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Politique

Lénine contre la grève générale

Un point de vue qui est celui de la Gauche historique.

Un point de vue qui est celui de la Gauche historique.

Toute la gauche de la Gauche parle en ce moment en France de la grève générale comme grand espoir. Le mouvement contre la réforme des retraites aurait une perspective de victoire par la grève générale, qui ferait reculer le gouvernement.

Ce n’est pas le point de vue de la Gauche historique, avec raison.

La grève générale est une fiction anarchiste. Elle ne prend pas en compte la politique. Ce n’est pas par là que passe la victoire.

Le jeune Lénine, figure déjà éminente de la social-démocratie russe, résume cette conception de la Gauche historique de la manière suivante en 1899, dans son article A propos des grèves.

Les grèves apprennent aux ouvriers à s’unir ; elles leur montrent que c’est seulement en unissant leurs efforts qu’ils peuvent lutter contre les capitalistes ; les grèves apprennent aux ouvriers à penser à la lutte de toute la classe ouvrière contre toute la classe des patrons de fabrique et contre le gouvernement autocratique, le gouvernement policier.

C’est pour cette raison que les socialistes appellent les grèves « l’école de guerre », une école où les ouvriers apprennent à faire la guerre à leurs ennemis, afin d’affranchir l’ensemble du peuple et tous les travailleurs du joug des fonctionnaires et du capital.

Mais « l’école de guerre« , ce n’est pas encore la guerre elle-même.

Lorsque les grèves se propagent largement parmi les ouvriers, certains d’entre eux (et quelques socialistes) en viennent à s’imaginer que la classe ouvrière peut se borner à faire grève, à organiser des caisses et des associations pour les grèves, et que ces dernières à elles seules suffisent à la classe ouvrière pour arracher une amélioration sérieuse de sa situation, voire son émancipation.

Voyant la force que représentent l’union des ouvriers et leurs grèves, même de faible envergure, certains pensent qu’il suffirait aux ouvriers d’organiser une grève générale s’étendant à l’ensemble du pays pour obtenir des capitalistes et du gouvernement tout ce qu’ils désirent.

Cette opinion a été également celle d’ouvriers d’autres pays, lorsque le mouvement ouvrier n’en était qu’à ses débuts et manquait tout à fait d’expérience. 

Mais cette opinion est fausse.

Les grèves sont un des moyens de lutte de la classe ouvrière pour son affranchissement mais non le seul ; et si les ouvriers ne portent pas leur attention sur les autres moyens de lutte, ils ralentiront par là la croissance et les progrès de la classe ouvrière.

En effet, pour assurer le succès des grèves, il faut des caisses afin de faire vivre les ouvriers pendant la durée du mouvement.

Ces caisses, les ouvriers en organisent dans tous les pays (généralement dans le cadre d’une industrie donnée, d’une profession ou d’un atelier) ; mais chez nous, en Russie, la chose est extrêmement difficile car la police les traque, confisque l’argent et emprisonne les ouvriers.

Il va de soi que les ouvriers savent aussi déjouer la police, que la création de ces caisses est utile et nous n’entendons pas la déconseiller aux ouvriers.

Mais on ne peut espérer que ces caisses ouvrières, interdites par la loi, puissent attirer beaucoup de membres ; or, avec un nombre restreint d’adhérents, elles ne seront pas d’une très grande utilité.

Ensuite, même dans les pays où les associations ouvrières existent librement et disposent de fonds très importants, même dans ces pays la classe ouvrière ne saurait se borner à lutter uniquement par des grèves.

Il suffit d’un arrêt des affaires dans l’industrie (d’une crise comme celle qui se dessine actuellement en Russie) pour que les patrons des fabriques provoquent eux-mêmes des grèves, parce qu’ils ont parfois intérêt à faire cesser momentanément le travail, à ruiner les caisses ouvrières.

Aussi les ouvriers ne peuvent-ils se borner exclusivement aux grèves et aux formes d’organisation qu’elles impliquent.

En deuxième lieu, les grèves n’aboutissent que là où les ouvriers sont déjà assez conscients, où ils savent choisir le moment propice, formuler leurs revendications, où ils sont en liaison avec les socialistes pour se procurer ainsi des tracts et des brochures.

Or ces ouvriers sont encore peu nombreux en Russie et il est indispensable de tout faire pour en augmenter le nombre, pour initier la masse des ouvriers à la cause ouvrière, pour les initier au socialisme et à la lutte ouvrière.

Cette tâche doit être assumée en commun par les socialistes et les ouvriers conscients, qui forment à cet effet un parti ouvrier socialiste.

En troisième lieu, les grèves montrent aux ouvriers, nous l’avons vu, que le gouvernement est leur ennemi, qu’il faut lutter contre lui.

Et, dans tous les pays, les grèves ont en effet appris progressivement à la classe ouvrière à lutter contre les gouvernements pour les droits des ouvriers et du peuple tout entier.

Ainsi que nous venons de le dire, seul un parti ouvrier socialiste peut mener cette lutte, en diffusant parmi les ouvriers des notions justes sur le gouvernement et sur la cause ouvrière.

Nous parlerons plus spécialement une autre fois de la façon dont les grèves sont menées chez nous, en Russie, et de l’usage que doivent en faire les ouvriers conscients.

Pour le moment, il nous faut souligner que les grèves, comme on l’a dit ci-dessus, sont « l’école de guerre » et non la guerre elle-même, qu’elles sont seulement un des moyens de la lutte, une des formes du mouvement ouvrier.

Des grèves isolées les ouvriers peuvent et doivent passer et passent effectivement dans tous les pays à la lutte de la classe ouvrière tout entière pour l’émancipation de tous les travailleurs.

Lorsque tous les ouvriers conscients deviennent des socialistes, c’est-à-dire aspirent à cette émancipation, lorsqu’ils s’unissent à travers tout le pays pour propager le socialisme parmi les ouvriers, pour enseigner aux ouvriers tous les procédés de lutte contre leurs ennemis, lorsqu’ils forment un parti ouvrier socialiste luttant pour libérer tout le peuple du joug du gouvernement et pour libérer tous les travailleurs du joug du capital, alors seulement la classe ouvrière adhère sans réserve au grand mouvement des ouvriers de tous les pays, qui rassemble tous les ouvriers et arbore le drapeau rouge avec ces mots : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !

Tant que les travailleurs n’assumeront pas la politique, ce sera l’échec. Il ne sert à rien de pleurer que l’intersyndicale ne lutte pas assez, car une telle chose est normale. Les syndicats accompagnent le capitalisme. Ce qu’il faut comprendre, c’est le caractère central de la politique.