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Stade de France : faillite de l’État et indécence du ministre de l’Intérieur

La France s’enlise.

La France s’enlise.

La France, qui plus est dans sa région capitale où vivent plus de 12 millions de personnes, s’est avérée incapable d’organiser un simple match de football avec quelques dizaines de milliers de supporters anglais et espagnols.

Rappelons que ce match, qui est chaque année en Europe le match de football le plus prestigieux de la saison, a commencé avec 37 minutes de retard, alors que des milliers de supporters du Liverpool FC n’étaient toujours pas dans l’enceinte. Ce n’est qu’à la toute fin de la première mi-temps, soit 1h30 après l’heure prévue du début de la rencontre, que tous (ou presque) les possesseurs d’un billet étaient à leur place.

Quelle débandade pour la France, qui s’imaginait récolter les lauriers en organisant ce match prévu initialement à Saint-Pétersbourg, mais relocalisé en raison de l’invasion russe de l’Ukraine.

Rien n’allait ce soir-là : les stadiers étaient extrêmement peu nombreux, avec aucun d’entre eux pour guider les gens. La communication visuelle pour l’accès aux différentes portes du stade était faible ou inexistante, d’ailleurs des portes étaient fermées sans information pour les personnes concernées, et de nombreux tourniquets ont été mis hors service par le passage de faux billets (ou en tous cas supposément faux).

Les témoignages expliquant cela sont innombrables. La presse étrangère s’en régale tellement c’est une occasion en or de clouer le bec aux Français traditionnellement si arrogants. Mais il n’y a pas que cela : il y a dans la presse étrangère, qui reflète (de manière imparfaite et désorientée) l’opinion publique de chaque pays, un haut le cœur face à un tel plantage.

Car évidemment, personne n’est à l’abri et chacun des voisins de la France sait être aussi concerné par cet genre de ratage accompagnant et renforçant la crise du capitalisme. Certes, il y a le plaisir (tout à fait compréhensible) de critiquer les Français, mais il y a aussi et surtout un profond dégoût pour ce qui menace toutes les sociétés capitalistes avancées, c’est-à-dire le chaos.

De quoi tout cela est-il le nom, si ce n’est d’un capitalisme à bout de souffle, incapable de fournir la main d’œuvre suffisante à un événement de masse, ni d’assurer la fiabilité de ses opérations, et s’enfonçant alors dans le désordre ?

Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a affirmé lors d’une conférence de presse où il était sommé de s’expliquer sur la situation que :

« Le mal à la racine à l’origine [sic] de la situation samedi soir : une fraude massive et industrielle. »

C’est faux. Le mal à la racine est l’absence de stadiers suffisamment nombreux et formés, combiné à un système défaillant de lecture des billets. C’est une réalité peu connue, mais qui va l’être de plus en plus : la France peine à recruter du personnel de sécurité fiable, voire à en recruter tout court.

Plus personne ne veut faire cela, tellement c’est devenu un métier insupportable et dangereux, en raison de l’agressivité qui se généralise, ainsi que de la violence systématique. La solution a été de compter sur des immigrés censés être moins regardants, mais eux non plus ne veulent plus, ou pas à ce prix-là.

Et comme dans le même temps, en raison du capitalisme, il y a de plus en plus de marchandises et de flux à surveiller, alors cela engendre un manque flagrant de personnel.

C’est cela le premier problème du Stade de France samedi 28 mai 2022. Alors les forces de l’ordre, comme d’habitude, ont dû compenser comme elles pouvaient en mettant la pression. Cela n’a fait qu’empirer la situation, car les supporters (essentiellement du côté anglais) se retrouvaient pris dans des goulots d’étranglement en raison des dispositifs policiers, ce qui gênait les flux.

Puis, quand tout cela a dégénéré, la police a dû employer (relativement) la force, surtout du gaz lacrymogène, pour gérer la foule, une foule forcément en colère de ne pas pouvoir entrer au stade malgré le billet (payé au prix fort qui plus est).

C’est alors que des bandes de délinquants et criminels, soit des jeunes venant des quartiers environnants, soit des migrants des bidonvilles autour du périphérique, sont venus enfoncer le clou de cette ambiance de chaos : tabassage, coups de couteau, et vol de téléphone, de billet, de papiers d’identité, etc. Certaines images et récits de ces razzias sont effroyables, c’est particulièrement vrai dans la presse espagnole qui en a beaucoup parlé.

Mardi 31 mai, six personnes ont été jugées en comparution immédiate à Bobigny pour ces actes, alors que 48 personnes avaient été placées en garde à vue pour ces mêmes motifs.

Il ne faut pas s’en étonner. Le département de la Seine-Saint-Denis relève clairement du tiers-monde et se rapproche toujours plus du Bronx des années 1980 et 1990. C’est ce qu’avait rappelé il y a peu l’ancien football Thierry Henry, qui est un célèbre consultant à la télévision outre-manche :

« Techniquement, faites attention, le stade est situé à Saint-Denis. Saint-Denis, ce n’est pas Paris. Croyez-moi, vous ne voulez pas être à Saint-Denis, ce n’est pas la même chose que Paris… »

Il aurait fallu des moyens importants pour encadrer et assumer un tel événement en Seine-Saint-Denis, défini par Emmanuel Macron comme « la Californie sans la mer ». Mais la France en est manifestement devenue incapable.

Et autre signe des temps, de la décadence de l’État : l’attitude abjecte du ministre de l’Intérieur. Gérald Darmanin aurait dû immédiatement être démis de ses fonctions après un tel raté. Au contraire, celui-ci persiste et signe pour expliquer qu’il a tout bien fait, mais que tout est la faute des britannique qui se sont mal comporté :

« Il n’y a singulièrement que dans le football et avec certains clubs anglais qu’il y a ces événements »

On est là dans le populisme pour faire peur aux gens ayant en tête les hooligans d’il y a trente ans, alors que désormais le football anglais est totalement encadré et policé. Le hooliganisme anglais, avec ses groupes de choc, n’existe plus, à part éventuellement dans les divisions inférieures et encore.

En cause également selon le ministre de l’Intérieur, 30 000 à 40 000 supporters du Liverpool FC avec des faux billets ou sans billet, et 70% des billets présentés au pré-filtrage qui étaient faux. Ce chiffre est délirant, et n’est corroboré par rien du tout d’officiel. Comme si 30 000 à 40 000 fraudeurs refoulés du stade aurait pu disparaître par enchantement !

Car les abords du stade étaient vides une fois tout le monde rentré à l’intérieur vers 22h30, alors personne ne peut croire un tel chiffrage absolument gigantesque. Il faudrait d’ailleurs des moyens industriels pour un tel déploiement de faux billets et les polices anglaise et française auraient forcément vu quelque-chose en amont, aussi faibles soient-elles.

D’après l’AFP et RMC Sport, la Fédération française de football (organisatrice de l’événement pour le compte de l’UEFA) a pour sa part donné un tout autre chiffre lors d’une réunion lundi au ministère des Sports : 2 800  faux billets.

Et encore que cela inclut probablement un grand nombre de bugs des machines elles-mêmes. Un de joueurs du match, l’Ecossais Andy Robertson, a lui-même raconté avoir donné des billets à des proches, qui ont été considérés comme falsifiés, alors qu’ils étaient vrais.

Ce qui s’est passé samedi 28 mai 2022 aux abords du Stade de France à Saint-Denis est très significatif. C’est l’expression de manière crue d’une réalité qui est en cours depuis des années, mais qui s’est définitivement installée avec la crise sanitaire : la France est devenue une société en décomposition, avec un capitalisme qui se casse la figure, avec une puissance publique de moins en moins capable d’organiser le vivre-ensemble.

Et malgré que tout le monde soit conscient de cette réalité, tout le monde continue de faire semblant… pour l’instant.