Personne n’est à la hauteur.
Alors que les choses s’accélèrent dramatiquement et que la perspective d’une guerre mondiale s’approche à grands pas, le pacifisme est toujours désespérément absent des débats politiques. En cette absence, ce sont les différentes options du camp de la guerre qui s’expriment, à l’occasion de chaque escalade militaire, à gauche comme à droite. C’est de nouveau le cas lors de l’épisode de la visite de Nancy Pelosi à Taïwan.
D’un côté, on trouve les tenants de l’atlantisme, c’est à dire de l’alignement de la France sur la superpuissance américaine au sein de l’OTAN ou à travers l’Union Européenne. Le discours accompagnant cela est celui, désormais bien rôdé, du « monde libre » faisant face à l’ »axe du mal », des « démocraties » face aux « dictatures ».
Emmanuel Macron est par exemple tout à fait rangé dans ce camp. À gauche, parmi les principales figures défendant cette option, il y a notamment les organisateurs du rassemblement pro-Ukraine du 5 mars dernier à Paris, dont on pouvait apercevoir les visages entre un drapeau banderiste et des pancartes appelant ouvertement à attaquer la Russie.
De l’autre côté de l’échiquier, on trouve les tenants d’une France qui se rêve en cavalier seul, assumant sa propre puissance « indépendante » des américains, avec comme référence absolue le général de Gaulle. Parmi eux, il y a évidemment toute la mouvance souverainiste avec des figures comme Florian Philippot, Marine Le Pen, François Asselineau, des héritiers de la droite des années 1990 comme Henri Guaino, mais surtout Jean-Luc Mélenchon, qui écrivait récemment dans son article « De Gaulle était-il un Insoumis ? » :
« Son obsession pour l’indépendance, y compris contre des forces apparemment tellement puissantes est une forme d’insoumission héroïque qui doit servir de modèle. Le même raisonnement s’appliquera à sa vision des rapports au monde ensuite après 1958, qu’il s’agisse de la souveraineté militaire ou des solutions pour la guerre du Vietnam face aux Américains. »
C’est l’ancien candidat insoumis à la présidentielle qui ouvre le bal des réactions sur son blog :
« Quel est le sens de la visite de Pelosi sur place ? Taïwan est un sujet tendu depuis la libération de la Chine (NDLR : de l’occupation japonaise en 1945). Mais, pour les Français depuis 1965 et le général de Gaulle, il n’y a qu’une seule Chine. Elle siège au Conseil de sécurité. »
Parmi d’autres, le député NUPES Antoine Léaument renchérit : « Que Jean-Luc Mélenchon défende la position de l’ONU et de la France depuis de Gaulle est normal et juste ».
Même son de cloche chez Florian Phillipot, qui déclare :
« ‘Une seule Chine’ est la position officielle de la France depuis le 27 janvier 1964 et le général de Gaulle. Encore une polémique idiote et inutile ! »
François Asselineau choisit quant à lui de publier sur Twitter une photo historique du Général de Gaulle rencontrant le premier ambassadeur de Chine en France.
Côté atlantistes, le dirigeant d’Europe Écologie Les Verts Julien Bayou répond à Jean-Luc Mélenchon sur BFM TV : « Si on est attachés à la démocratie, on l’est partout dans le monde et tout le temps. On ne peut pas abandonner Taïwan, quand bien même cela fâche un régime autoritaire comme la Chine. »
Sur le même thème de l’ »axe du mal », l’ancien candidat à la présidentielle Yannick Jadot se contente d’un tweet : « Une seule Chine, c’est d’abord une seule dictature. La liberté et la démocratie sont des joyaux au cœur de nos combats politiques. Partout ! »
Olivier Faure, le premier secrétaire du Parti socialiste, choisit de critiquer l’événement de façon purement formelle, comme pour en relativiser la portée :
« L’opportunité de la visite de N.Pelosi à Taïwan est discutable, la volonté des taïwanais de vivre en démocratie ne l’est pas. Biden n’en voulait pas. Tokyo et Séoul non plus. »
C’est finalement Raphael Glucksmann qui est le plus enflammé dans un lyrisme va-t-en-guerre :
« L’anti-américanisme érigé en boussole conduit cette gauche-ci à épouser la cause des tyrans et à mépriser celle des peuples et des individus qui se dressent face à eux. Cette fracture n’est pas neuve et le combat culturel et politique doit inlassablement être repris. Il suppose l’affirmation de principes intangibles, quitte à heurter les rêves légitimes d’unité.
Alors soyons clairs et restons-le. Le soutien aux Ukrainiens plongés dans la nuit de l’invasion russe et du fascisme poutinien n’est pas négociable. La solidarité avec les Taiwanais construisant une démocratie vibrante sous la menace permanente des autocrates de Pekin n’est pas négociable.
La lutte pour la fermeture des camps dans lesquels sont parqués les Ouïghours n’est pas négociable. L’espoir d’une puissance européenne démocratique et écologique capable de défendre ses principes et d’aider celles et ceux qui les font vivre à Kyiv [sic], Taipeh ou ailleurs n’est pas négociable. »
Fait marquant, il va même jusqu’à dénoncer le pacifisme comme n’étant qu’une hypocrisie coupable :
« Il y a toujours eu (…) des “pacifistes” préférant composer avec les tyrans qui déclenchent les guerres plutôt que leur résister. »
Notons que les cadres du PCF sont restés muets. On peut d’ailleurs deviner la gêne au sein du parti à travers les déclarations de Fabien Roussel pendant la campagne présidentielle, qui avait confondu Taïwan et Hong-Kong, parlant d’ »un pays, deux systèmes ».
Voilà donc le panorama politique qui s’offre à nous à l’aube de la guerre, avec différentes nuances de bellicisme qui rivalisent entre elles, qui mobilisent sans réel obstacle. Plus d’un siècle après 1914, la Gauche semble avoir oublié ses leçons. Il est encore temps éviter la boucherie, il le faut, mais cela ne se fera pas sans un regain formidable de conscience dans les masses, et pour cela, il faut de la politique !