Se confronter à l’objet !
Nous n’avons pas eu de chance en France, puisque l’écrivain ayant le mieux compris la question du rapport à l’objet au début du 20e siècle, Drieu La Rochelle, a repoussé le marxisme pour se tourner vers le romantisme fasciste, comprenant à la fin de sa vie seulement son erreur dans son entreprise de quête de saisie d’une vie vécue absolument.
Les dernières lignes de sa nouvelle Le feu follet (1931) expriment une tentative de confrontation à l’objet, au réel, comme nulle part ailleurs alors dans la littérature française.
« »Solange ne veut pas de moi. Solange ne m’aime pas. Solange vient de me répondre pour Dorothy. C’est bien fini. »
»La vie n’allait pas assez vite en moi, je l’accélère. La courbe mollissait, je la redresse. Je suis un homme. Je suis maître de ma peau, je le prouve. »
« Bien calé, la nuque à la pile d’oreillers, les pieds au bois de lit, bien arc-bouté. La poitrine en avant, nue, bien exposée. On sait où l’on a le cœur.
Un revolver, c’est solide, c’est en acier. C’est un objet. Se heurter enfin à l’objet. »
Il est ici très intéressant de voir que cette démarche de Drieu La Rochelle afin d’exprimer le désarroi et la quête d’absolu en quelques lignes porte une dimension résolument cinématographique. La scène est vivante et visuelle ; elle n’est pas simplement posée et racontée, serait-ce de manière dynamique.
Le temps est capté. Andreï Tarkovski dit précisément que c’est là le mode le plus spécifique au cinéma (Le temps scellé, Cahiers du Cinéma 2004 ou bien Philippe Rey 2014) :
« Sous quelle forme le cinématographe fixe-t-il le temps ?
Je la définirais comme une forme factuelle.
Le fait peut être un événement, un geste, un objet, qui peut même être immobile, dans la seule mesure où cette immobilité existe aussi dans le cours réel du temps.
Voilà où réside la spécificité de l’art cinématographique. »
Le cinéma confronte aux faits, le cinéma fait se heurter aux objets. Cela étant, Andreï Tarkovski a dialectiquement raison et tort dans sa présentation de cette question comme étant propre au cinéma. Le réalisme est la base de tout art authentique.
La différence est que le cinéma permet de propulser le spectateur comme le témoin d’une scène, grâce à la force des images qui s’imposent d’elles-mêmes. Mais ce qu’on gagne d’un côté, on le perd d’un autre. Le roman permet ainsi d’exprimer de manière plus aiguë les processus en cours en les montrant de manière plus étendus, là où le cinéma doit y aller de manière plus nette, plus franche.
Le roman permet de prendre plus de temps et que ce soit pour parler d’un déplacement au moyen d’un transport en commun ou d’un vécu émotionnel de nature sentimentale, il peut davantage enserrer les faits.
Le théâtre, quant à lui, a l’avantage d’imposer une atmosphère ; la sculpture profite de sa forme ramassée pour se concentrer sur une seule chose.
L’art est toujours du temps fixé, mais la synthèse se fait différemment sur le plan de l’aspect principal en fonction du mode artistique.