La réindustrialisation au nom de la guerre.
L’interview parue le 27 mars 2023 ne passera pas inaperçu pour qui suit l’actualité de la guerre. C’est au Figaro (en abonné) qu’elle a été donnée par le ministre de l’Économie, Bruno Le maire, et celui des Armées, Sébastien Lecornu. Ils justifient l’augmentation du budget militaire – 413 milliards pour 2024-2030 – prévue pour la prochaine loi de programmation militaire.
L’interview n’intervient pas au hasard puisqu’au même moment se tenait une réunion dirigée par le Président de la République sur les modalités de mise en place de l’ « économie de guerre » qu’il a annoncé au salon de l’armement Eurosatory en juin 2022.
Ainsi, Bruno le Maire affirme avoir demandé à ce que chaque banque ait dorénavant un conseiller défense pour mieux « flécher » les investissements vers les usines d’armements françaises. Cela signifie que le complexe militaro-industriel va toujours plus être au devant de la scène économique française.
Que l’interview soit réalisée conjointement par le ministre de l’Économie et celui des Armées est révélateur. Comme ils l’énoncent eux-mêmes :
L’industrie de l’armement signe entre 10 et 15 milliards par an de contrats à l’international. C’est une industrie qui contribue au redressement de notre balance commerciale. Et c’est une industrie qui occupe 200 000 emplois, bien répartis sur tout le territoire, ainsi que des centaines de PME installées dans toutes les régions.
Or, en France, l’industrie est justement en chute libre et sur les milliers d’entreprises composant la « base industrielle et technologique de défense », plusieurs centaines sont incapables de suivre le rythme exigé par l’ « économie de guerre ».
Alors il faut viser la « réindustrialisation » et c’est le complexe militaro-industriel qui en devient le moteur central, rappelant toute la justesse de la Gauche historique faisant de la guerre tout à la fois la cause et l’effet de la relance du capitalisme.
Déjà il y a peu, Sébastien Lecornu annonçait la « relocalisation » à Bergerac de la production de poudre propulsive pour les obus tirés par les canons Caesar livrés à l’Ukraine et produit par l’usine Eurenco. Une usine qui a déjà payé le prix fort de l’ « économie de guerre » cet été en étant touchée une violente explosion.
Cela s’inscrit en réalité dans une commande à l’échelle européenne de près d’1 million d’obus dans le but d’alimenter la guerre occidentale contre la Russie, alors qu’aux 5 000 obus tirés par jour par l’armée ukrainienne répondent les près de 15 000 russes… On apprend d’ailleurs dans l’interview que le budget d’aide à l’Ukraine a été « sorti » du budget de la prochaine Loi de programmation militaire avec l’accord du Premier ministre, donc du Président de la République sans qu’il n’y ait, encore une fois, aucun débat public à ce sujet.
Plus généralement, il faut comprendre que la France tente de conserver les acquis de son industrie de défense en Europe car on l’aura compris cela signifie un marché juteux pour l’industrie d’armement qui est en mesure de satisfaire cette giga commande !
Mais cela n’est pas tout puisqu’il avait été diffusé par France Info, seul média au passage ayant parlé de cela, que l’État s’apprêtait à « relocaliser » une vingtaine de productions industrielles militaires stratégiques. Cela concerne notamment des pièces essentielles pour certains moteurs d’hélicoptères à l’usine Aubert et Duval dans le Puy-de-Dôme mais aussi certaines coques de bateau produites actuellement en Europe de l’est.
La France a beau participer aux prétentions occidentales comme quoi la Russie aurait une économie faible, il n’en reste pas moins vrai que cette dernière a une base industrielle fondée sur une production lourde, contrairement à la France, totalement larguée à ce niveau.
Alors elle tente de rattraper son retard pour mieux conserver sa place au soleil… Mais à lire les propos du ministre des Armées, on comprend à quel point les dirigeants français sont largués par l’Histoire :
La trajectoire – à la hausse depuis 2017 – de cette future LPM [ Loi de programmation militaire, NDLR] doit être sincère et fiable, donc soutenable, afin de poursuivre son exécution à l’euro près. Cela restera notre marque de fabrique et c’est d’autant plus indispensable que cet effort est aussi important que celui que les gaullistes ont décidé dans les années 1960.
Les dirigeants français s’imaginent pouvoir lancer un « plan » industriel alors qu’ils sont à la tête d’un pays en faillite complète, avec une croissance d’à peine 0,2 % qui ne tient que parce qu’il s’est soumis à la superpuissance américaine. D’ailleurs, la réforme des retraites prend ici tout son sens historique, étant une nécessité à ce que Bruno le Maire nomme « les marges de manœuvres nécessaires pour les investissements ».
Dans ce mécanisme tristement connu par les héritiers de la Gauche historique, le complexe militaro-industriel tente de s’imposer à tous les échelons de direction de l’État, renforçant ainsi la tendance vers la guerre de repartage mondial. Heureusement, la France est une puissance à bout de souffle qui tente de faire ce qu’elle peut mais apparait de plus en plus comme le maillon faible d’un Occident en déroute. Une déroute qui sonne comme une brèche historique pour celles et ceux qui veulent enfin s’émanciper du capitalisme et de ses horreurs !