L’armée française teste sa propagande politico-militaire sur la population civile.
La guerre n’est pas qu’une question de rapport de forces militaire entre différentes puissances qui s’affrontent, le domaine de l’information est d’une importance cruciale et impliquer les populations derrière les intérêts militaires de telle ou telle puissance est essentiel pour préparer une intervention ou pour tenir dans la durée.
Il est impossible de faire la guerre sans le soutien de larges pans de la société civile qui composent « l’arrière ». On peut même carrément affirmer que les deux précédentes guerres mondiales ont démontré que la qualité des arrières était l’aspect central dans le succès militaire, du fait de l’inéluctable guerre d’usure qui s’impose lorsque le conflit s’ancre dans la durée.
En France, le vaste dispositif militaire compte en son sein un organisme dédié spécialement à cette tâche, rattaché directement au renseignement militaire. En plus d’être spécialisé dans les actions armées en relation avec les civils, le Centre interarmées d’action sur l’environnement (CIAE) est aussi spécialisé dans les opérations psychologiques.
Basée à Lyon, cette unité de 200 militaires (plus 100 réservistes) regroupe depuis le 1er juillet 2012 la Coopération Civilo-Militaire (CIMIC) et les Opérations Psychologiques ou Opérations Militaires d’Influences (OMI).
Elle est chargée de réfléchir à l’organisation de la propagande militaire dans les zones de conflit avec comme horizon l’idée émise par l’ex-chef d’état-major des armées Pierre de Villiers comme quoi « gagner la guerre ne suffit pas, il faut gagner la paix ».
Pour cela, il faut être en mesure d’impliquer les gens et lorsqu’on est une armée qui est de fait séparée de la vie quotidienne, qui plus est au service d’intérêts antipopulaires, cela ne va pas de soi.
Les missions civilo-militaires remplies par le CIAE visent donc à contre-carrer toute tentative de la population de s’organiser sur ses propres bases lorsqu’un conflit survient et qui occasionne forcément un chaos antisocial. Il faut donc militariser la société civile, c’est-à-dire faire encadrer toutes les activités essentielles d’une région par l’armée pour éviter de laisser le terrain vacant…
Voici par exemple une illustration de ce type d’action lors de l’opération Serval au Mali entre 2013 et 2014 donnée par Renaud Ancelin, chef du corps du CIAE en 2017, dont on comprend aisément qu’elle est une opération de propagande militariste opposée à l’émancipation populaire :
« Le marché de Gao est, comme dans tous les villes ou villages d’Afrique, le centre de vie de la cité, mais aussi de la région. Le marché a été détruit dès le début du conflit, lors de la descente des terroristes vers le sud. Après que la ville a été libérée par la force Serval, l’officier responsable des APEO dans la partie nord du pays, décidait de mener, dans le cadre des ACM [Action Civilo-Militaire], la reconstruction de ce lieu de vie. Son objectif facial était de montrer à la population locale que Serval était là pour les aider à retrouver une vie normale (…).
Les équipes d’ACM ont donc aidé les entreprises locales à reconstruire le marché. Les OMI [Opérations Militaires d’Influences] ont permis de multiplier les contacts avec les acteurs locaux, les autorités et les relais d’influence afin de leur expliquer nos opérations et de faire accepter la présence de la force, mais également de lutter contre le soutien local résiduel aux groupes terroristes qui pouvait perdurer dans la région. »
Depuis 2021, le CIAE va plus loin dans sa maîtrise de la propagande avec une doctrine qui assume clairement le fait que « l’information fausse, manipulée ou subvertie, est une arme ». Dans ce cadre, « la possibilité de diffuser de fausses informations afin de tromper l’adversaire ou de convaincre les acteurs d’une crise d’agir dans le sens souhaité ».
Cette semaine, du 14 au 18 novembre, cet organisme se prépare donc à utiliser la population civile du nord de l’Ardèche dans le cadre de l’exercice interarmées baptisé SERRAT en collaboration avec des militaires belges et espagnols.
Les symboles employés, l’OTAN d’un côté et un symbole représentant le communisme de l’autre, veulent tout dire. C’est aussi une manière de désigner la Russie comme ennemi, bien sûr, de manière caricaturale. Mais c’est également et surtout, du point de vue de la Gauche historique, un reflet du caractère d’affrontement que prend la lutte des classes. La bourgeoisie assume le combat contre-révolutionnaire.
Le scénario présenté publiquement sur le site des mairies où va se dérouler cet exercice parle d’une situation de guerre civile ou d’une insurrection des secteurs séparatistes de la population. On retrouve ici les récits d’anticipation avec notamment une Red Team composée de dix auteurs de science-fiction chargée de proposer à l’armée de tels scénarios en vue d’exercices.
Voici la présentation du scénario que l’on peut trouver sur le site de la mairie de Vernoux-en-Vivarais où doit se dérouler l’exercice :
« Cet exercice interallié se propose de nous immerger dans un contexte de crise en nous plongeant dans la situation d’une province, l’Isardro dont la capitale est Valence, venant de faire sécession avec sa nation mère, la Saupaudie. Sur fond de tensions ethniques voyant s’opposer Avernes (population majoritaire de l’Isardro) et Saupaudiens (forte minorité en Isardro et soutenue par son ancienne nation mère), la Saupaudie envahi l’Isardro jusqu’à l’intervention de l’OTAN.
Au début de l’exercice, notre commune issue de la minorité saupaudienne, a déjà subi les affres de la ségrégation averne et est donc plongée dans les marasmes d’un conflit qui semble se finir. Les équipes s’entrainant lors de l’exercice SERRAT 2022 auront la lourde tâche de dialoguer avec une population en souffrance afin de lui éviter de retomber dans les travers qui ont plongé son pays dans la guerre. »
A ce titre, le fait que cet exercice soit communiqué publiquement plusieurs semaines avant fait sûrement déjà partie de l’exercice tant les activités militaires sont généralement opaques. Ici, l’enjeu est bien de tester la population, de voir comment l’armée est à même de s’intégrer dans la société civile pour mieux désamorcer tout ce qui pourrait sortir du cadre pensé par l’état-major.
Couplé à la hausse du budget militaire et aux multiples exercices dits de « haute intensité », un tel exercice psychologique illustre comment l’armée française se prépare à une guerre généralisée qui implique tous les aspects de la vie d’un pays capitaliste moderne, bien loin des OPEX des années 1990-2000.
Si elle se veut pacifiste et démocratique, la Gauche se doit de dénoncer les mises en œuvres du Centre interarmées d’action sur l’environnement qui ne vise qu’à approfondir la militarisation de la société toute entière en vue de la conditionner à la guerre mondiale de repartage.