Un pacifisme héritier du mouvement ouvrier.
La déclaration par le chancelier allemand Olaf Scholz issu du SPD le 27 février 2022 de la création d’un fonds spécial pour le réarmement de l’Allemagne d’une hauteur de 100 milliards a fait grand bruit, en Allemagne comme partout en Europe.
Sans surprise, en France, il en est plus ressorti une vieille rancœur germanophobe avec la crainte à peine masquée de voir l’immense complexe militaro-industriel français être concurrencé en Europe.
Or, contrairement à la France où le terrain de la contestation antimilitariste est littéralement absent, il existe en Allemagne une importante tradition pacifiste liée à l’un des plus grands mouvement ouvriers européens qui, rappelons-le, a généré des figures d’importance comme Karl Kautsky, Rosa Luxembourg, Karl Liebknecht, Ernst Thälmann, Ulrike Meinhof…
On retrouve une partie de cette tradition dans la campagne ou plutôt l’alliance « Rheinmetall Entwaffnen » (Désarmer Rheinmetall) lancée en 2018, et qui chaque année organise un camp d’été autour de débats, d’activités et se concluant par une manifestation, le tout étant rythmés par des démarches plus activistes.
Rheinmetall ainsi que Heckler & Koch sont à l’Allemagne ce que sont Dassault ou Nexter à la France, soit des rouages névralgiques de l’industrie de guerre. Et si en France il existe l’association « Stop fueling War » (Cesser d’alimenter la guerre) fondée en 2017, « Rheinmetall Entwaffnen » s’en démarque par son militantisme qui se déploie sur le terrain d’une critique du militarisme comme faisant partie du système capitaliste.
Cela fait ici écho à la pensée de Rosa Luxembourg qui pensait dans son ouvrage majeur « l’Accumulation du capital » publié en 1913 que le capitalisme ne pouvait s’élargir sans la conquête militaire de zones non capitalistes, analyse qui fut par ailleurs critiquée par d’autres figures comme Lénine en Russie. On remarquera le clin d’œil fait à cette grande figure du mouvement ouvrier international par la petite gazette française anti-guerre « Rosa », qui porte son prénom.
Pour comprendre la démarche de « Rheinmetall Entwaffnen », voici la conclusion de la présentation du camp d’été baptisé « Désarmer Rheinmetall n’est pas un art », en référence à l’exposition d’art contemporain la Documenta qui avait lieu au même moment à Kassel, une ville moyenne de 200 000 habitants au centre de l’Allemagne où se concentre de nombreuses fabriques d’armement :
En tant qu’internationalistes et antimilitaristes, nous sommes solidaires de ceux qui se rebellent contre les guerres – qui sabotent, désertent, s’évadent. Nous nous battons avec ceux qui refusent d’allégeance à leurs seigneurs de guerre. La solidarité signifie rejeter l’incitation au bellicisme et reconnaître que nos alliés sont au-delà des lignes de front. La limite est toujours entre le haut et le bas.
[…]
Les guerres de ce monde doivent être terminées dès que possible. Nous nous opposons à la militarisation et au réarmement. Il nous faut 100 milliards d’euros pour la santé, l’éducation et la transition écologique au lieu de les fourrer dans le cul de l’industrie de l’armement. Nous voulons sortir du système capitaliste mondial qui apporte avec lui tant de catastrophes, de crises et de guerres.
Pour conclure le camp pacifiste, une manifestation « Contre l’armement et la militarisation » a réuni le samedi 3 septembre environ 1000 personnes dans le centre-ville de Kassel, derrière des slogans comme « Non au programme de réarmement de 100 milliards d’euros », « Plus jamais la guerre ! », ce slogan héritier du pacifisme de la Première Guerre mondiale ou bien encore « Le militarisme n’est pas de la solidarité », en référence aux livraisons d’armes au régime ukrainien et dont on trouve une explication intéressante :
La militarisation a un impact profond sur notre société. Ce faisant, il peut se connecter au patriarcat. Les hommes sont contraints à un rôle « héroïque » de combat sur les lignes de front, les femmes sont reléguées à une position vulnérable et pitoyable. L’État ukrainien en fait une doctrine d’État en refusant de quitter le pays ou en emprisonnant les déserteurs ou les objecteurs de conscience.
La veille, le vendredi 2 septembre, environ 200 personnes s’étaient rassemblées devant l’usine Rheinmetall afin d’en bloquer la production, ce qui a réussi puisque les ouvriers furent renvoyés chez eux, le rassemblement finissant par être délogé de force par la police à coups de gaz lacrymogènes. Un type d’action qui a déjà eu lieu à 2019 à Unterlüß, en Basse-Saxe, où les portes de l’usine Rheinmetall furent bloquées avec du bois et les planches d’une tourelle de chasse d’une forêt voisine !
Lors de ces journées de protestation, plusieurs opérations activistes ont ainsi eu lieu, contribuant à créer un climat d’agitation dans la ville permettant un débat d’idée autour de la question de l’industrie de guerre et le réarmement.
On peut citer des jets de peinture rouge sur le bâtiment d’un sous-traitant industriel de Rheinmetall, des pochoirs « aucun soldat allemand pour la guerre ». Ce sont également des affichettes qui ont été collées sur la plaque commémorative au ton plus que nationaliste du monument aux morts des deux guerres mondiales. Cette affichette présentait la biographie d’Helmut R., « né à Kassel en 1915, déserte la Wehrmacht en 1940 et rejoint un groupe de résistants français. Il a participé à des actions de sabotage contre l’industrie d’armement allemande. Il est arrêté en 1942. Il a été exécuté le 26 mai 1943 ».
On retrouve régulièrement mis en avant ce lien entre l’antifascisme et l’antimilitarisme. En mai 2021, un rassemblement a eu lieu devant la société de logistique DB Schenker à Hanovre du fait de son enrichissement pendant la Seconde Guerre mondiale, et cela jusqu’à aujourd’hui puisque le transport d’armement et la logistique militaire sont d’importantes activités de l’entreprise.
Le 8 octobre 2021, réunies derrière des banderoles portant les morts d’ordre « Bloquer Hecker & Koch, attaquer les profiteurs de guerre », « Bloquer les sociétés d’armement. La guerre commence ici », 200 activistes répondirent à l’appel de l’alliance à bloquer l’usine Hecker & Koch à Oberndorf am Neckar, entreprise spécialisée dans la fabrication d’armes de poing et dont les racines historiques puisent dans le travail forcé pendant le nazisme.
Vu de France, ce pays où la bataille populaire contre le militarisme est au point mort, la campagne Rheinmetall Entwaffnen est une grande bouffée d’oxygène !