À l’ouest rien de nouveau (Im Westen nichts Neues en allemand) est initialement un roman de l’écrivain allemand Erich Maria Remarque sorti en 1929, livre qui sera brûlé lors des autodafés nazis en 1933. C’est un roman très connu, de par sa qualité que par sa violente charge contre la guerre. Erich Maria Remarque a participé à la Première Guerre mondiale, incorporée en 1916 et envoyé sur le front de l’est en 1917 où il sera blessé.
Lewis Milestone l’adapte au cinéma l’année suivant sa sortie (All Quiet on the Western Front pour le titre original), en 1930, dans un film très ambitieux, au début du cinéma parlant, et qui recevra deux oscars, celui du meilleur film et du meilleur réalisateur.
Auparavant, d’autres films importants ont déjà traité de la Grande Guerre, comme La grande parade de King Vidor (1925), ou Au service de la gloire de Raoul Walsh (1926), mais aucun n’atteint la puissance évocatrice d’À l’ouest rien de nouveau.
C’est une véritable plongée dans l’enfer des tranchées que propose Milestone. Tout débute dans une classe d’étudiants en Allemagne, d’où on peut voir à l’extérieur, par la fenêtre, un défilé militaire avec une foule patriotique en liesse.
Le professeur lance alors un monologue belliciste et nationaliste, appelant à s’unir pour défendre la patrie contre l’ennemi dans une guerre qu’il prévoit courte et peu meurtrière.
Son discours harangue ses étudiants qui partent alors se porter volontaire, la plupart conquis à l’idée de partir pour cette grande aventure, d’autre plus pour suivre le mouvement général.
Après un passage à l’école militaire pour faire leur classe à ramper dans la boue et obéir aux ordres tyranniques de leur ancien postier, la petite troupe part au front.
À partir de ce moment, le film prend une autre dimension et regorge alors d’inventivité.
Tout d’abord dans la mise en scène avec de nombreux travellings le long des tranchées, montrant les charges des ennemis, avec un montage souvent très haché, faisant monter la tension au fur et à mesure que les soldats adversaires approchent, montrant la peur, l’horreur, tout en restant d’une exemplaire lisibilité.
Clarté d’autant plus remarquable que dans ces scènes d’affrontements les soldats des deux camps sont presque indifférenciés, seuls les casques (à pointe ou non) permettent de faire une différence.
D’ailleurs, tout au long du film, il y a assez peu d’éléments pour caractériser les protagonistes comme allemands, si ce n’est leur nom, et parfois le nom d’une ville au pays. Comme si la même histoire aurait pu être racontée de n’importe quel côté de la ligne de front.
Le travail sur le son a également une importance primordiale pour l’immersion, avec le bruit continu des bombardements, tel une pluie d’obus qui hante les esprits.
On sent par ailleurs un fort héritage du cinéma muet dans de nombreuses scènes qui se passent très bien de parole, et il n’est pas incongru d’y voir également quelques influences du cinéma expressionniste allemand, notamment au début lorsque les étudiants survoltés se déclarent volontaires pour s’enrôler, ou lors de certains plans de soldat dans les tranchées, pouvant même faire songer au fameux triptyque Der Krieg du peintre et graveur expressionniste allemand Otto Dix.
Le lien semble d’autant moins surprenant si on note que Karl Freund a travaillé sur le film en tant que chef opérateur, bien que seul Arthur Edeson soit crédité. Karl Freund a notamment travaillé autour des années 1920 avec deux grands noms du cinéma expressionniste allemand : Robert Wiene et Friedrich Wilhelm Murnau pour lequel il assura la direction de la photographie sur Le dernier des hommes.
Le film possède également de nombreuses scènes clés d’où ressort un fort sentiment de fraternité et pacifisme : que ce soit à l’occasion d’un face à face mortel entre le protagoniste principal Paul et un soldat français dont il dira “tu es un comme comme moi et je t’ai tué”, ou lors de discussions entre camarades. Se posent alors des questions logiques comme les origines de la guerre, dont on dit toujours que c’est l’autre camp qui l’a débuté, et son apparente absurdité, qui doit bien servir à quelques-uns.
Une des plus grandes réussites du film, c’est la caractérisation et le parcours de ses personnages, révélant la déshumanisation amenée par la guerre. Pour continuer à se battre, alors il faut abandonner toute compassion, toute empathie, il faut se débarrasser peu à peu de sa vie intérieure. Ce qui donne des personnages qui ne sont plus que des machines de guerre, complètement inadaptées à un retour à la vie civile.
Un autre obstacle à ce retour, pour Paul, est le fossé qui se creuse au fil du temps entre l’abstraction qui est faite de la guerre par les gens restés à l’arrière, au pays, et ceux qui comme lui rentrent, pour de bon ou en permission, et qui ont eu une expérience sensible de celle-ci, bien loin de l’aventure exaltante vantée par son professeur au début du film.
Ainsi, il y a plus de 90 ans, À l’ouest rien de nouveau lançait un puissant plaidoyer contre la guerre.
On remarquera qu’à l’époque le Parti communiste en France a valorisé le film, parlant dans le journal L’Humanité d’une œuvre remarquable, et de l’auteur comme étant un « véritable talent ». Ce fut pareil pour le livre, dont un extrait fut publié et valorisé dès 1929 dans la rubrique « Les bonnes pages », l’ouvrage étant considéré au même plan que le célèbre Le Feu, journal d’une escouade d’Henri Barbusse.
Il était écrit en présentation de l’extrait :
« Écoutons, raconté par un soldat allemand, le tragique récit d’une « attaque au gaz »… Et tirons-en la haine, la haine de classe et la volonté d’action révolutionnaire contre le régime qui prépare le retour de « cela ». »