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Mayotte, prise au piège d’un Occident qui s’oxyde

La puissance française à la dérive.

La puissance française à la dérive.

Après son acquisition en 1841, Mayotte a été une place relativement importante pour la puissance française. Relativement car sa présence a été surtout limitée à « Petite-Terre », et notamment à Dzaoudzi où fut construit la maison des gouverneurs par Gustave Eiffel en 1881, mais aussi le principal aéroport.

D’ailleurs, les 1,8 kilomètres qui séparent « Petite-Terre » de « Grande-Terre » sont reliés par des barges. C’est aussi l’endroit où a été déplacé en 1976 la base de la Légion étrangère à la suite de l’accès à l’indépendance des Comores en 1974, sa quatrième archipel, Mayotte, optant pour le maintien dans le giron français à la suite du travail politique du « Mouvement populaire mahorais » lancé 10 ans plus tôt.

Mais pour se maintenir, le colonialisme ne s’est pas appuyé seulement sur la force mais aussi, et peut-être surtout, sur l’encadrement des rapports anciens, semi-féodaux, pour mieux conserver une situation de sous-développement lui profitant.

A Mayotte, la justice cadiale, institutionnalisée par l’État entre 1841 et 2011, a consisté à donner le pouvoir judiciaire à des imams rendant la loi sur la base de règles et de traditions issues de l’Islam et de rites africains. Bien qu’aboli formellement en 2011 après le référendum sur la « départementalisation » de Mayotte, les « cadis » sont restés influents sur l’Île dans la vie quotidienne, mais aussi juridiquement notamment auprès des migrants illégaux qui évitent le recours au droit commun.

Des rapports semi-féodaux qui étaient donc une force d’antan pour dominer et contrôler mais qui se retournent aujourd’hui en leur contraire du fait du délitement général de la situation sociale et économique… Car avec l’élan mondial des années 1990-2000, il y a eu une forte émigration comorienne, notamment de l’île la plus proche, Anjouan, dans l’espoir, de fuir l’ultra-pauvreté.

Mais malgré tout, avec un filet social bien moindre qu’en métropole et près de 60 % d’illettrés ou d’analphabètes, la situation est une paupérisation absolue d’une partie importante de la population, avec de nombreux bidonvilles où s’entassent des migrants comoriens illégaux comme de jeunes désœuvrés mahorais aboutissant à des comportements anti-sociaux.

Une insécurité qui règne depuis les années 2000 et qui avait déjà été dénoncé début 2018 lors d’un mouvement de grève de plusieurs mois avec barricades et blocages de route.

Mais comme ailleurs, la pandémie de Covid-19 est venue mettre un terme aux décennies 1990-2010, ce qui n’a pas amélioré la situation, bien au contraire. La population est ainsi passée de 47 246 habitants en 1978 à plus de 310 000 en 2021 (et encore ne sont pas toujours comptés les personnes en situation irrégulière), avec un boom de l’immigration clandestine par « kwassas » de plus de 30 % entre l’été 2020 et l’été 2019.

En 2021, l’Insee publie une note dans laquelle il est parlé de « délinquance hors norme » et en octobre 2021 un groupe de sénateurs de droite et du centre rédigent un rapport sur l’insécurité à Mayotte et dans lequel est notamment constaté le « défaut d’une culture du droit et d’un réflexe judiciaire au sein de la population, conduisant au règlement de conflits hors de l’institution judiciaire, au sein de la famille ou du village, par un dédommagement financier ou le recours à la violence ».

Un « défaut » qui ne tombe pas du ciel mais principalement de la sédimentation des rapports semi-féodaux sur fond d’extrême pauvreté aboutissant à l’exacerbation du cannibalisme social. Et la situation est devenu critique à l’automne 2022, avec carrément des invasions de dizaines de jeunes armés de machettes dans des enceintes scolaires, forçant l’État à agir sous la pression d’une partie de la population mahoraise.

Cela aboutit à « l’opération Wuambushu » lancée le 24 avril 2023, consistant en un quadrillage militaro-policier visant à détruire les bidonvilles pour endiguer la criminalité. Mais le tribunal de la capitale Mamoudzou a suspendu l’opération le 25 avril, suscitant l’indignation d’une partie de la population qui s’est rassemblée dimanche 30 avril dans la capitale pour apporter son soutien à l’opération.

Des soutiens qui pensent encore que la France est une « grande puissance » qui peut maintenir un « ordre social et égalitaire » comme si la situation était celle des années 1960-1970 ! Un mirage politique qui s’exprime d’ailleurs dans les scores très élevés pour Marine Le Pen sur l’Île.

Quand d’autres s’imaginent que la question ne réside qu’en un « anticolonialisme » lu de manière formelle, comme si l’aspect semi-féodal dans le contexte de crise post-Covid n’avait pas abouti au cannibalisme social, prix à payer pour des masses coupées de tout mouvement démocratique anti-impérialiste.

Mayotte se trouve dans un cul-de-sac historique, confronté à l’implosion du système semi-féodal, que l’impérialisme français n’est plus à même d’encadrer du fait de sa situation de faiblesse générale, engendrée par la crise générale du capitalisme.

C’est une nouvelle expression de l’oxydation de l’Occident : seule une déroute totale de l’Occident est à même d’ailleurs de faire sortir Mayotte de sa situation absurde du fait même qu’elle obligerait les masses à remettre à plat toute la situation.