La France est une puissance en déclin.
La France est un pays où les gens fuient la réalité. Même l’extrême-Droite, pourtant normalement volontariste, a fui le conflit militaire en Ukraine, afin de soigneusement éviter d’avoir à soutenir la Russie. Des figures comme Eric Zemmour et Marion Maréchal auraient pu se poser en grands rebelles gaullistes en rejetant l’OTAN et les sanctions contre la Russie, mais ils ne l’ont surtout pas fait.
Il existe une base objective à cela : le déclin de la France, son déclassement, son incapacité à produire une extrême-Droite néo-gaulliste conséquente. Les traditions sont là, notamment dans l’armée, jamais elles ne s’expriment de manière prolongée, structurée, profonde. Le néo-gaullisme n’arrive pas à émerger, alors que logiquement on devrait le voir se développer à grande vitesse.
Pour saisir cette question, on peut se tourner vers la théorie des trois mondes exposée par la Chine de Mao au début des années 1970. Mao résume cette conception selon quoi « trois mondes se dessinent » comme suit :
« Je pose que les États-Unis et l’Union Soviétique appartiennent au premier monde. Les éléments du milieu, comme le Japon, l’Europe, l’Australie et le Canada, appartiennent au second monde. Nous sommes le troisième monde (…).
Tous les pays asiatiques, excepté le Japon appartiennent au troisième monde. Toute l’Afrique et également l’Amérique latine appartiennent au troisième monde. »
La Chine soulignait ainsi qu’il existait des contradictions entre les superpuissances et les pays du second monde, malgré le fait d’être tous capitalistes (pour la Chine de Mao l’URSS était une superpuissance où le capitalisme avait été rétabli à la mort de Staline). Les pays du second monde étaient aspirés par l’hégémonie des superpuissances, mais en même temps cherchaient à secouer leur joug. Les pays du tiers-monde ou troisième monde connaissaient un même processus, mais de manière encore plus marquée.
C’est par exemple pourquoi la Chine de Mao avait de bons rapports diplomatiques avec la France de De Gaulle, tout en soutenant la contestation étudiante de mai 1968 (dénoncée par le PCF et la CGT), car la France exprimait de manière prononcée une contradiction avec la superpuissance américaine.
Si l’on prend ce schéma et qu’on le projette en 2022, on a les États-Unis et la Chine comme superpuissances, et on a la France comme relevant toujours du second monde, à ceci près qu’elle a beaucoup perdu de sa force capitaliste. Le gaullisme, si puissant dans les années 1960-1980, s’est largement effacé ; il n’y a plus de bourgeoisie s’alignant sur cette idéologie. La bourgeoisie s’est largement macronisée, s’est façonné dans un style conforme aux intérêts du capitalisme américain.
Vladimir Poutine, en Russie, dénonce principalement cela. Lorsqu’il vante la religion orthodoxe russe et dénonce la décadence occidentale, il défend les intérêts de la bourgeoisie russe en disant aux bourgeois russes : attention, si vous vous alignez culturellement sur le capitalisme occidental, vous vous effacerez devant leurs dispositifs économiques et serez satellisés. Comme la bourgeoisie russe est soumise à une oligarchie liée à l’État, Vladimir Poutine a pu concrétiser cette démarche de rupture.
Un tel processus n’a pas lieu en France. Il n’y a pas eu de secteur de la bourgeoisie française exigeant, en accord ou en soumission avec une partie ou toute la haute bourgeoisie, que la France assume une autonomie stratégique la plus grande possible. La France est du second monde mais son rang est tellement bas que la soumission au premier monde est devenue majeure, voire complète si l’on prend que l’armée française, aujourd’hui, ne peut tout simplement plus être découplée de l’OTAN.
Le gaullisme avait justement bien fait en sorte que l’armée française soit indépendante, tout en étant liée à l’OTAN. Désormais, sans l’OTAN, l’armée française n’est plus en mesure de se projeter, de formuler d’interventions réelles. La dépendance militaire sur le plan stratégique est patente. Cela reflète et découle à la fois du fait que la France relève du second monde, de manière profondément marquée.
L’Allemagne connaît le même processus et s’aligne militairement entièrement sur la superpuissance américaine depuis deux mois. La différence est qu’il existe une grande agitation contre cette tendance, de la part de l’extrême-Droite et de représentants de la Gauche historique comme Sahra Wagenknecht, qui sont ici en grande concurrence.
En France, l’extrême-Droite s’est alignée sur l’OTAN et les milieux nationalistes agressifs soutiennent directement le régime ukrainien. Ce faisant, l’extrême-Droite converge avec la mise en orbite de la France autour de l’astre américain. Stratégiquement, la France est désormais un satellite américain.
L’échec de l’extrême-Droite reflète le statut de la France, pays du second monde en perte totale de vitesse.