libéralisme à prétention rassurante et « inclusif », à l’américaine, en est exactement le produit. C’est, autrement dit, de la pure communication. Parler d’Emmanuel McKinsey est pertinent.
En face, il y a donc Marine Le Pen, censée représenter le peuple. Évidemment, ce n’est pas vrai dans le fond. Mais il y a toutefois, dans la forme, quelque-chose de tout à fait conforme et cohérent avec la situation des classes populaires françaises. Clairement, Marine Le Pen a choisi d’incarner une femme française moyenne, ou « de base » comme cela se dit parfois, de manière péjorative mais significative. Cette Française « de base » donc, est mère de famille, concernée par la quotidien économique, son « pouvoir d’achat », sa liberté de mettre ou ne pas mettre le masque, l’insécurité, sa désolation face aux éoliennes ou aux femmes voilées, etc.
En fait, en tentant d’incarner « le peuple », Marine Le Pen a surtout incarné la rancœur, qui est un sentiment extrêmement puissant et répandu dans la France populaire de 2022. Toutes ses interventions, presque chacune de ses réactions à Emmanuel Macron et ses propositions lors du débat, n’ont consisté qu’en de la rancœur face à ce qu’il a représenté pendant cinq ans, voir dix ans si l’ont compte qu’il est dans la lignée directe de François Hollande.
En ce sens, le bon mot « Marine le peuple » de Jordan Bardella illustre tout à fait la situation. Et comme on ne gouverne pas un pays comme la France avec de la rancœur, alors Marine Le Pen s’est faite balayer par Emmanuel Macron, solide, extrêmement sûr de lui et de sa légitimité. Suffisamment arrogant pour apparaître crédible, suffisamment courtois pour ne pas apparaître hostile.
Disons la chose d’une autre manière, beaucoup plus politique. En fait, Marine Le Pen n’a pas assumé son programme. Elle n’assume pas d’être nationaliste ; sa prestation lors du débat était à peine gaulliste, alors qu’elle est censée être une néogaulliste, qu’elle a théorisé cela depuis des années, et mis en pratique cela depuis 2012, soit dix années.
C’est flagrant surtout sur la question de la Russie et de la guerre en Ukraine. Si Marine Le Pen assumait son programme, si elle assumait d’être une néogaulliste, elle aurait dénoncé vent debout Emmanuel Macron comme marionette américaine vendue à l’OTAN, voulant entraîner la France dans une guerre à la Russie.
Si Marine Le Pen assumait d’être une gaulliste à prétention sociale, elle aurait torpillé Emmanuel Macron avançant ses bons chiffres du chômage, en lui répondant que cela est maquillé par le fait qu’énormément d’emplois sont en fait des CDD ou des missions d’intérim, très précaires, mal payés, ne permettant pas une stabilité au capitalisme français.
Marine Le Pen en a été incapable, car ce qui se joue en réalité est bien trop important pour elle. En effet, derrière l’apparente solidité du système, autrement dit la grande stabilité, en surface, du capitalisme en France, il y a une crise monstrueuse qui se prépare.
Face à cela, il n’y a pas le choix, il faut assumer des grandes idées, il faut cogner fort. Soit avec le Socialisme, en s’appuyant sur la Gauche historique, comme nous le proposons, soit avec le fascisme, ce que Marine Le Pen n’a pas osé faire, alors que c’est pourtant sa ligne.
Marine Le Pen ne pèse donc pas bien lourd avec son nationalisme light, son gaullisme timide, face à un Emmanuel Macron très arrogant dans sa défense des institutions, de son mandat, de sa politique. En effet, il croit profondément en ce qu’il raconte. Il croit très probablement que l’insécurité n’est qu’un sentiment et que les chiffres sont faussés par le fait que de plus en plus de femmes portent plainte contre leurs maris grâce à ses mesures. Il croit vraiment que les 600 milliards de dettes « covid », qui s’ajoutent à l’immense dette structurelle de l’État français, ne sont pas un soucis. Il croit vraiment que la guerre contre la Russie menée par l’OTAN est une bonne chose, etc.
Alors il passera, il sera (très) probablement à nouveau président pendant cinq ans, car la rancœur « populaire » de Marine Le Pen ne pèse pas lourd face à son assurance bourgeoise.
La question maintenant est : faut-il s’en réjouir, ou le déplorer ? Évidemment, on ne peut qu’être rassuré face à cette évidence que le fascisme en France n’est pas mûr, que le nationalisme comme proposition ne s’incarne pas et que Marine Le Pen va très probablement échouer.
Mais pour autant, il ne suffit pas de nier la crise pour la faire disparaître. Alors la situation va se tendre, politiquement, culturellement, socialement, militairement. Et il y a, après Marine Le Pen, toute une nouvelle génération en embuscade pour proposer une nouvelle et solide proposition nationaliste, tendanciellement fasciste, pour le pays.
Concrètement, l’échec de Marine Le Pen en 2022 fera le lit des succès à venir des Marion Maréchal, Guillaume Peltier, Nicolas Bay, Jordan Bardella, etc.
Mais inversement, la crise fait que la Gauche historique, celle de la classe ouvrière et de la bataille internationale pour le Socialisme et la paix entre les peuples, va de nouveau être à l’ordre du jour, gagner des positions, devenir crédible.
C’est sur cela qu’il faut compter, principalement. Et il ne faut pas s’imaginer que c’est très lointain. Rien qu’avec la situation politique internationale, il y a quelque chose d’explosif. Emmanuel Macron va (très) probablement être réélu triomphalement dimanche 24 avril 2022, et cela sera un signal très fort pour l’OTAN, et toute la clique des dirigeant prônant la guerre à la Russie.
La tension va donc continuer de monter, la crise va l’emporter, dans tous les domaines, à commencer par la guerre et la crise économique l’accompagnant. Telle est la véritable actualité, ce à quoi il faut profondément et sérieusement s’intéresser. Maintenant, tout de suite !