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Guerre

La Turquie prête à mettre le feu

Elle va se lancer.

Elle va se lancer.

Agauche.org avait annoncé la guerre en Ukraine dès avril 2021 et il a déjà été expliqué ici également que la Turquie allait être le détonateur régional d’un conflit. Nous voilà rentré indubitablement dans la phase finale.

Tout comme la Russie devait y aller ou se replier de manière massive, la Turquie doit abattre ses cartes ou passer son tour.

Quelle est la particularité de la situation ?

Factuellement, les propos et menaces militaristes contribuant à l’accroissement de la tension n’ont jamais cessé depuis des mois maintenant entre la Turquie et la Grèce. Sauf qu’elles ont désormais atteint un point de non-retour avec l’intégration le 11 novembre 2022 de la République turque de Chypre du Nord comme Etat observateur auprès de l’Organisation des États turques.

Cela correspond à une reconnaissance de facto par les pays liés à la Turquie des institutions de la partie de Chypre occupée militairement par la Turquie. On parle ici de l’Azerbaïdjan (en pleine visée sur l’Arménie), du Kazakhstan, du Kirghizstan et de l’Ouzbékistan.

La République turque de Chypre du Nord est en effet entièrement isolée diplomatiquement depuis sa mise en place à la suite du conflit gréco-turc de 1974; si elle fait partie de l’Organisation de la coopération islamique, c’est comme « Etat turc de Chypre », sans reconnaissance formelle.

Désormais la situation bascule, avec une reconnaissance « stratégique » qui vise à précipiter les choses. Il y a, à l’arrière-plan de cette reconnaissance « turque », la future « demande » de la République turque de Chypre du Nord à rejoindre la Turquie.

Cette question de Chypre, véritable détonateur régional, a déjà été annoncée comme telle ici en juillet 2022.

Bien entendu la Grèce ne compte pas du tout accepter une telle chose, dénonçant immédiatement, avec l’appui de l’Union européenne, la reconnaissance de ce « pseudo État ». La Grèce profite ici de l’appui européen, car la Turquie est considérée comme une puissance montante devenant concurrente.

La France est à ce titre, depuis octobre 2021, membre d’une alliance avec la Grèce, dans le cadre d’accords secrets.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan n’a évidemment pas raté l’occasion de répondre publiquement à la Grèce à la suite de cette question chypriote. Il a repris son antienne du « Nous pouvons venir en une nuit », qui avait défrayé le début du mois de septembre 2022.

Il a ajouté à ces propos, le 16 novembre 2022, que la Grèce ne faisait pas le poids, qu’elle ferait bien d’apprendre de l’histoire, qu’elle ferait bien de rester à sa place, que militariser les îles proches des côtes turques ne les protégerait pas de la colère turque.

Ces propos correspondent à ceux des médias turcs qui chauffent à blanc l’opinion publique. Le rapprochement étroit de la Grèce avec la superpuissance américaine, avec notamment l’annexe américaine qu’est devenu le port grec d’Alexandroupoli dans le nord de la mer Égée, force la main à la Turquie.

Son armée a réalisé pas moins de 8 880 violations de l’espace aérien grec entre janvier et octobre, soit avec des avions. Le chiffre était de 2 744 pour la même période en 2021. 

La Grèce n’est pas en reste, assumant la même rhétorique nationaliste et militariste. Le chef des forces armées grecques, le général Konstantinos Floros, expliqué le 21 novembre, à l’occasion du jour de l’armée grecque, que :

« Quiconque commettrait l’erreur fatale de « venir [de nuit] » doit savoir par avance qu’il fera face à un nouveau Marathon, un nouveau Salamine, un nouveau 731. »

C’est là une allusion :

– à la bataille de Marathon, où Athènes a vaincu une opération de débarquement de la part de la Perse en 490 avant notre ère ;

– à la bataille de Salamine, où les cités-États grecques ont vaincu la Perse lors d’une bataille navale en 480 avant notre ère ;

– à la bataille sur la colline dite 731 (car de 731 mètres de hauteur), où l’armée italienne a été totalement défaite en 1941 par l’armée grecque, perdant 8 000 soldats (contre 1 000 pour la Grèce), dans dans un terrible affrontement le plus souvent au corps au corps et avec tellement de bombardements que la colline a perdu deux mètres en hauteur.

En bleu : zone revendiquée par la Grèce et Chypre
En rouge : zone revendiquée par la Turquie

On est dans la narration justifiant le conflit, avec chacun des protagonistes jouant sur le plus de tableaux possibles, tant symboliques que concrets. Ainsi, la Turquie se lance également dans une mobilisation en Syrie. Le 20 novembre 2022 a été commencée  l’opération « Griffe Epée » contre le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) et les Unités de Défense du Peuple (YPG), au moyen de 70 avions et drones, pénétrant l’Irak jusqu’à 140 km et la Syrie jusqu’à 20 km.

Le président turc a prévenu d’ores et déjà que les tanks et les troupes suivraient, annonçant donc une expansion militaire turque dans la région.

Il a également, en marge de la cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde de football au Qatar, rencontré le président égyptien Abdelfattah El-Sisi. C’est là un fait majeur, car le régime égyptien actuel est né du renversement du régime pro-Frères musulmans, dont le Qatar et la Turquie sont les grands représentants étatiques.

Il y a à l’arrière-plan un « gel » de la question libyenne, où les deux pays s’affrontent.

On notera que la Grèce est de la partie par ailleurs. Le ministre grec des Affaires étrangères Nikos Dendias s’est rendu le 17 novembre 2022 à Tripoli pour rencontrer le président du Conseil présidentiel Mohammad el-Menfi, avant de se rendre à Benghazi, capitale rebelle. Mais comme la ministre libyenne des Affaires étrangères Najla el-Mangouch l’attendait à l’aéroport, il est directement reparti pour Benghazi.

La raison est qu’il ne veut pas reconnaître le gouvernement basé à Tripoli et que Najla el-Mangouch est la responsable ayant signé, avec le ministre turc des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu, l’accord avec la Turquie concernant l’exploration des hydrocarbures.

Le ministre turc des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu a également de son côté, le 22 novembre 2022, réaffirmé la continuation des explorations turques d’hydrocarbures et dénoncé l’Union européenne comme soutenant la Grèce et Chypre, parlant de provocations grecques, d’une situation dangereuse pour les Turcs vivant en Grèce dans les régions de Thrace et du Dodécanèse.

On aura compris que ces deux dernières régions sont visées par la Turquie…

Le même jour, le ministre turc de la défense, Hulusi Akar, a expliqué que la Turquie n’accepterait aucun fait accompli à Chypre, en Mer Égée et en Mer Méditerranée.

On est là véritablement dans des contradictions antagoniques et que tout est chauffé à blanc, pour parvenir au point de non-retour. C’est le même scénario qu’avant la guerre en Ukraine.

Et ce qui s’ensuit, c’est la guerre – menée ou non, le résultat sera le même. La Turquie est à la croisée des chemins : pour se poser comme puissance, elle doit agir maintenant ou jamais.

Soit elle assume son expansion, soit elle se ratatine. la Turquie est ici une seconde Russie.

Un jalon de plus va se poser, dans un sens ou dans un autre, dans la bataille pour le repartage du monde.

Une réponse sur « La Turquie prête à mettre le feu »

[…] Au centre de la rivalité gréco-turc du fait de sa place pour l’exploitation des hydrocarbures, l’île est prise en étau entre les partisans ultranationalistes grecs de l’ « Enosis » et l’expansionnisme turc et l’idéologie de la « Patrie bleue », dont la dernière manifestation a été l’intégration de la RTCN comme membre observateur de l’Organisation des Etats turciques en novembre 2022. […]

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