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Vie quotidienne

On peut s’habiller comme on veut désormais, mais…

A condition d’avoir du style !

C’est un aspect très intéressant du capitalisme et qu’on peut tous remarquer. Avec le développement de forces productives dans les années 2000-2010, notamment l’intégration complète de la Chine dans le marché mondial, l’habillement a connu un changement de très grande ampleur.

Auparavant, les habits ne profitaient que peu de variété et on s’habillait avec relativement peu de marge de manœuvre. Les deux exceptions marquantes étaient les très riches consommant des produits de grande marque et les marginaux appartenant à des tribus aux looks bricolés bien délimités (punk, gothique, scène tag-rap, métalleux, etc.)

Désormais, plus rien ne veut rien dire, car n’importe qui peut acheter n’importe quoi et ne se prive pas de le porter. Aucune tribu ne peut profiter d’une réelle délimitation et, de toutes façons, personne n’en a plus rien à faire. On peut s’habiller comme on veut, mais il faut que cela corresponde, il faut que ce soit bien porté.

Le streetwear, avec ses marques produisant de manière créative et profitant du Portugal, du Mexique, du Vietnam, du Bangladesh, de la Chine, a révolutionné les codes de l’habillement. La première chose qu’on apprend dans une boutique dont les produits coûtent chers, c’est que l’habit ne fait pas le moine et que la personne qui a l’air très mal habillé selon tel ou tel critère peut en réalité être un vrai branché avec des habits coûtant une fortune.

Civilist (Berlin)

Quand on voit cela, on se dit : il y a un problème, c’est comme si d’un côté le socialisme avait gagné, et de l’autre qu’il avait été mangé par le capitalisme. Car c’est une des raisons de croire en le capitalisme, pour les gens. On peut s’habiller de mille manières, c’est donc bien que le capitalisme apporte quelque chose !

C’est en fait le socialisme qui aurait dû instaurer cela. En raison du retard de celui-ci à triompher, on doit donc supporter une mondialisation maintenue dans le cadre du capitalisme, porté par des petits-bourgeois dynamiques et entrepreneurs. Et cela ne fait justement pas non plus les affaires du capitalisme.

En effet, le capitalisme a besoin de maintenir une hiérarchie dans la production. Or, des styles à l’infini, c’est bien pour la consommation. C’est cependant bien dérangeant au niveau productif lorsqu’on a des gens qui croient vraiment qu’ils sont différents et qui n’en font qu’à leur tête, voire qu’à leur style.

Cela fait désordre, tout de même. Et c’est pour cela qu’une ville comme Paris voit la bourgeoisie, y compris bobo, faire un retour aux sources niveau habillement. Le streetwear s’efface pour laisser la place à une apparence qui ne dénoterait pas dans le Auteuil – Neuilly – Passy des années 1980.

Le contraste avec la possibilité, pour les prolétaires, de disposer de choses de qualité à bas prix, se transforme ici directement en contradiction.

Collaboration (ici pour enfant) à bas prix d’Adidas avec la marque finlandaise chic et de qualité Marimekko

Ce qui est en jeu ici, c’est de comprendre que le capitalisme a pour l’instant battu le socialisme, mais que les choses se retournent en leur contraire. Les gens prennent au pied de la lettre le style. Le prolétaire ne se laisse plus mettre de côté sur le plan vestimentaire. Et surtout, il n’y a plus une dimension réactionnaire comme par le passé à ce niveau.

Il a existé en effet, surtout parti d’Italie avec les « paninaro » des années 1980, mais aussi le mouvement « ultra » au football, tout une tentative de jeunes prolétaires de suivre la mode, avec une mentalité d’élite, de carriérisme vestimentaire, de consumérisme. C’était très réfléchi, très esthétisant.

Désormais, le rapport au style est de masse et s’il existe encore des courants marginaux dans la quête d’un look « décisif », tout cela est bien fini. On remarquera ici d’ailleurs que ces courants marginaux se trouvent surtout chez les petits-bourgeois « à gauche de la gauche », qui vivent dans les fétiches et l’entre-soi. Leur ghetto a des codes vestimentaires très marqués.

Les prolétaires n’en ont rien à faire. Pour eux, un style a un rapport avec la personne. Si c’est bien porté, alors c’est bien. Si c’est mal porté, alors c’est critiquable.

Iriedaily (Berlin)

Il est évident que le problème fondamental, c’est que les gens vivant dans le capitalisme, cette question du style bascule dans la mise en scène. Pourtant, du point de vue socialiste, on doit également bien voir qu’il s’agit d’un approfondissement de leur personnalité. Tant que le capitalisme parvient à neutraliser cette question de la personnalité, la contradiction n’est pas explosive. C’est d’ailleurs là le rôle pernicieux et neutralisateur des idéologies ultra-individualistes, idéologie LGBT en tête.

Si le capitalisme commence par contre à brimer les développement de la personnalité, là les choses peuvent très mal tourner pour lui, car les gens considéreraient qu’un acquis leur est enlevé. C’est pour cela par exemple que la Russie n’a pas mené de mobilisation générale lors du début de « l’opération spéciale » contre l’Ukraine : il ne fallait surtout pas que la jeunesse de Moscou se sente brimée dans sa « personnalité »… et son individualisme.

En France, le thème de l’uniforme à l’école est récurrent et il est un vrai dilemme pour le capitalisme : il faut bien de l’ordre, mais sans toucher à l’individualisme… et le souci de l’ordre, c’est que les jeunes ont des acquis « personnels ». En un sens ils n’ont d’ailleurs que ça : les moments présents qui se succèdent, le style, une musique répétitive comme « son » servant d’arrière-plan. Si le capitalisme commence à toucher à ça…

Maillot extérieur de l’équipe colombienne féminine de football

L’habillement est également une preuve de la mondialisation tellement avancée qu’on ne peut plus reculer. Si d’un côté tout le monde se ressemble dans les mêmes centre-villes des grandes villes du monde, d’un autre il n’y a jamais eu autant de variété. Les goûts et les couleurs du monde entier se rencontrent, pas forcément pour le meilleur, mais le brassage et le métissage en ressortent triomphalement, d’une manière ou d’une autre.

Le socialisme l’emporte ainsi dans l’habillement capitaliste, malgré le capitalisme, car le capitalisme porte dialectiquement le socialisme, de manière contradictoire. Si on rate cet aspect, on veut retourner dans le passé, et ça les gens ne le veulent pas. Ils veulent plus de complexité, plus de possibilités de s’épanouir. Ce sont les masses et elles ont raison ! En même temps elles ont tort de ne pas comprendre qu’elles s’aliènent en acceptant que le cadre capitaliste se maintienne.

Et leur vie privée, réelle, concrète, épuisée par l’exploitation capitaliste, ne correspond pas à leur vie rêvée.

Stüssy

On comprend que le socialisme, c’est bien la bataille pour préserver les acquis que sont les forces productives… tout en renversant, en révolutionnant le cadre capitaliste. Ici, c’est la course à la consommation qu’il s’agit de supprimer, car avoir un style est suffisant et il ne s’agit pas d’accumuler des tonnes d’habits qu’on va jeter ou ne pas porter.

Ici, les achats – ventes de seconde main, surtout avec Vinted, expriment une tendance chez les gens à réorganiser leur consommation particulière. En soi, cela ne veut rien dire, car c’est aussi une expression de surconsommation et de volonté de petit commerce. On achète d’autant plus facilement qu’on pense qu’on peut le revendre.

Néanmoins, historiquement, c’est tout l’édifice capitaliste de l’habillement qui révèle sa fragilité. Les achats sur internet tuent d’ailleurs les magasins qui s’avèrent incapables par définition de présenter une immense variété. Si on y réfléchit bien, on voit bien que la société est bien mûre pour le socialisme…