Pourquoi les choses tiennent-elles ? D’une certaine manière, par la force de l’habitude et l’autorité, c’est vrai. Mais au fond, elles tiennent surtout par loyauté.
Il n’y a pas de sensibilité sans attachement. Partant de là, on s’attache forcément avec qui on est, à là où on est, aux endroits où on vit, où on fait quelque chose. C’est un processus qui se déroule de manière autonome, indépendamment de la volonté des gens. Cela se rattache à l’existence, sa possibilité sociale. On se sent dépendant et redevable de certaines choses pour exister, et on est alors loyal.
Le symbole le plus fameux de cette loyauté, dans sa substance même, c’est bien entendu le chien. Le chien est le « meilleur ami » de l’homme, car il est loyal. Il ne trahira pas, il est marqué par sa loyauté, alors que les êtres humains, justement, peuvent dérailler.
L’humanité ne tiendrait pas sans loyauté et c’est à ça qu’on voit que les humains n’ont pas été « créés » par Dieu, mais sont bien des animaux produits par la Nature. S’ils sortent de la loyauté, ils sont perdus.
Toutes les loyautés ne se valent pourtant pas. Certaines sont fictives, d’autres symboliques. Toute loyauté dépend de la culture, c’est-à-dire de la réalité historique de l’humanité comme animal social développé.
Par exemple, on ne peut pas comprendre la guerre en Ukraine sans comprendre que ce qui joue beaucoup, c’est qu’un camp veut célébrer la victoire sur les nazis et l’autre ne le veut pas. Les Russes reprochent aux Ukrainiens leur déloyauté par rapport à leur passé commun. Le régime ukrainien propose de son côté une nouvelle loyauté, artificielle, « occidentale ».
La guerre Russie-Ukraine est, psychologiquement si on veut, avant tout une guerre pour la loyauté. Bien entendu, à l’arrière-plan, il y a l’affrontement entre les blocs. Mais les gens ne vont pas à la guerre sans motivation, ne serait-ce que minime et de portée historique.
Si on rate cet aspect essentiel de la vie humaine, on ne comprend d’ailleurs pas le maintien des religions, des nationalismes, des superstitions, bref d’un nombre immense de petits actes au quotidien servant de témoignage de loyauté.
Le folklore humain est même ici sans limites. On est loyal, on célèbre la loyauté… et ce d’autant plus qu’elle est absente, trahie, dévoyée, etc.
On ne soulignera jamais assez comment cet aspect est fondamental dans l’étude des mentalités, des actions et réactions au niveau personnel, individuel. Et tout cela est de nature historique, dépendant du mode de production dominant. Ce sont les attachements qui permettent que, demain, les gens iront au travail, il y aura des hôpitaux, et pareil après-demain.
S’il n’y avait pas ces attachements, d’ailleurs réciproques, rien ne tiendrait. On ne pourrait avoir confiance en rien, ni personne. Le propre du 24h du 24 du capitalisme est justement de ne permettre les loyautés que par l’intermédiaire de contrats et de marchandises.
C’est à ce niveau que tente d’opérer le « romantisme » d’extrême-Droite, qui prétend réactiver d’anciennes loyautés, en fait fictives le plus souvent. C’est le fameux « avant, c’était différent ». Il a sa part de vérité, car le capitalisme s’est renforcé et il a procédé à la dissolution de plus en plus de liens sociaux et culturels. Cependant, la tendance était déjà là.
Car le capitalisme ne permet aucune loyauté… à part à soi-même, et encore, à sa fonction dans le capitalisme. Voilà pourquoi, à l’inverse, être de Gauche, c’est montrer l’importance de la loyauté. On est là, parce qu’on protège ce à quoi on tient, et que ce à quoi on tient a du sens.
On peut avoir raison autant qu’on le voudra – si on donne l’impression de trahir, tout est foutu. Qui n’a pas connu ce moment amoureux où on se sent embarqué malgré soi dans quelque chose de nouveau, d’inquiétant, mais où on dit : je reste là, je suis loyal ?
Car on a confiance en le mouvement de la vie : telle est la vraie loyauté, la première, celle que toute loyauté rejoint.