On retourne à avant 1905.
Le conseil national du Parti socialiste s’est tenu le 5 mai 2022 au soir à Ivry-sur-Seine, et 167 membres ont voté, après cinq heures de débat, en faveur de l’accord avec Jean-Luc Mélenchon, 101 contre, 24 s’étant abstenus. Le Parti socialiste est donc désormais une composante de la « Nouvelle Union populaire écologique et sociale », aux côtés de La France Insoumise, du PCF et d’EELV, au grand dam d’une partie des socialistes qui comptent présenter des candidats dissidents.
De manière générale d’ailleurs, la tambouille de ces accords, réalisés par en haut sans aucun respect des situations locales, aboutit à nommer des candidats de manière arbitraire, ce qui provoque des remous particulièrement significatifs par endroit.
Cela va être lourd de signification, mais en attendant on peut déjà évaluer cette situation comme un retour à avant 1905, à une époque où le « socialisme français » était à la fois divisé et fondé sur le principe fédéral. C’est un objectif avoué de Jean-Luc Mélenchon.
Le 24 avril 2019, il tenait les propos suivants au sujet d’une « Fédération » alliant Gauche gouvernementale et mouvements sociaux :
« Si l’élection (européenne) nous en donne la force, nous assumerons de nouveau notre responsabilité. Nous proposerons de nouveau une fédération populaire à construire dans les élections suivantes et dans les mouvements écologiques et sociaux. »
Dans L’Humanité du 28 avril 2022, il a de nouveau proposé cette forme fédérative :
« L’Union populaire donne une méthode qui permet à chaque organisation de rester elle-même et au peuple d’entrer en action. Je parle ici d’une fédération, ou d’une confédération. »
Cette proposition de forme fédérale, voire confédérale, mérite qu’on s’y attarde particulièrement. En effet, Jean-Luc Mélenchon a été façonné sur le plan des idées et du style par deux courants : le trotskisme, dans sa variante dite « lambertiste », et la franc-maçonnerie, dans sa variante « Grand Orient ».
Or, tant l’un que l’autre puisent dans le style républicain et « socialiste français » de la fin du 19e siècle, avec une insistance particulière sur le droit de tendance, le droit des minorités, une forme non centralisée, une grande autonomie fédérale. C’était d’ailleurs une époque où c’est la CGT qui donnait le ton avec une démarche syndicaliste révolutionnaire totalement minoritaire dans le prolétariat mais d’autant plus activiste.
La CGT portait justement ces valeurs de « fédéralisme », de « confédéralisme », que le « socialisme français » affectionnait particulièrement en vitupérant contre le marxisme et la social-démocratie allemande, considérés comme « autoritaires » voire dictatoriaux.
A partir de 1905, les choses se sont compliquées avec l’unité des socialistes dans le Parti socialiste SFIO, qui a maintenu cette dimension fédérale, mais où les troubles internes perpétuels ont dévalorisé le principe. L’unité obtenue en 1905 exigeait en effet que soit maintenu un certain cadre.
Lorsque la majorité du Parti socialiste SFIO devint le Parti Communiste SFIC en 1920, elle récusa alors d’autant plus le fédéralisme, au profit du centralisme démocratique, au prix de très nombreuses évictions et expulsions toutefois tellement les traditions du « socialisme français » étaient vivaces.
Si le Parti socialiste SFIO maintenu, avec Léon Blum, maintint le fédéralisme, il exigea toutefois un certain esprit unitaire en même temps. Il en alla de même pour les socialistes réunifiés au congrès d’Epinay de 1971 avec François Mitterrand.
Si l’on regarde les choses ainsi, alors on peut dire : la parenthèse historique du mouvement ouvrier « centralisé », tourné vers le marxisme, prend définitivement fin et on retourne à avant 1905, Jean-Luc Mélenchon étant le fer de lance de l’officialisation de ce grand retour en arrière, le Parti socialiste assument désormais cette direction, tout autant que le PCF, EELV le faisant de manière naturelle.
Avec Jean-Luc Mélenchon, on a le retour à avant 1905, aux différents courants du « socialisme français » rejetant le marxisme tout en en acceptant certains éléments, assumant en large partie le populisme, le substitutisme avec une « minorité agissante », le culte du coup de force par des démonstrations populaires dans les rues censées changer le cours des choses.
C’est, somme toute, une vaste opération de liquidation. Et il va de soi que ni le Parti socialiste, ni le PCF ne peuvent lutter contre une telle tendance, car eux-mêmes ont abandonné leurs propres traditions historiques depuis longtemps maintenant. C’est là que des choses importantes vont se décider.
Soit on arrive à préserver le patrimoine du mouvement ouvrier, on défend le parcours des socialistes et des communistes assumant le Socialisme dans sa version non pas française mais on va dire marxiste, rationnelle, social-démocrate historique… Soit on est balayé par le renouveau du « socialisme français » comme populisme social à moitié syndicaliste révolutionnaire à moitié gouvernemental.
Il va de soi que ce renouveau intégrera, intègre déjà les courants LGBTQ+, de la « déconstruction » antiraciste ou anticoloniale, les syndicats étudiants en mode « ultra », etc. On est ici dans un fourre-tout magmatique exactement comme avant 1905, avant que le Socialisme ait une dimension scientifique, organisée, avec des valeurs, des principes, un programme.
C’est cela, la vraie menace de proposition de « fédération », de « confédération » de Jean-Luc Mélenchon.