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EELV, succursale de l’hégémonie occidentale

Avoir un masque « de gauche » ne change rien.

Avoir un masque « de gauche » ne change rien.

Comme si l’affreuse tribune de Raphaël Glucksmann ne suffisait pas, des élus « écologistes » français ont publié une tribune (en version abonnée) le 27 février dans Le Monde dont le titre est d’un bellicisme fou : « nous devons accélérer considérablement la livraison d’armes à l’Ukraine ».

A l’origine, on y trouve Aurélien Taché, un député « écologiste » sorti des rangs de la République en Marche mais qui n’est rien d’autre que le porte-voix de la version française des Démocrates américains. On notera d’ailleurs qu’il a fondé en 2020 Les Nouveaux Démocrates, qui ont ensuite fusionné au sein d’EELV en octobre 2022.

Au delà de l’appel à l’envoi de toujours plus d’armes en Ukraine, la portée de la tribune est davantage sur la question dite « internationale » où il s’agit de s’attaquer à la défiance des pays du Sud envers le soutien des occidentaux à l’Ukraine.

Si on lit entre les lignes, ce « non-alignement » est décrit comme une forme de désobéissance, à cause des occidentaux qui n’auraient pas donné assez de gages sur leur domination en opposition à celle de la russie.

Sûres de leur leadership, les chancelleries occidentales continuent de déconsidérer ce qu’on appelle aujourd’hui le « sud global », il s’agit d’une erreur stratégique majeure.

Une telle inquiétude au ton faussement progressiste mais en réalité typiquement néocolonial est exactement la même que la position énoncée par d’Emmanuel Macron lors de la conférence de Munich. En effet, à cette occasion Emmanuel Macron a notamment affirmé :

Nous devons en préparer les termes et le faire, c’est le faire en réengageant celles et ceux qui aujourd’hui en Asie, dans le Pacifique, au Proche et Moyen-Orient, en Afrique, en Amérique latine, ne pensent pas tout à fait dans les termes que je viens d’expliquer, et qui malgré ce que je disais au début de mon propos, continuent de dire: « il y a des doubles standards, vous dépensez énormément pour l’Ukraine et vous continuez de ne pas dépenser pour nous. Vous vous battez avec beaucoup de force contre la guerre, là, pas suffisamment contre la pauvreté chez nous. On a une guerre chez nous depuis des décennies, vous n’en avez pas fait le 100ème ! » Sachons les entendre. Donc il nous faut réengager diplomatiquement toutes ces géographies pour les convaincre de rejoindre notre effort de pression sur la Russie et de préparation de la paix.

En suivant la feuille de route énoncée par Emmanuel Macron, en plus d’appeler à toujours plus de livraison d’armes à Kiev, les responsables d’EELV démontrent, s’il le fallait encore, combien la guerre américaine contre la Russie est un marqueur historique dans la bataille pour le repartage du monde.

En fait, du monde c’est surtout les pays du sud, soit l’Amérique latine, l’Afrique et l’Asie qui se retrouvent à devenir le butin à s’accaparer pour les grandes puissances en lutte, superpuissance américaine et chinoise en tête.

Et EELV montre son véritable visage, celui d’être en service commandé du capitalisme français au sein de la Gauche sous couvert du masque « moderniste ».

Cela fait écho à l’actuelle visite d’Emmanuel Macron en Afrique, notamment au Gabon, Angola, Congo-Brazzaville ainsi qu’en République démocratique du Congo (RDC). Lors de la conférence de Munich, Emmanuel Macron avait également déclaré que l’invasion russe en Ukraine prouvait l’échec

de la mentalité coloniale, très clairement. Il y a eu un discours qui a cherché à créer la confusion entre zone d’influence et zone de coercition et à expliquer qu’il y avait une légitimité à ce conflit.

La Russie serait une vielle puissance coloniale, « coercitive », quand la France aurait, avec toute son arrogance tant détestée dans le monde, compris la modernité : celle du « partenariat d’influence ».

Dans les anciens pays colonisés par la France, il s’agirait de dépasser la « Francafrique », comme lorsqu’Emmanuel Macron annonçait fin décembre 2019 la suppression du Franc CFA remplacé par l’Eco – ce qui ne modifie en rien la situation de dépendance économique des pays d’Afrique de l’Ouest puisque la parité Eco/Euro reste assurée par la Banque de France.

Emmanuel Macron est ici dans l’héritage direct du Général de Gaulle qui a transformé les liens coloniaux formels en de multiples liens de dépendances bien plus subtils dans les années 1960.

C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre l’offensive que représente la tribune d’EELV qui ne se contente pas de dire qu’il faille sauver l’hégémonie occidentale au Sud, mais va plus loin….bien plus loin.

La réponse à la guerre en Ukraine n’est donc pas à trouver dans un élargissement infini de l’OTAN. Elle passe par des actes concrets et rapides de soutien militaire et dans une régénération idéologique éthique, qui doit nous conduire, en dépassant les discours et en respectant nos partenaires, à chercher, partout dans le monde, des alliés pour contrer le nationalisme « néovölkisch » [ethniciste] de Poutine, au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et à vivre en paix.

Une « régénération idéologique éthique » ? C’est là une ligne proposée à la bourgeoisie française pour assumer tout à la fois le turbocapitalisme et la transition verte comme moyen de relancer entièrement le capitalisme français sur une base nouvelle.

Cela n’a rien d’anodin puisque lors de sa tournée africaine, Emmanuel Macron passait par le One Forest Summit au Gabon comme pour dire que la France serait le bon « partenaire » écologique pour les africains qui subissent durement le réchauffement climatique.

De fait, la tribune d’EELV est un moyen de se placer pour l’après guerre en Ukraine, dans l’objectif que l’Otan triomphe de la Russie. EELV a dorénavant besoin d’une victoire franche et nette de l’Occident pour pouvoir, pensent-ils, se poser en force dirigeante sur la base d’une idéologie alliant valeurs post-modernes, « transition écologique » et libéralisme dans un capitalisme relancé, régénéré.

C’est la version New Deal pour la guerre de repartage du XXIe siècle : relancer le capitalisme occidental sous des apparats écolo-humanistes.

D’où leur soutien politique envers le régime ukrainien, d’où leur soutien total au projet d’écrasement-démantèlement de la Russie. On ne s’étonnera guère d’ailleurs que le régime de Kiev soit le vecteur d’une idéologie tout à la fois nationaliste et turbocapitaliste à coups de LGBT, de promotion de la GPA…

Cela fait d’EELV une des principales forces bellicistes en France, une des succursales les plus acharnées de la défense du mode de vie occidental sur le reste du monde.

« Nous devons accélérer considérablement la livraison d’armes à l’Ukraine »

Un collectif d’élus écologistes, emmené par le député Aurélien Taché, dans une tribune au « Monde », demande à la France d’en faire davantage pour aider l’Ukraine : les livraisons d’armes doivent non seulement être plus importantes, mais elles doivent aussi être faites en coordination avec les pays de l’Union européenne.

Alors que nous célébrons le funeste premier anniversaire de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, beaucoup redoutent une nouvelle attaque massive de cette dernière. Les services de renseignements des pays occidentaux comme les deux discours prononcés par le président russe, Vladimir Poutine, le premier le 21 février devant la Douma, puis le second le lendemain à l’occasion d’un gigantesque meeting, ne laissent que peu de doutes sur les intentions du maître du Kremlin.

Nous allons très probablement entrer dans une nouvelle phase du conflit et la paix, qui doit être notre seul objectif, semble encore bien loin. A cette occasion, nous souhaitons, nous, écologistes, réaffirmer notre soutien plein et entier au peuple ukrainien.

Alors que le chef de l’armée norvégienne estimait le 22 janvier que le conflit avait déjà fait plus de 300 000 morts, dont au moins 30 000 civils, nous estimons qu’il est aussi nécessaire de changer d’approche, pour en finir avec ce qui restera comme l’une des plus grandes tragédies de ce début de XXIe siècle. D’abord, en accélérant considérablement la livraison d’armes et en adoptant enfin une approche européenne de celle-ci. Depuis un an, l’armée française a, entre autres, fourni dix-huit canons Caesar, quelques dizaines de missiles antichars Milan et une quinzaine de canons tractés TRF1, ce qui ne la place qu’en dixième position sur la scène internationale derrière, par exemple, la Pologne.

Incompréhensible et inacceptable

Alors que de nouvelles annonces de livraisons ont été faites lors de la Conférence de Munich sur la sécurité, confirmées par le président américain, Joe Biden, lors de sa visite surprise à Kiev le 20 février, la France refuse toujours de livrer des chars Leclerc aux Ukrainiens, à rebours des Anglais, des Allemands et bien sûr des Américains. C’est incompréhensible et inacceptable. Nous réclamons ces livraisons et souhaitons aussi, qu’à l’instar de Josep Borrell, la France apporte son soutien à la proposition estonienne d’achat commun de munitions par l’Union européenne (UE), qui font aujourd’hui cruellement défaut aux Ukrainiens.

Emmanuel Macron ne cesse de dire qu’il est favorable à une véritable Europe de la défense, que nous, écologistes, avons toujours soutenue. Il est temps de passer de la parole aux actes. Enfin et surtout, nous devons radicalement changer d’attitude sur la scène internationale. Lors de l’interview qu’il a donnée à plusieurs médias, publiée le 18 février, le président de la République a affirmé que l’unité des Européens et du camp occidental est l’un des plus grands échecs de Vladimir Poutine. Nous affirmons pour notre part que la défiance du reste du monde, et en particulier des pays du Sud, à l’égard du soutien militaire à l’Ukraine, si elle peut malheureusement s’expliquer, est notre plus grand échec.

Alors que la Chine pourrait livrer des armes à la Russie, l’Inde n’a jamais condamné clairement l’agression russe et la Turquie, avec un Erdogan qui s’est souvent affiché aux côtés de Vladimir Poutine ces dernières années, essaie au mieux de se placer en arbitre dans le conflit.

La situation n’est guère mieux en Afrique, notamment francophone, ou l’influence russe ne cesse de grandir. Il y a un an, près de la moitié des pays du continent s’étaient en effet abstenus sur la résolution adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies pour condamner l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Les chancelleries occidentales, habituées au suivisme des Etats africains, s’étaient étonnées de ces positions et ne semblent toujours pas avoir compris la raison ni l’importance de l’enjeu.

« Les pays africains n’ont pas oublié les guerres menées par les Etats-Unis en Irak et par la France en Lybie, puis nos échecs à contenir l’insécurité qui s’est ensuivie au Sahel »

Sûres de leur leadership, elles continuent de déconsidérer ce qu’on l’appelle aujourd’hui le « Sud global », comme ce qu’on appelait le « tiers-monde » au temps de la guerre froide. Il s’agit pourtant d’une erreur stratégique majeure.

En sous-estimant la capacité de ces pays à avoir une grille de lecture autonome du conflit et de leurs intérêts et en continuant d’offrir à Poutine l’opportunité de se poser en hypothétique chef d’un axe non-aligné soudainement ressuscité, nous nous isolons toujours davantage et affaiblissons les valeurs démocratiques qui justifient pourtant notre soutien à l’Ukraine.

Il est donc impératif de poser des actes permettant de ressouder la communauté internationale, et pas uniquement son versant occidental. Les pays africains n’ont pas oublié les guerres menées par les Etats-Unis en Irak et par la France en Lybie, puis nos échecs à contenir l’insécurité qui s’est ensuivie au Sahel. Ils voient parfaitement la différence de traitement que nous faisons dans l’accueil des réfugiés venus d’Ukraine face à ceux venus d’Afrique, du Moyen-Orient ou d’Asie.

Ils voient aussi notre silence face aux crimes commis par l’armée israélienne en Palestine, ou encore, ainsi que nous l’a récemment rappelé Omar Sy, notre indifférence face aux conflits qui ravagent l’Afrique centrale et orientale, comme la guerre oubliée du Tigré, qui s’achève à peine et qui a fait 600 000 morts en Ethiopie.

La réponse à la guerre en Ukraine n’est donc pas à trouver dans un élargissement infini de l’OTAN. Elle passe par des actes concrets et rapides de soutien militaire et dans une régénération idéologique éthique, qui doit nous conduire, en dépassant les discours et en respectant nos partenaires, à chercher, partout dans le monde, des alliés pour contrer le nationalisme « néovölkisch » [ethniciste] de Poutine, au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et à vivre en paix.

Liste des signataires : Cyrielle Chatelain, présidente du groupe Ecologiste-Nupes à l’Assemblée nationale, députée de l’Isère ; Guillaume Gontard, président du groupe Ecologiste-Solidarité et territoires du Sénat, sénateur de l’Isère ; Mounir Satouri, député européen, membre du groupe des Verts/Alliance libre européenne (ALE) ; François Alfonsi, député européen, membre du groupe des Verts/ALE ; Christine Arrighi, députée écologiste de la Haute-Garonne ; Lisa Belluco, députée écologiste de la Vienne ; Benoît Biteau, député européen, membre du groupe des Verts/ALE ; Damien Carême, député européen, membre du groupe des Verts/ALE ; Charles Fournier, député écologiste de l’Indre-et-Loire ; Claude Gruffat, député européen, membre du groupe des Verts/ALE ; Hubert Julien-Laferrière, député écologiste du Rhône ; Julie Laernoes, députée écologiste de Loire-Atlantique ; Benjamin Lucas, député écologiste des Yvelines ; Francesca Pasquini, députée écologiste des Hauts-de-Seine ; Sébastien Peytavie, député écologiste de Dordogne ; Marie Pochon, députée écologiste de la Drôme ; Jean-Claude Raux, député écologiste de Loire-Atlantique ; Michèle Rivasi, députée européenne, membre des groupe du Verts/ALE ; Eva Sas, députée écologiste de Paris ; Aurélien Taché, député écologiste du Val-d’Oise et membre de la commission des affaires étrangères ; Sophie Taillé-Polian, députée écologiste du Val-de-Marne.