Le réchauffement climatique les a déjà condamnées.
Cela fait maintenant bien une décennie que les hivers sont irréguliers, avec des chutes de neige aux quantités aléatoires, surtout en-dessous de 1200 mètres d’altitude.
Mais cet hiver 2022-2023 est déjà surprenant car s’il était habituel de voir l’hiver commencer tard ou se finir plus tôt, là il a commencé plus tôt pour terminer plus tôt et éventuellement recommencer on ne sait quand.
En quelques jours à peine, ce sont des dizaines de centimètres de neige qui ont disparu y compris très haut jusqu’au-dessus de 1800 mètres d’altitude, provoquant même des situations plus que dangereuses, comme des affaissements de terrain à Châtel en Haute-Savoie.
Si bien qu’aux dernières nouvelles, il y avait plus de la moitié des pistes de ski en France qui étaient fermées fin décembre après qu’un déluge de pluies torrentielles s’est abattu sur tous les massifs à la veille de Noël.
Et c’était sans compter ces trois derniers jours marqués par des températures hallucinantes de chaleur, avec dans les Alpes du Nord des + 12°c à 1000 m d’altitude !
A ce niveau, les capitalistes de l’or blanc sont désemparés car la neige stockée l’été (« snowfarming ») a déjà été utilisée en partie et les canons à neige, cette stupidité anti-écologique, ne peuvent fonctionner avec de telles températures.
Si bien que tous les moyens technologiques mis en place par la bourgeoisie pour faire sauter les limites naturelles ne sont plus d’aucune utilité : la nature a triomphé de l’anthropocentrisme.
Il n’empêche que les magnats de l’or blanc, ou de ce qu’il en reste actuellement, font comme si de rien n’était, à l’instar de Jean-Luc Boch, maire de la Plagne-Tarentaise en Savoie et président de l’Association nationale des maires de stations de montagne et du syndicat « France Montagne » :
« Nous ne sommes pas inquiets sur le long terme. Le modèle a encore un bel avenir devant lui. Dans 20 ans, selon les experts, on fera encore du ski, car il y aura encore de la neige en altitude. En revanche, on aura des périodes avec beaucoup de neige, d’autres avec des précipitations et des périodes de redoux, comme aujourd’hui. Regardez ce qui se passe aux États-Unis : on ne vit pas un réchauffement climatique, mais un dérèglement. On aura de plus en plus de précipitations intenses, sans pouvoir les prévoir. »
Puis de justifier en parallèle à cette imprévisibilité, la fuite en avant dans la neige artificielle très gourmande en eau, et nécessitant des retenues collinaires pour la stocker l’été, déstabilisant au passage le cycle de l’eau et abîmant le plus souvent des zones humides.
A lire ces propos, on est pris d’une rage face à une bourgeoisie hors sol qui se pense toujours comme un Dieu au-dessus de la nature et de la grande masse des gens :
« Quand on a une surabondance de matière première comme la neige et l’eau, il faut la distribuer à bon escient. Les retenues d’eau sont indispensables à la survie des êtres humains, et elles vont devenir obligatoires, donc je ne comprends pas les extrémistes qui s’élèvent contre le stockage de ces matières premières… Sauf si l’on veut tuer le modèle de la montagne, et même le monde rural !
Certains dénigrent aussi systématiquement la neige de culture. Elle utilise de l’électricité, c’est vrai, et de l’eau, mais celle-ci est stockée quand elle est en surabondance, qu’elle se jette dans les ruisseaux, puis dans les rivières, fleuves, et enfin dans la mer. Autrement dit, elle n’est utilisée par personne. »
Et cette mentalité typique du paysan parvenu qui ne voit la nature que comme une matière première à valoriser n’est pas isolée. Voici ce qu’a dit Gilles Chabert, ex président du Syndicat national des moniteurs de ski et conseiller régional LR Auvergne Rhône-Alpes, lors du congrès annuel de Domaine skiable de France en 2022 à Lyon :
« Pendant le covid, dans le Vercors, avec tous les randonneurs il paraît qu’il n’y avait plus de quinoa au supermarché, mais nous, on n’a pas rentré de sous dans la caisse ! Il n’y a qu’un modèle économique, c’est la neige [sous-entendu, la neige artificielle]. »
Ce discours masque bien le fait que la canicule de l’été 2022 accompagnée d’une sécheresse historique a profondément déstabilisé le cycle de l’eau, si bien que le barrage hydroélectrique des Bouillouses dans les Pyrénées a dû faire à la mi-décembre un lâché de 90 000m3 d’eau pour alimenter les nappes phréatiques de 4 villages en contre-bas, un phénomène stupéfiant pour la saison.
En réalité, à y regarder de plus près, tous ces discours sont le reflet d’une posture défensive car ces gens savent que tout est fini. Leur responsabilité de classe est surtout de défendre les derniers espace du business de l’or blanc sur la base du mot d’ordre « après moi le déluge! » ou plutôt « encore moi, et après le déluge! ».
Car quand on connaît les stations comme la Plagne-Tarentaise, ces stations construite lors des plans-neiges des années 1960, on comprend que tout cela est terminé, et qu’il n’y en aura plus rien d’ici la fin de ce siècle.
Ces stations de seconde et troisième génération ont été l’expression d’une nouvelle époque, celle de la modernisation de la bourgeoisie, plus soucieuse d’elle-même et de sa santé, avec la consommation des « sports d’hiver » comme forme de distinction sociale et culturelle. C’était Valéry Giscard d’Estaing contre Georges Pompidou.
Aujourd’hui, ces stations buildings façon barres HLM nichées à plus de 2000 mètres d’altitude sont à la fois les seules qui bénéficient encore d’un enneigement correct et à la fois elles sont un repoussoir tant elles sont une telle insulte à la nature.
Si Jean-Luc Boch tient ce genre de propos de manière si prétentieuse c’est bien parce que son domaine skiable de La Plagne grimpe jusqu’à la haute montagne, soit à plus de 2000 mètres d’altitude.
En effet, les études climatiques sont claires à ce sujet : le manque de neige a affecté principalement les fonds de vallée et la moyenne montagne, soit ce qui se situe entre 1000 et 1800 mètres d’altitude. Dans ces espaces, le manteau neigeux a tout à la fois baissé en épaisseur et en durée : il y a moins de neige et moins longtemps.
En moyenne montagne, c’est près de 5 jours d’enneigement qui sont perdus en une décennie, sans compter l’accélération du réchauffement comme le montre ces 5 dernières années.
L’année 2022 est ainsi l’année la plus chaude depuis 1900, prenant le record à l’année 2020 : ce qui se passe actuellement n’est pas passager mais la nouvelle donne météorologique et saisonnière.
S’ajoute à cela la dégradation de la situation économique, avec la crise énergétique qui fait s’envoler le prix de l’électricité, principal poste de dépense des stations de ski, et la flambée des matières premières qui annule des projets d’infrastructures extrêmement coûteux sans en connaître la pérennité à long terme, à l’instar du funiflaine en Haute-Savoie. Enfin, comment oublier la fermeture des remontées mécaniques lors de l’hiver 2020-2021 ?
Face à la ringardisation du ski, la bourgeoisie s’organise et propose comme porte de sortie, le fameux « tourisme 4 saisons » porté par tout un secteur capitaliste-modernisateur qui voudrait pouvoir rentabiliser la montagne été comme hiver, automne comme printemps.
Porté par des associations comme « Mountain Wilderness » ou « Transitions des Territoires de montagne », ce secteur de la modernisation a tenu des états généraux de la transition en montagne au centre de recherche et développement de Quechua (Decathlon) à Passy en Haute-Savoie les 23 et 24 septembre 2021. Voici leur axe principal énoncé dans leur déclaration commune :
« L’idée est d’imaginer ensemble l’avenir de la montagne pour qu’elle demeure une terre d’envies et une montagne à vivre. »
Traduction : exploiter la montagne toujours à base de remontées mécaniques bruyantes pour une vie sauvage si fragile en ces endroits, à coups de pelleteuses façonnant des pistes pour VTT de descente qui saccagent tout, à base de lacs aménagés en bases de loisirs ou de forêts en parcours acrobatiques.
D’ailleurs des stations de ski qui voient leurs pistes fermées ont déjà réouverts certains tracés pour VTT voir même des accro-branches comme à Lannemezan.
On peut donc s’étonner de l’impact foudroyant du réchauffement climatique dans les massifs montagneux, de surcroît dans les Alpes où celui-ci est plus rapide qu’ailleurs du fait des conditions naturelles qui amplifient le phénomène, il n’en reste pas moins vrai que le capitalisme épuisera jusqu’aux derniers flocons et dernières edelweiss les possibilités de profit.
Ce qui se pose comme enjeu, c’est celui d’une transformation du mode de vie dans les montagnes. Cela regarde principalement les habitants de ces régions, principalement les villages de moyenne montagne, mais le souci est qu’ils sont totalement imbriqués dans la dynamique touristique.
C’est le retour de bâton en pleine figure des populations de montagne, et principalement de l’ancienne paysannerie qui a cru bon éviter la prolétarisation à la sortie de la Seconde Guerre mondiale en se transformant en une petite-bourgeoisie vendue au business de l’or blanc.
Et maintenant que tout cela s’effondre, il n’y a plus d’alternative, si ce n’est que le bon sens veuille que la montagne soit dorénavant considérée comme un espace de nature très fragile devant être préservé au maximum des activités humaines, et donc émancipée du faste de la consommation touristique de quelque nature qu’elle soit.
Et pourtant il faudra bien trouver une porte de sortie démocratique et surtout populaire, car ce ne sont pas avec des actions isolées, fussent-elles pleine de dignité tel le sabotage d’enneigeurs aux Gets entre la nuit du 25 au 26 décembre, que l’on sera à même d’aller vers une pleine reconnaissance naturelle de la montagne.
L’enjeu est trop grand pour être limité à un activisme minoritaire qui évite la grande bataille pour l’opinion, celle-là même qui permettra la mobilisation pour le Socialisme seule solution à même de planifier de nouvelles activités humaines à l’écart d’une montagne ayant retrouvée sa paix méritée.