La distinction est importante.
La création de l’alliance électorale « NUPES » par Jean-Luc Mélenchon a provoqué une onde de choc dont on cerne mal encore l’impact historique. Il reste néanmoins que cela provoque un regain d’affirmation d’une partie de la Gauche qu’on va qualifier de 3R : rationaliste, réformiste, républicaine.
C’est indéniablement une bonne chose. Il ne sera rien construit en France à gauche sans des gens rationnels, voulant établir une base programmatique. On peut bien entendu discuter du programme. Cependant, pour cela il faut déjà pouvoir discuter à ce niveau. Vous imaginez-vous pouvoir discuter du programme avec Jean-Luc Mélenchon ? Certainement pas.
Le rêve de Jean-Luc Mélenchon, c’est de faire comme le président vénézuélien Hugo Chávez au début du 20e siècle avec son émission de télévision Aló Presidente, où des gens appellent et le chef fait une réponse spontanée, et bien souvent prolongée, dans un grand étalement populiste.
La Gauche 3R – rationaliste, réformiste, républicaine – n’a pas du tout ce rêve, qu’elle trouve même foncièrement gênant, voire sortant franchement du cadre de la Gauche. On parle ici de gens qui exigent un certain niveau de conscience, se situant dans la tradition des « socialistes français », en acceptant positivement ce qui s’est passé après 1920, notamment le Front populaire.
C’est même d’ailleurs une référence essentielle, parce que cela ancre les radicaux de gauche dans le camp de la Gauche, de l’antifascisme. Pour cette Gauche 3R en général, d’ailleurs, les radicaux de gauche font partie de la « Maison » parce que la République française peut selon eux être transformée en « République sociale ».
Mais il y a des nuances car certains sont républicains avant d’être rationalistes ou réformistes, d’autres réformistes avant d’être républicains ou rationalistes, etc. Cela fait que sur le plan des idées, on va ainsi de gens foncièrement réformistes et toujours désireux de participer à un gouvernement quel qu’il soit, à des gens espérant sincèrement qu’on en arrive au socialisme par la République. Ces nuances s’expriment ainsi par de multiples appareils politiques.
Sur le plan des organisations, on a la Gauche Républicaine et Socialiste, mais également le Mouvement Républicain et Citoyen, les Radicaux de Gauche – LRDG, la Nouvelle Gauche Socialiste, désormais tous unies dans une Fédération de la Gauche Républicaine ; on a également une partie significative du Parti socialiste. Arnaud Montebourg peut être rattaché à cette approche, c’est d’ailleurs un bon exemple, avec Manuel Valls, de gens « républicains » avant tout.
Et à cette liste il faut ajouter des organisations d’orientation révolutionnaire qui se veulent le prolongement, au sens d’un dépassement de cette position socialiste française : le PRCF, le PCRF, le PCF(MLM), le PCOF. C’est finalement ce qui est appelé la « Gauche programmatique » sur agauche.org, au sens le plus large.
Aussi, ce qui se pose comme question, c’est : l’alliance électorale NUPES va-t-elle anéantir le camp de la Gauche programmatique, ou pas ? Une partie des socialistes ne le veut pas, mais leur option est la sortie par la Droite, soit directement auprès d’Emmanuel Macron comme avec Manuel Valls, ou dans une position de centre-gauche qui n’a rien du tout de socialiste, comme avec François Hollande.
Que vont faire les autres ? C’est là ce qui va être d’une importance historique certaine. La question est ici électorale, mais pas seulement, d’ailleurs elle peut ne pas l’être.
Ce qui compte, c’est l’affirmation d’un espace pour la Gauche programmatique – sans quoi c’est le champ libre au populisme contestataire, à une post-gauche décomposée, se calquant consciemment ou non sur les Démocrates américains et leur fascination pour les « droits individuels » convergeant avec la modernisation du capitalisme.
Nous vivons clairement un moment clef. Il faut le comprendre et ne pas passer à côté des exigences historiques.